Au Liban, entre protestations politiques, crise économique et fracture sociale : l’étau se resserre

Depuis l’éclatement de la guerre civile en 1975 qui avait traumatisé le pays jusqu’en 1990, exception faite de la guerre israélo- libanaise de 2006, le pays du cèdre n’avait plus connu de crise aussi flagrante que celle qui semble endolorir le pays aujourd’hui. Jusque-là perçu, et ce de manière plus ou moins judicieuse, comme le seul havre de paix dans une région du monde accablée par les conflits et les luttes religieuses, le Liban ne semble plus désormais constituer une exception en termes de niveau de vie et de sécurité au Moyen- Orient. De « Suisse du Moyen-Orient », le Liban paraît s’être mué en « Grèce du Moyen- Orient ». En dépit de la stabilité de son système politique, assurée par un confessionnalisme d’Etat, et de sa prospérité économique, bâtie sur un empire diasporique et une classe entrepreneuriale notoire, le Liban ne connaît plus qu’une progressive dégénérescence de ses forces vives. Le pays est même à l’arrêt, presque paralysé alors que l’endettement public explose. Or, avec une dette qui vient de culminer à plus de 150% du P.I.B. et un déficit qui avoisine les 11% – faisant du Liban l’un des pays les plus endettés du monde -, le pays se positionne désormais aux portes de l’effondrement financier. Aussi, bien que les prévisions initiales du F.M.I. aient pu être optimistes pour l’année 2018, visant de 1,5 à 2,2% de croissance du P.I.B., ce dernier n’a plus dépassé les 0,2% depuis deux ans. Et surtout, le peuple libanais ne se reconnaît plus dans ses élites.

La rupture du lien entre représentants politiques et société civile semble être consommée, symbolisée à plus d’un titre par l’éviction du premier ministre Saïd Hariri 13 jours après le début des manifestations. A tous les niveaux donc, le Liban est dans l’impasse. Et pourtant, la résolution de cette polycrise serait sans aucun doute le meilleur moyen d’installer un véritable Etat laïc dans le pays. Du reste, si la communauté internationale avait déjà anticipé le probable déclenchement d’une telle situation par le passé, inquiétude personnifiée par la tenue de la conférence du Cèdre à Paris en 2018, on peut sans aucun doute lui reprocher son inactivité depuis. Or, sans structure supranationale pour pallier le problème comme l’U.E. vis-à- vis de la Grèce, autant dire que le Liban s’apprête à entrer dans une phase ô combien dramatique pour un pays d’à peine plus de 6 millions d’habitants et près de quatre fois moins riche que la péninsule grecque.

Aux fondements du ras-le-bol libanais 

Si Jean-Paul Sartre avait déploré la dépolitisation de la jeunesse française avant les événements de mai 1968, côté libanais, précisons que le début des manifestations ce 17 octobre a d’abord été l’apanage de la jeunesse. Aux fondements des protestations du peuple libanais se trouve donc l’annonce par le gouvernement d’une taxe sur les appels WhatsApp. Or, au Liban, où les coûts relatifs aux télécommunications sont déjà parmi les plus chers de la région, cette application est fortement utilisée par la population. Autant dire qu’à l’annonce d’une taxation des appels à hauteur de 20 centimes de dollars – soit 18 centimes d’euros ou 300 livres libanaises -, la société, en grande partie jeune, s’est précipitée dans la rue pour réclamer la « chute du régime » au son de l’hymne national. Devant l’ampleur des manifestations, à Beyrouth certes mais dans plusieurs autres localités régionales aussi, le gouvernement s’est hâté de rendre la loi caduque, sans succès pour retarder ou diminuer le mécontentement social, déjà exprimé par des blocages routiers et des brulements de pneus.

Du cynisme d’Etat vers une néo-crise grecque ? La colère sociale ne se limite toutefois pas aux affaires sociales. C’est aussi le résultat d’années de détérioration économique. Effectivement, le Liban connaît depuis l’amorce de la guerre civile syrienne en 2011 une véritable aggravation de sa santé économique. Sa balance des paiements courants est ainsi la pire du monde après celle du Mozambique. La pénurie de dollars est également d’actualité et les angoisses de dévaluation guettent. De plus, au même titre que la plupart des pays du monde, viennent s’ajouter à ce marasme total, l’accroissement du déséquilibre des services publics et l’augmentation des inégalités. On estime ainsi qu’au Liban les 1% plus riches détiendraient 40% des richesses du pays. Mais plus que tout, les Libanais ne supportent plus l’état de corruption dans lequel ils vivent. Placé au 42ème rang des pays les plus corrompus du monde selon l’ONG Transparency International, l’Etat libanais n’est plus en mesure d’assurer à chacun les besoins vitaux auxquels ses ressortissants aspirent, ne serait- ce que l’eau ou l’électricité. Ainsi, si la lutte contre la corruption devrait constituer un cheval de bataille pour l’administration libanaise, à contrecourant de toute logique, l’Etat libanais s’est plutôt décidé à proposer une loi visant l’amnistie pour les individus passibles de crimes de corruption. Un comble à bien des égards pour la population libanaise qui s’est dit scandalisée, réunie sur tout le territoire dans un gigantesque élan de mobilisation. De tous les coins du Liban, les manifestants se sont insurgés allant jusqu’à créer une chaîne humaine sur près de 170 kilomètres de long, un exemple unique d’unité nationale.

