Du blasphème : entre fanatisme religieux et irrévérence française ?

Le boycott de produits français mais plus généralement le sentiment anti-France ne cessent de sévir dans certains pays musulmans du Moyen-Orient et du Maghreb suite aux republications des caricatures de Charlie Hebdo représentant le prophète Mohammed (ou Mahomet en français). S’il n’est pas question ici de nier la liberté de ces pays de montrer leur mécontentement par des pratiques telles que le boycott, il semble toutefois légitime de s’arrêter sur la notion à partir de laquelle tout a commencé, c’est-à-dire le blasphème. Que constitue une remarque blasphématoire ? Est-elle différente de la critique académique ? Ne peut-on plus critiquer l’Islam, comme on l’entend souvent ou la France est-t-elle allée trop loin ?

Rappel des faits

A vrai dire, l’élément déclencheur de ce déversement n’est plus à rappeler tellement sa cruauté et sa barbarie ont laissé la France sans voix : la décapitation brutale par un jeune Tchétchène du professeur d’histoire Samuel Paty, dont le seul crime avait été de montrer des caricatures du prophète en classe dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. Pour ne pas céder à la menace terroriste islamiste et dans un geste fort et provocateur, les caricatures sont publiées une nouvelle fois et Emmanuel Macron martèle que la caricature, vraie tradition française, ne sera jamais abandonnée.  C’est la goutte de trop pour une partie du monde musulman, persuadé que la persécution islamophobe règne en maître sur le territoire français. En effet, Shireen Mazari, la ministre pakistanaise des droits de l’Homme assure que le président Macron « fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux Juifs ». Eh bien oui, pourquoi ce pays qui n’est pourtant pas musulman et ne l’a jamais été se permet-il de représenter leur prophète dans des positions plus qu’abjectes ? Des groupes d’internautes lancent alors un hashtag pour appeler au boycott des produits français dans les supermarchés. On voit des manifestations de plusieurs milliers de personnes brandissant des pancartes anti-France et brûlant des mannequins du président de l’Hexagone. Des ressortissants Français dans ces pays reçoivent des menaces tandis que leur pays d’origine les invite à la prudence. 

Avant d’en discuter les raisons, il est important de mentionner que cette vague de mécontentement se serait déjà légèrement calmée depuis une intervention du président français sur la chaîne Al Jazeera et que les boycotts n’auraient jamais vraiment pris (à part pour des produits comme la vache qui rit, allez savoir) puisque poussés par des groupes minoritaires. 

Rappelons également la définition de blasphème puisque cette notion sous-tend toutes les autres qui vont être abordées ici. Le blasphème est une parole ou un discours (non un acte, ce serait alors un sacrilège) qui outrage la divinité, la religion ou tout ce qui est considéré comme respectable ou sacré. Nous pouvons donc faire la différence entre la critique académique voire théologique des textes religieux et la façon dont ils sont appliqués et le légèrement véhément « ta religion, c’est de la merde ». Bien que les deux soient tout à fait légaux en France, ils n’ont, vous vous en doutez, pas les mêmes répercussions diplomatiques, surtout quand la seconde occurrence est beaucoup plus médiatisée que la première. 

Le problème tortueux de la critique de l’Islam aujourd’hui

Le problème s’est posé durant les affaires Mila et des caricatures de Charlie Hebdo ainsi que la tragédie de Conflans Sainte Honorine. Sur les réseaux sociaux, une déferlante d’injures et de menaces prévisibles fusent. L’Islam a été bafoué une nouvelle fois par des païens et il est du devoir de chaque musulman de riposter. Or ce manque de froideur d’esprit et de raison devant des insultes bien enfantines dans le cas de Mila, qui ne feraient l’objet que de mépris en temps normal, sont le résultat selon certains penseurs et historiens de l’Islam, d’une crise de l’autorité religieuse au sein du monde musulman. Comme l’Eglise Catholique a connu ses grandes ruptures par rapport au Pape à la fin du XVème siècle, l’Islam suit des courants contradictoires en fonction des régions, qui rendent une unicité de la parole religieuse islamique tout bonnement impossible. Aucune parole autorisée qui s’imposerait à la majorité des fidèles, aucune médiation universelle, aucune institution ne font l’unanimité. De même, la pluralité juridique islamique n’est pas d’accord sur la punition devant être accordée au crime de blasphème (vous comprendrez donc que l’idée selon laquelle tout blasphémateur doit être décapité n’apparait pas vraiment dans le Coran, encore moins pour des blasphémateurs non-musulmans de surcroit).  Or c’est cette division qui a permis à certains courants extrêmes comme le salafisme d’envahir la vision de la religiosité islamique sunnite*. Le salafisme est un terme plutôt vague qui remonte à la fin du Moyen Age. Cette doctrine conservatrice avait déjà à l’époque pour ambition de lutter contre les innovations religieuses et restaurer un Islam « pur ». Il donne naissance au wahabisme au 18ème siècle et à une nouvelle forme de salafisme, celle qu’on connait aujourd’hui, à partir du 19ème siècle. Le salafisme prône le retour à l’Islam du temps de Mahomet, une approche rigoriste et littérale, qui refuse toute interprétation, car ce serait s’écarter de la loi divine. Il veut également faire de l’Islam plus qu’une voie spirituelle, mais un guide qui régit absolument tous les aspects de la vie terrestre avec des normes finalement peu compatibles avec le monde moderne.

