La vraie raison pour laquelle l’Angleterre a quitté l’Union Européenne


Publié le 26 mai 2021

Un vote du peuple

Le 26 juin 2016, le peuple anglais choisissait de quitter l’Union Européenne. Cela va faire cinq ans dans quelques mois, et on dirait que la plupart des gens ne comprend pas encore les raisons qui ont motivé ce choix des Anglais. On croit que ce qui a inspiré le vote « pour », c’est le racisme, la xénophobie, l’extrême droite. Et c’est ainsi que le Brexit l’a remporté avec 51% de voix. Si seulement il y avait eu moins de « vieux ultra-conservateurs » dans les campagnes, si seulement 1% des Anglais n’avait pas eu la flemme d’aller voter ce jour-là, le résultat aurait été le bon. Pourtant, si on continue de se convaincre de ces mensonges, nous allons être très surpris le jour où un référendum similaire surgira en France. Et ce sera la fin de l’Union Européenne. Et ce sera la fin de cette fraternité qui lie les pays européens aujourd’hui. Si l’on veut éviter cela, il faut comprendre ce qui a vraiment incité les Anglais à voter ainsi il y a presque cinq ans.

N’oublions pas que ce n’est pas le gouvernement qui a fait le choix. Ce ne sont pas les politiciens ou les économistes. Ce n’est pas David Cameron. Ce n’est pas Theresa May non plus. C’est le peuple qui a choisi, directement, grâce au référendum. Et naturellement il est arrivé ce qu’il arrive à chaque fois que l’on donne aux foules le dernier mot sur un sujet qui leur tient à cœur : ce sont les émotions qui l’emportent sur la raison. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de bons arguments, rationnels, dans l’économie et la politique pour le Brexit. Il y en a, et il est possible que le Brexit ait été le meilleur choix. Mais 51% des Anglais ne sont pas experts en économie et géopolitique. Ils ont voté en fonction de leur ressenti, souvent en croyant que leur vote ne compterait pas. Cela est tellement véridique que la principale recherche sur Google le lendemain du référendum au Royaume Uni était : « What is the EU ? » ([Qu’est-ce que l’Union Européenne ?]). Et aujourd’hui, ce sujet qui tient à coeur aux populations, ce sujet qui divise les familles et les pays, c’est l’immigration. Ou plus précisément, l’incapacité des gens de traiter ce sujet publiquement.

 

« Ils se faisaient traiter de fachos et de nazis »

Je vous présente John et Evelyn, deux Anglais d’une soixantaine d’années. En effet, le vieux John aurait pu voter pour le Brexit parce qu’il était convaincu que le Royaume-Uni ferait mieux de signer ses propres traités de commerce sans passer par l’UE. Sa femme, Evelyn, aurait pu voter « pour » parce qu’elle trouvait que le Royaume-Uni était sous-représenté au Parlement Européen face à Malte et que cela menaçait le système démocratique anglais. Ces deux arguments auraient été valables. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils ont voté « pour ». Ils ont voté « pour » parce qu’ils en ont marre de lire dans les journaux que leur petite ville de 5000 habitants a maintenant un problème de trafic de drogue ; parce qu’on a construit un gros bâtiment de petits studios et qu’un jour ils ont vu arriver plus de 500 personnes avec des coutumes étranges et qui ne comprennent pas un mot d’anglais ; parce que depuis peu de temps l’anglais ne se parle que très peu aux supermarchés de leur ville ; parce que leurs églises sont vides et il y a de plus en plus de mosquées. Ou, du moins, c’est leur impression. Le problème – le vrai problème –, c’est que lorsqu’ils essayaient d’en parler, ils se faisaient traiter de racistes, d’intolérants, de fachos et de nazis.