De manière générale, chez le peuple libanais, c’est un dégraissement entier de la classe politique qui est exigé, elle qui n’a plus été renouvelée depuis l’épisode tragique de la fin du dernier siècle. De fait, au-delà de l’assombrissement économique, c’est avant tout l’indignation politique qui est à l’œuvre au Liban. Dans un pays multiconfessionnel, où chacun des postes-clé de l’Etat a été attribué par la Constitution à un individu de religion différente – le poste de Premier Ministre étant exclusivement réservé à un sunnite, celui de Président de l’Assemblée dévolu obligatoirement à un chiite et celui de Président accordé expressément à un chrétien maronite -, cette immobilisation avait d’ailleurs permis la persistance des dynasties à de telles positions régaliennes. Pour le peuple libanais, c’est le dégagisme intégral qui est réclamé. Les slogans à ce sujet se multiplient, de l’explicite « Tous, ça veut dire tous » au plus acerbe « Nous avons commencé avec Hariri et nous allons continuer avec Aoun et Berri » (NDLR : Aoun (Michel), actuel Président de l’Etat libanais depuis octobre 2016 et Berri (Nabih), à la fois Président du Parlement libanais depuis 1992 et leader du mouvement Amal). Il va sans dire que la mort d’un manifestant et le suicide de cinq personnes pour des motifs de précarité économique sont venus exacerber la rancœur du peuple vis-à-vis de la classe dirigeante, de plus en plus esseulée.

La fragilisation ou le renouveau ? 

Alors que la démission d’Hariri a été vécue comme un premier pas vers l’établissement d’un nouveau régime plus transparent et plus représentatif pour les Libanais, la communauté internationale a elle émis à l’encontre de l’éviction du Premier ministre davantage de réserves. Les Etats-Unis comme la France se sont dit alarmés par la situation à venir dans l’ancien mandat de l’Hexagone, prétextant que l’évincement de la classe politique actuelle n’aurait que pour conséquence une recrudescence de l’état d’urgence et recommandant un remplacement rapide des magistratures principales afin que le pays ne connaisse pas une déstabilisation encore plus grande. Le Hezbollah s’est, lui aussi, inséré dans les débats. Membre de la coalition gouvernementale formée par Hariri, il s’est dit ulcéré par les attaques verbales lancées à l’encontre de ce primus inter pares. Et là se situe sans aucun doute le nœud du problème. Le sommet hiérarchique de l’Etat reste soutenu de près par les mouvements chiites pro-iranien comme le Hezbollah et Amal qui freinent toute réforme dans le pays. Reste à savoir si, à défaut de soutien autre que moral de la part des puissances étrangères, la société civile va se montrer suffisamment solide pour tenir tête à ces groupements qui organisent la corruption et le clientélisme au plus haut niveau de l’Etat. Espérons en tout cas que le Liban parvienne à surmonter cette épreuve au plus vite et sans recourir à la violence, écueils qui caractérisent encore à ce jour son voisin le plus proche (la Syrie). Enfin, certains semblent profiter de la déstabilisation qui règne actuellement sur les bords de l’ancien mandat français comme l’ex-PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn désormais en fuite. Le Liban, en somme, à force de se faire le creuset des différentes tensions géopolitiques, qu’elles soient nationales ou internationales, risque de boire le calice jusqu’à la lie.

Raphaël DELAGNES 

 

Pour M. Trump, un accord « historique » entre les Etats-Unis et la Chine. Mais qu’en dit l’histoire ?

Pour M. Trump, un accord « historique » entre les Etats-Unis et la Chine. Mais qu’en dit l’histoire ?

Le 14 février dernier, soit 30 jours après sa signature, le premier traité visant à mettre fin à la guerre commerciale sino-américaine lancée par l’administration Trump en 2018, accord dit de phase 1, est entré en vigueur. Depuis deux ans en effet, les relations sino-américaines n’ont cessé de se distendre, à tel point que les deux nations se sont opposées ouvertement à de multiples reprises par des mesures de répression et de contingentement sur les produits vendus et exportés par le concurrent. L’argument principal de la politique protectionniste mise en place par Donald Trump a été celui de faire diminuer l’exorbitant déficit commercial que les Etats-Unis entretenaient et entretiennent encore à l’égard de la Chine puisque celle-ci représente près de 17% de la dette souveraine des Etats-Unis. Deuxième créancier du pays derrière la Réserve Fédérale Américaine, la Chine constitue effectivement une menace réelle à l’hégémonie et aux ambitions américaines dans le monde. On estime d’ailleurs son déficit en termes d’échanges commerciaux à 375 milliards de dollars ce qui mine drastiquement la compétitivité américaine. Aussi, Donald Trump n’a donc pas caché sa satisfaction à l’annonce de la ratification de cet accord, le qualifiant à la fois d’« historique » et d’« incroyable ».