L’expansion du salafisme explique en partie l’appauvrissement intellectuel dans le cadre de la spiritualité islamique de nos jours sans que ce soit l’unique raison. Le culte religieux devient de plus en plus la conséquence d’un héritage parental ou culturel presque obligatoire plutôt que la logique conclusion d’un raisonnement spirituel et intellectuel. La religion dans ce cas-là peut devenir, même si ce n’est pas automatique, du fanatisme. A force de suivre des règles sans se poser de questions, la bonne mise en pratique de ces règles devient bien plus importante que les règles elles-mêmes. 

Pourtant, historiquement, les règles ne reposaient pas sur des fondements intouchables. La tradition de la controverse dans l’Islam s’est perdue alors que la critique théologique de l’Islam ne faisait pas débat du 9ème jusqu’au 13ème siècle et notamment sous la dominance du califat Abbasside. Il était normal et même de rigueur de critiquer l’Islam en présence de théologiens musulmans, et ces critiques venaient dans de nombreux cas de libres penseurs et d’hommes de communautés religieuses différentes. Une tradition herméneutique et chercheuse de sens du Coran s’est peu à peu effacée devant le recours exponentiel aux hadiths (le recueil des paroles et des actes de Mahomet à propos de ses commentaires sur le Coran ou sur des règles de conduite à adopter). Si le Coran est un texte complexe dont la lecture littéraliste a peu de sens, les hadiths, eux, se trouvent en abondance et peuvent répondre à toute situation : il suffit juste de trouver la bonne règle et l’ériger en argument d’autorité.

Le monde musulman, très divisé, produit des fidèles extrêmement loyaux à une parole qui ne fait pas l’objet de questionnements ou de critiques, une vision de la religion qui n’est pas sans rappeler la ferveur chrétienne du Moyen Age en Europe, mais qui contraste fortement avec la laïcité et la tradition anticléricale française qu’on observe actuellement. La France, pays le plus laïc au monde, s’est-elle aussi désaffranchie d’une certaine réalité ?

La France, le blasphème et la liberté d’expression

La position juridique en Europe sur la pratique du blasphème est plus compliquée que la simple liberté de pouvoir s’exprimer sur n’importe quelle religion même si la liberté d’expression figure évidemment dans la Convention des Droits de l’Homme. La preuve en est qu’en 2018, la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a pas remis en cause la condamnation pour blasphème par la justice Autrichienne, d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff. Celle-ci avait qualifié le prophète musulman de « pédophile » alors qu’elle participait à une conférence d’un parti d’extrême-droite autrichien il y a déjà plus de 10 ans. La CEDH a considéré qu’il s’agissait d’une atteinte à « la paix religieuse », qu’on doit entendre ici comme la menace d’un trouble à l’ordre public. La cour laisse aussi une grande marge de manœuvre aux Etats et a considéré que le verdict de la justice Autrichienne était valable, sachant que le pays sanctionne « l’humiliation au dogme religieux ». D’ailleurs, les pays européens ayant réellement abrogé le délit de blasphème (sans le remplacer par des dispositions plus subtiles) sont très peu nombreux ; l’Angleterre, par exemple, fait partie de cette catégorie.