 

« Personne ne traitait du sujet en public »

Même si la politique migratoire n’était qu’un détail de l’accord européen avec le Royaume-Uni, même si la voie pour mieux gérer l’immigration n’était pas du tout de quitter l’UE, c’était ce sujet-là qui touchait vraiment les gens normaux. Ils ont raison de poser des questions quand ils voient leur entourage changer si fortement en à peine vingt ans. Ils ont peut-être raison de vouloir se manifester contre une transformation qu’ils jugent très (voire trop) radicale dans leur petite ville, dans leur pays. Peut-être qu’ils n’ont rien à craindre. Peut-être que la politique migratoire était la bonne et que tout était sous contrôle. Peut-être que les programmes d’intégration marchaient très bien. Mais, comme c’est le cas avec la religion et ses dogmes irrationnels, il y avait toujours cet accord tacite comme quoi personne ne traiterait le sujet en public. Même aux repas de famille, le sujet provoquait des désaccords si graves que tout le monde partait se coucher tôt ; et ils étaient sûrs que leurs enfants les traitaient de fachos. Au lycée, une clope à la bouche, leur petit-fils disait à ses potes : « Ouais, c’est toujours compliqué de parler de ça avec ma grand-mère, tu sais. Elle a des opinions assez racistes. Comme tous les vieux, quoi. »

Les années passèrent et John et Evelyn ont vu dans le référendum l’occasion de faire entendre leur voix. Pour une fois, ils pouvaient s’exprimer ; pour une fois ils pouvaient déclarer cet amour qu’ils avaient pour une culture qu’ils trouvaient périssante. Ou du moins, ils pouvaient attirer finalement l’attention sur un problème que personne n’osait adresser. Comme on l’a vu quelques jours après le référendum, la plupart des Anglais n’avait aucune idée de ce qu’était le Brexit. Mais leur vote symbolisait leur participation à une manifestation silencieuse. « Maintenant, ils vont voir qu’une bonne partie de la population pense comme moi, mais qu’on est obligé de se mordre la langue », pensaient John et Evelyn, « j’ai envie de voir leur tête quand les résultats montreront qu’un bon quart de la population, même un tiers, est pour une Angleterre plus anglaise ». Cependant, c’était plus de la moitié de la population qui pensait comme eux et non pas un tiers. Une fois les résultats annoncés, ils ont foncé sur Google pour se renseigner par rapport à ce qu’ils venaient de faire. Désormais, ils regrettent d’avoir provoqué un basculement tellement soudain dans la politique anglaise à cause d’un vote qu’ils ne comprenaient pas.

 

Parlons-en

Ici il ne s’agit pas de décider si John et Evelyn avaient raison par rapport à l’immigration ou si le Brexit était le bon choix. Je ne connais pas les réponses à ces questions. Il s’agit plutôt de dénoncer ce tabou autour du sujet. Si un jour la France quitte l’UE à cause d’un référendum, ce ne sera pas pour « les bonnes raisons », ce ne sera pas pour l’économie ou pour la géopolitique, ce sera parce que les gens en auront marre de ne pas être écoutés. La prochaine fois que vous entendez quelqu’un exprimer ses inquiétudes par rapport à l’immigration, écoutez-le, discutez-en avant de le traiter de raciste. Oui, c’est un sujet délicat et il demande d’être traité avec respect. Mais ce n’est qu’en discutant qu’on peut arriver aux accords qui nous permettront de vivre ensemble, en paix et en fraternité. Tout comme dans une relation amoureuse, il faut souvent risquer d’être offensant pour trouver les solutions aux sujets qui nous angoissent.

Discutons, alors. À tous ceux qui évitent le sujet, qui trouvent ça tellement offensant d’en parler, parce que la bonne réponse est tellement évidente, parce que seul quelqu’un avec de gros préjugés pourrait penser ainsi, peut-être que vous avez raison. Mais on vous répond la même chose qu’on répond aux religieux : si vos croyances sont tellement vraies, alors elles devraient pouvoir survivre un peu de débat, n’est-ce pas ?

 

Par Alejandro AO

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