En revanche, côté chinois, les médias sont restés plus mesurés, eux qui sont d’habitude fortement enclins à l’exagération, reléguant au mieux l’accord au rang d’« important ». Il est vrai que la Chine est actuellement prise entre plusieurs feux (montée du mouvement démocratique à Hong-Kong, élection d’un candidat réfractaire à la RPC à Taïwan et surtout lutte contre l’épidémie et la contagion du coronavirus) et doit lutter sur plusieurs fronts simultanément, ce qui fragilise sa position géopolitique d’autant qu’à défaut d’apparaître comme la perdante de l’accord, il faut admettre que depuis le début des hostilités, la Chine subit davantage de pressions qu’elle n’en exerce. Du reste, cette opposition, qui en arrive ainsi à un tournant majeur de son déroulement, n’a pourtant rien de bien surprenant lorsqu’on la projette dans une perspective historique.

La guerre commerciale sino-américaine, explications et radiographie

Les Etats-Unis, puissance dominante par excellence depuis 1990, semblent avoir perdu il y a quelques années maintenant leur rôle de gendarme du monde mais surtout leur image de parangon du libéralisme, que le pays symbolisait à juste titre depuis l’implosion de son dernier grand rival historique : l’U.R.S.S. Effectivement, l’apparition sur le devant de la scène internationale de nouvelles puissances corrobore l’idée d’un monde devenu multipolaire ou plus justement polycentrique auquel se rattachent précisément diverses crises polycentriques entres autres micro-affrontements ou conflits de basse intensité. Or, certaines puissances viennent désormais contredire la domination sans conteste qu’exerçaient les Etats-Unis depuis le début des années 1990. Ces puissances, dites révisionnistes, s’attaquent progressivement au leadership américain. Pour les Etats-Unis, ces rogues states – Corée du Nord, Iran et donc Chine – tels qu’ils furent définis sous le mandat de Bush fils, sont autant de menaces qu’il s’agit de contrer. La Chine, donc, depuis l’effort de modernisation et de mondialisation amorcée par Deng Xiaoping dans les années 1980, est devenue un modèle d’économie sociale de marché et tente, grâce à la formidable sous-évaluation du yuan et par conséquent à la force de ses exportations, de s’imposer comme le nouveau chantre du libéralisme.

Première puissance exportatrice mondiale depuis 2009 et première puissance économique du monde tout court depuis 2014, la Chine s’est donc présentée comme le principal adversaire du « Make America great again » de Donald Trump. Pour le milliardaire américain, qui s’est mis en tête que tous les maux de l’Amérique étaient dus aux puissances étrangères, Canada et Mexique billets en tête, ce qui a conduit irrémédiablement à la révision de l’ancien ALENA, la Chine demeure l’ennemi n°1. Paul Ricœur, qui parle de mémoire empêchée, mémoire manipulée et mémoire abusée dans son œuvre La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, a ici quelque chose d’intéressant à nous apporter, car Trump semble nouer avec sa base électorale une relation de manipulation jouant de l’histoire pour légitimer ses actions sur le plan commercial. Et les théories de François Hartog et Jacques Revel permettent de mettre en relief l’idée d’une manipulation du passé. Donald Trump se place comme le nouveau défenseur de la « destinée manifeste » des Etats-Unis. De fait, la Chine, il est vrai, a une balance commerciale extrêmement excédentaire vis-à-vis des Etats-Unis, ce que l’ancien présentateur TV perçoit comme de la concurrence déloyale.

En réalité, le point sensible de la relation sino-américaine est simple bien que plus subtil. La Chine, en effet, met en pratique une économie excessivement désavantageuse pour ses partenaires qu’elle tire de son passé communiste. En fait, l’Empire du milieu pratique le dumping à outrance, c’est-à-dire une tarification des prix plus faible à l’étranger que sur son propre territoire et pose des conditions à l’entrée d’entreprises étrangères sur son marché intérieur attractif d’un milliard de consommateurs potentiels comme le legs de la technologie associée. C’est ce chantage que les Etats-Unis ont cherché désespérément à dénoncer auprès de l’OMC mais ne voyant pas de solution en sortir, ont décidé de contraindre la Chine selon d’autres dispositions unilatérales. Celles-ci ont été la hausse des droits de douanes sur de nombreux produits chinois (25% sur l’acier ; 10% sur l’aluminium), ce que la Chine n’a pas tardé à faire en retour également sur certains produits américains allant même jusqu’à arrêter temporairement ses importations agricoles venues de l’Oncle Sam.

Une Chine en pleine ascension qui vient contester la suprématie américaine : assistons-nous à une nouvelle guerre froide ?