Pour ce qui est de la France, c’est une loi de 1881 qui abolit définitivement le délit de blasphème et d’atteinte à la morale religieuse, mais elle sera amendée en 1972 par la loi dite Pleven, qui y ajoutera quelques restrictions, notamment les délits d’injure, de diffamation ou encore de provocation à la haine pour l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Tout cet imbroglio juridique rend l’interprétation des textes de loi compliquée et laisse place encore de nos jours au débat suivant : insulter une religion ou des symboles religieux, ne serait-ce pas d’une certaine manière insulter les croyants ? 

Bien sûr, en France la préservation de la « paix religieuse » n’a pas lieu d’être puisque ces considérations sont étrangères à l’Etat. Cependant, la loi Pleven est clairement la preuve que l’Etat a sûrement anticipé, déjà à l’époque, les potentiels troubles qu’un droit au blasphème absolu aurait sur une population nationale qui commençait alors à se diversifier. 

Si l’ordre public national français s’en trouve définitivement ébranlé aujourd’hui, les répercussions ont aujourd’hui un caractère diplomatique qui dépasse les frontières mêmes de l’Europe. La « paix religieuse » n’était donc pas une considération si vaine, au regard de la guerre culturelle qui se joue aujourd’hui. 

Revenons à la définition du blasphème donnée plus tôt ; la critique académique de n’importe quelle religion n’est pas blasphématoire (bien qu’elle ait pu l’être dans le passé pour la religion catholique, comme l’exemple de Galilée et ses réserves sur la véracité scientifique de certains éléments bibliques le montre). Elle fait même partie de la religion et du chemin spirituel qu’elle suppose. La simple insulte relève cependant du blasphème, de la provocation. Les caricatures de Charlie Hebdo représentant le prophète dans des positions pornographiques ou les insultes de Mila sur les réseaux sociaux sont bien du blasphème. Mais ils sont dans leur droit et la violence dont ils ont été victimes est abjecte et injustifiable. Mais la visibilité que leurs détracteurs comme leurs défenseurs leur ont donnée, ne ternit-elle pas une certaine image de la France ? Doivent-ils obligatoirement devenir les nouveaux visages de l’irrévérence française qu’on aimait tant applaudir et admirer fut un temps et être érigés sur des piédestaux comme chantres de la liberté d’expression ?  Ces images sont-elles dignes d’être défendues par notre pays ? Est-ce là l’épitome du rayonnement culturel dont s’est toujours prévalue la France ? Les caricatures qui n’apportent rien de Mahomet dans des positions suggestives ne sont une avancée ni pour la critique religieuse, ni pour l’art, comme « le doigt dans le cul » de notre jeune adolescente anticléricale.

 Il n’est pas question de limiter la liberté d’expression, mais de s’interroger sur  la manière dont il faut en faire usage. Ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que la liberté peut être sans limite dans une société d’une grande mixité.

Si certains déclarent que seuls les musulmans sont gênés par cette possibilité de blasphémer, et que la France chrétienne ne bronche pas devant l’insulte faite aux symboles et figures chrétiens, il n’en est pas moins sûr. L’archevêque de Toulouse s’est exprimé récemment sur un droit de blasphème qu’il juge discutable, et il ne doit pas être le seul de sa communauté à le penser. 

Le combat de la France n’est pas seulement un combat d’influence contre le monde musulman, c’est aussi le refus de comprendre que son rejet du sacré n’est pas accepté par un grand nombre de pays. La France, ne ferait-elle pas preuve d’une sorte de fanatisme à son tour, quand ses positions sont toujours qualifiées d’« indiscutables » et que sa liberté ne trouve jamais de limite, pas même celle du respect ? La question se pose.

Sarah Vautey

*La différence sunnites/ chiites : les deux mouvements bâtissent leur démarcation à partir d’un schisme religieux qui a eu lieu en 632, soit à la mort du prophète Mahomet. Les futurs chiites considèrent que son successeur légitime est Ali, son gendre, tandis que ceux qui deviendront les sunnites lui préfèrent l’un des compagnons de Mahomet, Abou Bakr.

Les autres différences sont de l’ordre de l’organisation du clergé. Les sunnites voient le Coran comme une production divine et confondent l’autorité politique et religieuse (roi du Maroc par exemple). Les chiites, quant-à-eux, considèrent le Coran d’abord comme une production humaine (même si sacrée) et le pouvoir politique ne fait pas office d’autorité religieuse (il y a des figures distinctes comme les ayatollahs).