Il faut voir dans cette guerre commerciale, une nouvelle guerre froide, cette fois-ci surtout de nature économique avec ses hauts et ses bas, ses phases de tensions et ses phases de réconciliation. Cette guerre commerciale apparaît donc au regard de l’histoire contemporaine – l’histoire agissant donc comme un miroir comparatif – comme un support où l’on voit que le capitalisme libre-échangiste tel que le concevait Francis Fukuyama n’est plus immuable et que s’il a triomphé d’un autre modèle d’économie, cela n’empêche pas d’autres acteurs de pouvoir maintenant en revendiquer la représentation parfois plus que les Etats-Unis eux-mêmes. Et ce conflit est même de nature technologique. Effectivement, la Chine cherche à se moderniser continûment dans la perspective de son plan d’innovation : le MIC25 (à comprendre comme « Made in China 2025 »). C’est d’ailleurs l’axe principal de sa politique de façon à se placer comme le leader des prochains secteurs-clés de l’économie. On peut voir par-là, un retour de la « course aux armements » et de la course aux technologies qui avait caractérisé la guerre froide américano-soviétique. En l’occurrence, si du point de vue militaire, la Chine ne peut pas encore rivaliser avec les Etats-Unis, elle est toutefois en mesure de le faire sur le plan des cyberattaques.

Cet accord ne semble ainsi apparaître que comme un remake des périodes de cohabitation qui avaient plusieurs fois marqué le conflit entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. Pour aller plus loin dans l’analyse historiographique, ce conflit paraît réactualiser les vieux contentieux internationaux qui avaient animé les sociétés des années 1930 durant lesquelles les Etats avaient exacerbé le protectionnisme et s’étaient tournés vers davantage d’autarcie. A travers cette guerre commerciale, Trump espère en effet relancer le commerce de proximité, stimuler la compétitivité américaine et relocaliser. The Guardian émettait lui-même un avertissement sur la portée et l’avancement de cette guerre commerciale : « Il va de soi que nous n’avons pas connu de semaines aussi décisives pour le commerce mondial depuis les années 1930. » A l’image de ce qui s’était produit ces années-là, le commerce international pâtit de cette guerre commerciale et connaît un profond ralentissement. Chacun opère un repli sur soi, ce qui n’arrange rien au niveau des marchés financiers déstabilisés à chaque annonce du président américain ou de dévaluation chinoise. Cette relation est plus généralement une illustration parfaite de ce que Graham Allison appelait le « piège de Thucydide », c’est-à-dire l’émergence d’une puissance venue contester l’hégémonie d’une puissance déjà établie.

De néo-guerre froide à néo-crise de surproduction ?

Cet accord, bien qu’il ne constitue qu’une sorte de trêve temporaire entre les deux nations, semble donc faire un pied de nez à l’histoire. Face aux ébranlements passés des marchés financiers qui s’étaient produit le fameux mardi noir d’octobre 1929 et le 9 août 2007, cet apaisement relatif permet d’entrevoir une issue positive pour le monde. Les concessions faites par le régime chinois sont donc une belle promesse face à la possible menace de l’implosion des marchés et l’explosion de la bulle spéculative. Ce qui est intéressant, c’est que Trump utilise des arguments historiques pour mener son entreprise. Il utilise l’histoire à son avantage afin de raconter une histoire, de poursuivre l’histoire, son histoire. L’histoire est ici instrumentalisée. Robert Schiller, prix Nobel d’Economie en 2013, soutient cette thèse. Le terme de guerre est prononcé pour attirer l’attention publique et en faire un acteur de premier plan, en l’occurrence le défenseur des intérêts américains. Il n’est donc pas surprenant que le 45ème président des Etats-Unis ait vécu cet accord comme une victoire. Les mots sont donc aussi importants que les faits. L’histoire devient une arme au service de son support électoral.

En outre, la guerre commerciale sino-américaine n’est pas nouvelle, un cas unique dans l’histoire. Cette querelle commerciale n’est qu’une nouvelle dispute pour les Etats-Unis qui ont déjà eu droit à un tel affrontement avec le Japon et la RFA dans les années 1970 et qui avaient abouti à des RVE (Restrictions Volontaires d’Exportation) sur des produits aussi différents que l’électroménager ou l’automobile. Trump s’appuie donc sur des méthodes qui ont fait leur preuve puisque son prédécesseur Ronald Reagan n’avait pas hésité à taxer certains produits électroniques nippons à hauteur de 100%. Cependant, l’histoire permet aussi de faire des comparaisons passé/présent. Ainsi, nous pouvons remarquer que la guerre commerciale qui anime aujourd’hui le monde n’est pas entièrement la même que celle des années 1980 ou des années 1930 qui s’étaient soldées par les conséquences désastreuses du tarif Hawley-Smoot. Effectivement, le monde est désormais interconnecté et interdépendant. Pour concevoir un produit, les importations sont devenues cruciales car la chaîne de production est mondialisée. A l’heure actuelle, ce n’est plus de 20% mais de 40 à 60% de composants étrangers importés dont sont formés les produits semi-finis. L’affrontement commercial est donc bien une tare pour tous les acteurs libéraux du monde.

Et le coronavirus dans tout ça ?

La question est pertinente d’autant que la réponse pourrait en surprendre plus d’un. Non contents de se trouver dans une situation équivalente qui semblerait jouer en faveur de l’apaisement, Chine et Etats-Unis continuent au contraire de se livrer bataille à distance dans un jeu de dupes à grande échelle. Alors que jadis les crises pandémiques (SRAS, Ebola) avaient participé à l’essor d’un mouvement de solidarité entre les Etats-nations, les deux pays jouent désormais la carte de l’isolement. S’il est vrai que la distanciation entre les deux États a permis aux Etats-Unis de retarder la crise – baisse du nombre d’entrées de ressortissants chinois sur le territoire américain en raison de la guerre commerciale –, nul doute qu’aujourd’hui les Etats-Unis, nouveaux cluster principal de l’épidémie, ont renforcé leur haine par rapport à l’« oppresseur » chinois. Et là n’est pas le seul motif qui attise les foudres de M. Trump, furieux par ailleurs que la Chine puisse prétendre que le coronavirus ait été implanté dans la province du Wuhan par l’armée américaine. Les théories complotistes à ce sujet continuent d’émailler la toile, elles qui voient dans cette crise un nouveau moyen de coercition inventé par l’Occident afin de nuire à l’affirmation chinoise. Dans tous les cas, manipulation ou pas, les dispositions lancées par les deux États ont été claires : éviction des journalistes issus du pays adverse. Ces mesures qui traduisent une absence totale de dialogue entre les deux États combinées à la plus grave récession jamais connue depuis 1945, soyez-en sûrs, pèseront lourd dans la balance mondiale.

En bref …

En somme, l’histoire peut avoir de quoi s’insurger quant aux déclarations de M. Trump. Evidemment que le côté inédit de l’accord est à souligner mais cela en fait-il un accord « historique » ? Tout au plus l’histoire nous permet-elle d’apporter un éclairage évident sur la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis pour en contester la nouveauté. Donald Trump a employé l’histoire à ses propres fins politiques et s’en est accommodé de manière à en tirer parti au niveau électoral. Enfin, comme nous regardons le passé avec les yeux du présent, tel qu’ont pu le dire en leur temps Hegel et Croce, cet accord nous permet de revoir en conséquence notre appréciation des guerres commerciales du passé lesquelles auraient donc pu connaître aussi des phases de désescalade comme nous en vivons certaines aujourd’hui.

Raphaël DELAGNES

La mort d’une nation

La semaine dernière, nous apprenions avec grande joie que de preux chevaliers blancs vinrent
mettre un terme à un acte des plus dangereux et des plus inquiétants pour la République : la crèche vivante
de Toulouse. Heureusement que ces braves gaillards emplis de courage sont venus disperser les jeunes
fachos d’une dizaine d’années afin de protéger les valeurs démocratiques. Tout cela bien évidemment dans
le calme, la courtoisie et le respect. Quelles grandes valeurs que de se cagouler à 50 ans pour poursuivre
des méchantes mamans avec leurs poussettes en leur criant des phrases de tolérance et de paix comme : «
stop aux fachos ». Je me sens tout de suite mieux en apprenant cela et je suis heureux que mes valeurs
républicaines et françaises aient été si noblement défendues. Heureusement qu’ils ont combattu avec
fermeté l’héritage de 2000 ans de traditions qui nous rappelle que Noël est une fête de paix et d’amour. Je
suis soulagé de voir que le gouvernement n’a absolument pas réagi, montrant sa grande tolérance et sa
grande magnanimité envers tous les citoyens.

Cessons l’ironie ici, car la situation est bien plus grave qu’on ne le perçoit. Cet acte, qui peut sembler
anodin dans un pays qui connait des violences régulières depuis 2015, est en fait révélateur d’un grand mal.
La déconstruction de ce qui a toujours fait la France : la Nation. Avant toute réaction, prenons le soin de
rappeler ce qu’est la Nation. Ernest Renan la définit comme : « Une nation est une âme, un principe
spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une
est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs
; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir
l’héritage qu’on a reçu indivis ». L’intérêt ici est placé sur le « principe spirituel ». Il y a une entité
supérieure qui nous dépasse, qui traverse les temps et qui façonne la nation France. Ce principe
aujourd’hui tend à disparaître et cela se ressent factuellement.

Nombreux sont les penseurs de France à s’opposer au « progressisme » qui rase et détruit toute
culture, ou en tout cas la culture française. La semaine dernière, lors du discours de la Vertu à l’Académie
Française, Alain Finkielkraut dénonçait « un nouvel ordre moral » qui s’impose à nous. Roméo Fratti
déplorait également la perte de l’héritage culturel de la France. Je pourrais citer ici Michel Onfray
également. La perte de nos cultures et nos traditions conduit inexorablement à la défaite de la Nation et à
l’archipel français si bien décrit par Jérôme Fourquet. – Je prends bien soin de citer des auteurs de gauche
afin de ne pas choquer les jeunes âmes conquises par le nouvel ordre moral. –

Evidemment la théorie est facile, mais vérifions les actes. La nation permet d’unifier un pays, c’est
ce qui fait battre le cœur d’un Etat et lui permet de conserver une unité, et en ce moment nous pouvons
voire le délitement du pays – aveugles sont ceux qui affirmeront le contraire – sur fond de tensions sociales.
Les chiffres sur les violences sur les pompiers ont explosé, la délinquance se fait plus forte, les incivilités
dans les transports augmentent, les violences en région parisienne augmentent. La haine entre citoyens se
fait souvent sentir : les réseaux sociaux, les médias, la rue. L’impression est donnée que la France est un
lieu où se situent des individus très différents qui ne veulent pas vivre ensemble. Caractéristique de
l’absence de la nation. Pourtant rassembler la nation n’est pas difficile.