 

Sources et pour plus d’informations sur ces sujets : 

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/06/20/au-fait-quelle-difference-entre-sunnites-et-chiites_4442319_4355770.html

https://www.franceculture.fr/histoire/representer-mahomet-les-evolutions-de-lislam

https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/la-critique-de-lislam

https://www.institutmontaigne.org/blog/le-blaspheme-en-france-et-en-europe-droit-ou-delit

 

Pourquoi les gens intelligents croient-ils à des conneries ?

Pourquoi les gens intelligents croient-ils à des conneries ?

On a tous rencontré quelqu’un d’intelligent, quelqu’un avec un diplôme d’ingénieur, avec même un doctorat, des entrepreneurs, des philosophes ou de grands romanciers ; bref, des gens brillants qui, pourtant, croient à des choses stupides. Cela peut être l’astrologie, l’homéopathie, l’étude des anges, le communisme, le chamanisme, les fantômes ou les produits bio. Pourquoi des gens qui semblent plus intelligents que nous croient-ils à des choses qui sont très clairement absurdes ?

Face à ce paradoxe, on peut proposer trois réponses possibles. La première, c’est d’en conclure que, contrairement à ce que suggèrent leurs diplômes et publications, ces gens sont tout simplement très bêtes. C’est une réponse simple, mais aussi illogique. En suivant ce raisonnement, toute personne avec une croyance ridicule serait stupide. Sir Isaac Newton, possiblement le plus grand physicien de l’histoire, l’inventeur du calcul, de la loi de la gravitation universelle, de la mécanique classique, aurait donc été un abruti. Il croyait à une pseudoscience que l’on appelle la numérologie. Cette croyance défend que des additions sur certains chiffres arbitraires associés à une personne – comme sa date de naissance – sont un moyen de prédire son avenir. Il me semble prudent de dire que Sir Isaac Newton avait un esprit au-dessus de la moyenne. Donc,  d’après cet exemple de la vie réelle, toute personne croyant à des choses stupides ne peut pas être stupide.

La deuxième réponse possible est que, en réalité, leurs croyances ne sont pas du tout absurdes. En vérité, les raisons pour lesquelles ils croient à ces choses ridicules seraient tellement sophistiquées que nos petits esprits n’arriveraient jamais à les comprendre. Il faudrait donc les croire par argument d’autorité. Mais il y a aussi un problème avec cette conclusion. Tous les scientifiques, les philosophes et les gens que l’on considère généralement intelligents ne sont pas d’accord sur beaucoup de sujets. Il y a beaucoup de biologistes athées, mais il y en a aussi qui sont croyants. Il y a certains médecins qui croient à l’homéopathie, mais il y en a aussi qui assurent que ce n’est qu’une arnaque. Tous les gens brillants ne peuvent pas avoir raison.

Il nous reste la troisième et plus malheureuse conclusion. Elle est malheureuse parce qu’elle rend la tâche de choisir ses croyances beaucoup plus compliquée. En réalité, toute personne, malgré son intelligence, pourrait avoir tort. Ce qui est pire, une personne capable de mener des raisonnements sophistiqués peut plus facilement trouver les contorsions intellectuelles nécessaires pour justifier les idées les plus folles. Hitler n’était pas con, Staline non plus. Vous connaissez sûrement des gens avec une capacité de débat aussi élevée qu’ils pourraient convaincre n’importe qui que la Terre est plate et que la Lune n’existe pas.

Cela dit, ce n’est pas un secret que les gens peuvent se tromper. Mais arrêtez-vous un moment ici et réfléchissez deux minutes. Quelles sont les conséquences du fait que toute personne – peu importe que ce soit Albert Einstein ou Isaac Newton – puisse être convaincue d’une idée fausse ? Bien évidemment, Newton ne savait pas qu’il avait tort. Où en restons-nous, simples mortels, face à eux ? Si ces géants ont pu embrasser des idées si absurdes et les défendre comme nous défendons la liberté, croyez-moi, vous et moi, nous pouvons faire pareil. Et nous ne nous en rendons pas compte. Je suis prêt à parier que vous et moi, nous avons en ce moment une bonne quantité d’idées fausses, contradictoires et dangereuses dans nos esprits. Le vrai problème, c’est la tâche de repérer les mauvaises idées.