En effet, le nouvel ordre moral en France cherche à faire disparaître toute trace de l’Histoire
de France qui puisse être glorieuse. Qu’apprenons-nous à l’école de l’histoire de France ? Napoléon III
est un inconnu. Seuls Louis XVI et Louis XIV sont enseignés, à la limite Henri IV. Qui sont Richelieu,
Jeanne d’Arc, Saint Louis, Louis VII ou Philippe Ier ? Qu’a fait Napoléon pour la gloire de la France mis
à part le Code Civil et la Légion d’Honneur ? Que sait-on de la construction de la France ? En réalité
rien. Il n’y a aucune allusion à l’histoire glorieuse de France. On essaye d’enseigner aux élèves que la
France c’est 1789, 1905 et 1968. Hors de ces trois dates, il semble que la France n’existe pas. Et pourtant, son
histoire est riche d’enseignements. Pourquoi la France est pleine de châteaux et d’églises ? Comment la nation
et l’Etat se sont constitués en France ? Pourquoi la France a son territoire actuel ? Quelles sont toutes les
grandes mesures prises dans l’histoire qui ont conduit à la France d’aujourd’hui ? Car les mesures existent
depuis bien longtemps en France et contrairement à l’image répandue dans la pensée commune, la
monarchie et le Moyen-Age ne sont pas des périodes sombres, reculées et sans savoir. La France ce n’est pas
que la République et la Révolution. March Bloch disait avec justesse : « Il est deux catégories de Français qui ne
comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims et ceux
qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération.
Peu importe l’orientation présente de leurs préférences. Leur imperméabilité au plus petit jaillissement de l’enthousiasme collectif suffit à les condamner. ». Il faut se souvenir que la France compte la Révolution mais aussi 1500 ans de catholicisme et de monarchie, des empires…

Malheureusement la perte de l’histoire, le rejet des traditions et de la culture posent un grave
problème. De tout temps les habitants de la France étaient fiers de leur pays et considéraient qu’il y avait
plus grand qu’eux : l’Etat, la Nation, Dieu. Ce sont pour ces valeurs qu’ils se battaient pour défendre leur
pays face à l’envahisseur anglais, allemand… Mais qu’en sera-t-il demain s’il faut à nouveau défendre la
liberté et vaincre un totalitarisme ? Qui ira combattre pour la France parmi tous ceux qui la rejettent, qui
rejettent son histoire, son existence, sa culture, ses traditions ? Un regard sur l’armée nous montre la
présence d’un vrai collectif soudé autour de traditions, d’héritage et de culture. Certains contestent
l’armée, ou la dénonce comme place de « fachos ». Mais ces hommes donnent leur vie pour la France et
pour la vie des autres. Heureusement que ces « fachos » sont là pour aller chercher des otages, combattre

le terrorisme et protéger les citoyens. L’analyse du général Pierre de Villiers converge dans ce sens, l’unité
passe par des passions communes, de l’échange et de la transmission de valeurs.

La perte de toutes ces valeurs est aussi à l’origine de la situation politique actuelle. Il semble
en effet qu’un Alzheimer collectif touche nos politiciens et particulièrement chez le groupe LREM.
Ferrand, Bayrou, Delevoye, De Rugy… La liste est longue, et le nombre record de démissions nous
rappelle bien que Macron est le chevalier blanc de la transparence et du nouveau monde. Sans oublier
que la peine des Français semble bien loin de la conscience de ces hommes. Si la nation était solide, si
chaque français apprenait à aimer la France de tout son cœur et de toute son âme, nous aurions des
gouvernants qui ont la même vision que Richelieu, Napoléon ou De Gaulle, c’est-à-dire la France et les
Français d’abord.

C’est aux Français de réagir, de se saisir à nouveau de ce qui leur appartient : l’histoire, la
culture et la démocratie. Prenons garde aussi à bien comprendre les actes que nous posons. Bossuet
disait à cet effet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. ».
En cette période de Noël il est bienvenu d’accueillir à nouveau l’espoir et la lumière du monde afin de
renouer avec notre héritage et de reconstruire la nation. La France n’en sera que plus forte.

A. B.

1,2,3 Viva l’Algerie

1,2,3 Viva l’Algerie

Cet Etat puissant est à la fois le plus grand pays d’Afrique, du monde arabe mais aussi du bassin méditerranéen. Il est le troisième fournisseur de l’Union Européenne en gaz naturel et recèle dans son sous-sol d’immenses gisements de phosphate, de zinc, de fer ou encore d’or.
Il a cependant connu des coups durs dans son passé. Après 132 ans d’une présence coloniale française tenace et meurtrière qui a pris fin officiellement le 5 juillet 1962, s’en est suivi la « décennie noire » où ce beau pays s’est déchiré, provoquant selon
les estimations jusqu’à 200 000 morts.

Mais qu’est-ce que la décennie noire ?
La décennie 1980 est considérée comme un sujet tabou en Algérie. Cette « décennie du terrorisme » qui a opposé le gouvernement algérien et plusieurs groupes islamistes, aura fait près de 150 000 morts. Elle s’achève en 2002 avec la victoire des forces du gouvernement.
Les conséquences de ce conflit sont multiples : on observe un désengagement de la part de l’Etat algérien, un appauvrissement de la population et un développement de la corruption. Pour beaucoup de responsables militaires actuels, l’effondrement du système politique est le résultat de cette « décennie noire ». Les tensions politiques qui ont caractérisé́ la fin de la décennie 1980 et le début des années 1990 semblent refoulées hors du champ politique. En fait, la reconfiguration de ce dernier, depuis l’accession d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1998-1999, laisse apparaitre une nouvelle grille de lecture de la scène politique algérienne.

Vers un printemps algérien ?
La mobilisation de millions d’algériens à travers le territoire national a commencé le 22 février 2019, quelques jours après que Bouteflika a annoncé son intention de convoiter un cinquième mandat. Ce mouvement de contestation ne s’est jamais produit
depuis l’indépendance de 1962. En effet, il y a huit ans se déroulait le printemps tunisien mais les algériens sont
formels, ils ne veulent ni larmes ni sang.
Depuis, la jeunesse algérienne se mobilise contre la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat. En effet, des milliers d’Algériens ont pris possession des rues pour crier leur soif de rupture, de changement et de renouveau. Ce jour-là est né le « Hirak » qui signifie « mouvement » en arabe, représentant donc le mouvement de contestation populaire.
Certains, parmi cette jeunesse, sont nés et ont grandi sous le parapluie de Bouteflika, et maintenant ils lui demandent de céder sa place. Traumatisée par les violences de la décennie noire qui ont bordé son enfance, elle veut aujourd’hui démontrer sa maturité politique en réinvestissant l’espace public, et ceci, depuis presque un an. Le peuple réclame l’indépendance de l’Algérie et a besoin de nouveaux visages représentatifs de ce grand pays. Il ne veut plus que les responsables décident à sa place. Sofiane, issu d’une famille aisée, compare même le système politique algérien de « fossile » et se demande pourquoi la transition démocratique a été possible en Éthiopie ou encore au Kenya, et pas en Algérie.

Réactions mitigées
C’est finalement le 11 mars 2019 que le président Bouteflika annonce à la nation qu’il n’avait pas l’intention de se présenter à un mandat supplémentaire en raison de sa santé préoccupante. En s’engageant dans ce texte « à remettre les charges et les prérogatives de président de la République au successeur que le peuple algérien aura librement élu », M. Bouteflika laisse entendre qu’il restera chef de l’Etat après expiration de son mandat, le 28 avril 2019. Il provoque des réactions mitigées de la part des Algériens. Abdelkader Bensalah a donc été président par intérim d’un point de vue constitutionnel depuis le 9 avril 2019.

Présidentielle en Algérie
Dans toutes les grandes villes du pays, on peut entendre le slogan « Seul candidat, le peuple » ces dernières semaines. Aujourd’hui, le peuple ne veut pas qu’on lui impose des candidats mais il veut pouvoir choisir par lui-même. Cette rage s’exprime par l’abstention record du 12 décembre 2019, que l’on peut très certainement qualifier de record car les journalistes estiment le taux de participation à seulement 39,93%. Les algériens rejettent l’élection avec ces 5 candidats proposés à la présidentielle car pour beaucoup, ces candidats sont d’anciens représentants du régime de Bouteflika. De plus, leur âge est remis en question puisqu’ils ne semblent pas représenter le mouvement du « Hirak », la vitrine de la jeunesse algérienne. Par conséquent, suite à la victoire du nouveau président Abdelmadjid Tebboune, un ancien ministre du président Bouteflika avec 58,13% des voix, certains évoquent une mascarade électorale. Le mouvement « Hirak » n’accepte clairement pas cette victoire et la nation continuera à sortir jusqu’à la concrétisation de ses revendications.

Haïda Boukerma

Que retenir du grenelle des violences conjugales ?

Que retenir du grenelle des violences conjugales ?

Le Grenelle sur les violences conjugales s’est achevé le lundi 25 novembre, journée internationale
contre la violence à l’égard des femmes, après deux mois de rassemblements locaux dans toute la
France. Il aura fallu que les réseaux sociaux s’en mêlent pour que la puissance publique prenne le
problème à bras le corps.

A la mi-octobre, 121 femmes étaient tuées par leur mari sur le territoire français, soit autant que sur
l’année 2018 complète. Les statistiques sur les féminicides montrent une hausse des violences, mais
ces chiffres cachent une réalité plus complexe, découlant d’une prise de conscience collective qui
débouche sur un décompte plus précis et plus juste qu’auparavant.
Les violences conjugales, dans l’imaginaire collectif, se limitent aux situations dans lesquelles des
hommes portent des coups, parfois mortels, à leur épouse. Pourtant, cette expression porte un sens
bien plus large : il s’agit d’un processus au cours duquel un partenaire utilise la force ou la contrainte
pour perpétuer ou promouvoir des relations hiérarchisées et de domination. Ces violences peuvent
donc être aussi bien physiques que psychologiques, et concernent deux personnes qui entretiennent
ou ont entretenu une relation de couple quelle qu’elle soit.