Faut-il donc abandonner toutes nos idées reçues ? Faut-il tout simplement arrêter de chercher la vérité et tomber dans le nihilisme ? Bien sûr que non. Je vous propose une autre alternative, souvent énoncée mais peu appliquée. Que ceci soit un rappel du principe de la liberté d’expression. En ce temps où des groupes politiques cherchent à nous diviser, soyons prêts à changer d’avis. Privilégions les débats aux conférences. Écoutons souvent des idées contraires à ce que nous croyons, même – et surtout si – elles nous paraissent offensantes. La prochaine fois que quelqu’un nous parle d’un point de vue stupide ou offensant, écoutons-le et posons-lui des questions. Que vous soyez un prix Nobel, le chef d’une entreprise ou un simple étudiant, vous pouvez, vous aussi, changer d’opinion. Aucune idée n’est sacrée (sauf celle-ci, bien évidemment).

Alejandro A O

La démocratie effective, un fantasme?

Depuis quelques années maintenant les démocraties occidentales comme la France, connaissent ce que bons nombres d’observateurs et d’observatrices appellent: «la crise de la démocratie». Cette crise se manifeste notamment par une remise en question profonde de l’idéal démocratique mais surtout, parla critique radicale de la possibilité qu’une démocratie effective puisse exister. Que ce soit parce qu’elle serait un système politique qui vise irrémédiablement vers la corruption du peuple, ou des élu.es ou parce que ce système politique est inefficace et que le risque de la dictature de la majorité, qui faisait si peur à Tocqueville, est trop fort et insoutenable pour les citoyen.nes les plus éclairé.es.

En quelque sorte la foi dans la démocratie comme moyen de libérer l’humain des chaînes dont il était prisonnier, semble s’être définitivement consumée. Beaucoup de critiques viennent aussi pointer du doigt le fait que nos démocraties sont factices, et au service du grand capital et des élites. Que les humains seraient trop «imparfaits» pour vivre dans une démocratie effective, et qu’elle ne serait qu’une utopie voire un fantasme qui ne nous servirait que de guide dans nos actions, comme une sorte de religion politique. D’autres penseront comme Platon dans La République, que la démocratie est inefficace et une honte de la raison car elle mettrait possiblement des incompétent.es en capacité de diriger. Ce que Platon n’avait sûrement pas imaginé c’est que les incompétent.es puissent être celleux qui sont désigné.es comme les plus à même d’être des dirigeant.es.

Cependant, il faut que nous nous posions la question sincèrement, qu’est-ce qu’une démocratie effective? Et est-elle un fantasme comme le pense certain.es?

Si nous posons la démocratie effective comme le système politique qui donne le pouvoir au peuple, pour le peuple et par le peuple. Nous avons une vision lointaine mais plutôt fidèle de ce que doit être une démocratie. C’est peut-être le système politique le plus simple à définir. Pour autant, sa mise en place effective semble être complexe. La démocratie effective est complexe essentiellement parce que dans son corpus philosophique elle pose chaque individu d’une société donnée comme l’égal de l’autre. Et ce malgré la tendance humaine universelle ethnocentrique, mais aussi de la structure hiérarchique des sociétés humaines depuis le néolithique. Une égalité non pas restrictive comme nous la connaissons. Ce n’est pas une égalité qui se comprend comme le fait d’avoir «la chance» de pouvoir toustes voter tous les 5 ans pour quelques personnes. Non, c’est l’égalité dans la prise de décision, et dans le rang. Chaque individu, dans une démocratie effective, possède une voix qu’iel peut faire entendre et à tout moment de sa vie sociale. La démocratie effective se comprend comme un système politique où chaque membre de la société participe à égalité avec son.sa voisin.eaux affaires des localités dans lequel iel vit.

Mais qu’est-ce que suppose une telle nécessité? Elle impose nécessairement un découpage de la vie politique. Un découpage le plus fin possible et cohérent possible, par quartier par exemple. Imaginez une société où chaque quartier possède plusieurs assemblées, chaque assemblée traitant d’un sujet précis. Chaque sujet éclairé par des chiffres, des rapports et autres à la disposition du citoyen et de la citoyenne permettrait ainsi de débattre sur les décisions à adopter –de faire émerger ce que Rousseau appelait la volonté générale. Ensuite permettrait de prendre des décisions en accord avec les besoins du quartier. Imaginez un pays comme la France, où chaque localité ferait cela. Plus besoin de pouvoir central, ou de personnes élues qui géreront de loin les affaires de tous les jours. Les grandes affaires se feraient toutes seules comme dans un mécanisme dans lequel chaque rouage travaille unitairement pour faire tourner une horloge. Car la possible corruption du peuple comme celui des élu.es n’est possible que si ces deux rouages de la vie démocratique sont dissociés. L’un est soumis à la faiblesse de l’individu face aux pressions extérieures. Et l’autre aveuglé par manque de pratique de la démocratie, se laisse guider par des pseudos prophètes politiques qui ne flattent que leur intérêts de classe, sans penser à l’ensemble.