Le chef du gouvernement Edouard Philippe a annoncé un panel de mesures dans le but d’apporter
des solutions et d’adapter le système judiciaire à ce défi de sécurité publique.

« Des mesures d’urgence »

En premier lieu, le Premier Ministre a annoncé avoir travaillé sur une meilleure prise en charge des
victimes en permettant l’accès à une ligne d’écoute jour et nuit au numéro 3919. En ce qui concerne
la problématique du logement, le chef du gouvernement a reconnu la difficulté pour les femmes
victimes de violences conjugales de quitter le domicile familial, en particulier lorsque le couple a des
enfants. Il a donc demandé l’ouverture de 1000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires au
1 er janvier 2020, dédiées aux femmes et à leurs enfants, ainsi que l’accès à la garantie Visale, caution
locative gratuite, aux femmes violentées.

Les mesures à l’encontre des hommes violents vont également être durcies : les hommes contre
lesquels une plainte a été déposée vont être équipés d’un bracelet anti-rapprochement afin de
garantir la sécurité de la plaignante au moyen de la localisation GPS des membres du couple. De plus,
un père violent pourra être démis de son autorité parentale ou voir cette dernière être aménagée,
dès le dépôt de plainte.

Le Premier Ministre a ensuite souligné l’importance de la prévention des violences physiques par
l’identification de signes avant-coureurs. Dans cette perspective, la notion d’emprise est en passe
d’être inscrite dans le Code Civil et dans le Code Pénal. Etant donné que les violences physiques sont
souvent consécutives à des violences psychologiques, Edouard Philippe a ainsi déclaré : « L’emprise
conjugale, c’est la prise de possession d’un membre du couple par l’autre qui s’installe de manière
progressive et implacable, parfois même sans que la victime ne s’en aperçoive et qui s’apparente à
un enfermement à l’air libre. » Dans une perspective de prévention, il sera également possible pour la
justice de retirer le droit à la détention d’une arme à feu à des hommes présumés violents. Un suivi
psychologique de proximité est d’ailleurs préconisé par le gouvernement, qui avait annoncé début
septembre un objectif de deux centres pour hommes violents par région.

La formation des forces de l’ordre a aussi été évoquée : il est question de fournir une grille
d’évaluation de la violence constituée de 23 questions que les policiers et gendarmes devront poser
aux plaignantes. Cette grille a été élaborée sous l’égide de Marlène Schiappa et vise à ce que les
plaintes soient davantage prises au sérieux afin d’instaurer un climat de confiance entre les victimes
et les forces de l’ordre. En effet, on estime que seules 16% des victimes de violences conjugales
portent plaintes, notamment car elles craignent de ne pas être crues et de subir des représailles de la
part de leur conjoint. De plus, davantage d’intervenants sociaux devraient être missionnés dans les
commissariats dans les mois qui viennent.

Enfin, la formation ne s’arrêtera pas aux forces de l’ordre : Edouard Philippe compte éradiquer la
violence à la racine en sensibilisant les jeunes aux problèmes de violences conjugales, corrélés à la
place des femmes dans la société. Dorénavant, les enseignants vont recevoir une formation sur les
langages et comportements à adopter pour ne pas reproduire les stéréotypes genrés à l’école.
L’égalité des sexes fera également l’objet d’un conseil de la vie collégienne et lycéenne afin d’évaluer
la situation des établissements sur le sujet, et un module obligatoire sera dédié à la sensibilisation
contre les violences conjugales pendant le Service National Universel. Pour finir, « un document
unique de signalement » sera proposé aux institutions scolaires afin de faciliter les démarches
lorsqu’un enfant victime ou témoin de violence a été identifié.

Un grenelle satisfaisant ?

Certains observateurs dénoncent un « coup de communication » de la part du gouvernement, qui
mettrait l’accent sur des mesures qui existaient auparavant, de façon officielle ou non, sans
augmenter significativement le budget qui leur est alloué.
Les spécialistes donnent des pistes pour compléter ces mesures. La première serait de lever le secret
médical en cas de suspicion de maltraitance. Cette proposition est actuellement en discussion dans
les cas « d’urgence absolue, où il existe un risque sérieux de renouvellement de violences » selon les
mots d’Edouard Philippe. Toutefois, une autre école de pensée estime que cette mesure serait
totalement contreproductive, puisque les victimes pourraient simplement se détourner du milieu
médical. Une réflexion plus globale sur ce grenelle montre le silence relatif qu’il existe sur d’autres
configurations des violences conjugales : dans un couple homosexuel, de la femme vers son mari…
Or, dans la définition même des violences conjugales, il n’existe aucune mention de genre.

Il existe ainsi un tabou persistant sur les violences conjugales, qu’elles soient physiques ou
psychologiques, et si l’intention de ce grenelle était justement de les lever, certains aspects ont été
oubliés. En revanche, il est important de noter qu’un grenelle sur les violences conjugales est déjà un
pas en avant en ce qu’il révèle le phénomène au grand jour. Impossible aujourd’hui de fermer les
yeux. Reste maintenant à savoir si le budget retenu suffira à mener des actions concrètes pour faire
évoluer les mentalités en profondeur et réellement protéger les victimes.

Marie-Esther Duron