Cependant, une telle mise en place de la démocratie suppose une reconsidération totale de notre organisation sociale. Tout organe hiérarchique, et toute hiérarchie au sens large du terme doit disparaître. Car vous ne pouvez pas, dans une démocratie effective avoir des individus ayant un pouvoir que les autres n’auraient pas. Imaginez le même système précédemment décrit et ajoutez-lui une police. Un organe hiérarchique du fait que quelques individus seraient en mesure de contraindre les libertés d’autrui. Qu’est-ce qui empêcherait ces personnes de prendre le pouvoir? ou de faire dévier la volonté générale de telle ou telle assemblée? Rien. Pour qu’une société démocratique puisse être effective il est nécessaire, que toutes les individualités soient égales devant la loi, dans l’administration de la société. La force il me semble d’une démocratie effective, réside dans le fait d’adjoindre chaque individu dans le processus de décision et de construction de la société. Et étant donné cette intégration, elle responsabilise chaque individu sur sa tâche au sein de la société. Chaque individu ne verrait pas dans un abribus une chose étrangère à ellui même, mais y verrait le prolongement de son engagement démocratique et le respecterait comme il respecterait les lois dont iel a participé à l’élaboration. Pourquoi vouloir détruire son propre ouvrage ? La menuisière ne va pas détruire l’ouvrage qu’elle a mis tant de temps à réaliser. L’humain d’une démocratie effective aurait le même comportement face à son environnement.

Est-ce possible? Oui, et plus que jamais aux vues des impératifs écologiques qui vont nous pousser à devoir repenser nos modèles économiques et donc sociaux. Il me semble que la gestion démocratique de la vie sociale s’accorde parfaitement avec les défis écologiques qui nous font face. Notamment avec la nécessité de retourner à une vie économique de proximité.

Peut-on mourir dignement en France ?

Peut-on mourir dignement en France ?

Avec la période de crise sanitaire que nous traversons, la solitude des personnes âgées, notamment pendant le premier confinement dans les EHPAD et maisons de retraites où les visites sont interdites, aurait augmenté le nombre de demandes d’euthanasie en Belgique. S’il est encore trop tôt pour s’en assurer, une multitude de demandes ont, elles, été reportées à cause de l’impossibilité, lors du confinement, d’être entouré de ses proches durant les derniers moments de vie du demandeur. 

 

Qu’en est-il en France ? 

Rappelons tout d’abord que l’on parle d’euthanasie lorsqu’un médecin provoque volontairement la mort d’un patient dans le but de mettre un terme à ses souffrances jugées insupportables. Cependant, si l’euthanasie active où le décès directement provoqué par l’administration d’une substance létale par un médecin est interdite en France, celle dite passive, où la mort est entrainée par l’arrêt des soins, est autorisée. L’euthanasie pratiquée en Belgique, au Luxembourg ou aux Pays-Bas par exemple, se distingue également du suicide médicalement assisté pratiqué en Suisse durant lequel, la personne reçoit un soutien médical pour donner fin à ses jours mais c’est elle seule qui déclenche le processus et se donne la mort. 

En France, l’euthanasie (étymologiquement “l’art de donner une bonne mort”) n’est pas mentionnée par le code pénal. Par conséquent, donner la mort à un patient quels que soient son état et sa volonté est considéré comme un homicide punissable de peines allant de 30 ans de réclusion criminelle à la perpétuité. De même, selon l’article 38 alinéa 2 du code de déontologie médical français “Le médecin […] n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort.” Dans tous les cas, le praticien est divisé entre son patient qui souhaite partir pour arrêter d’insurmontables souffrances, dont il doit respecter la volonté, et le serment d’Hypocrate qu’il a prêté, faisant de lui un médecin. Il peut alors arrêter les soins d’un commun accord mais la mort du patient surviendra généralement après plusieurs jours de souffrance interminables pour lui et ses proches. (Rappelons l’ampleur de la médiatisation  faite au sujet de la mort de Vincent Lambert lors de l’été 2019). L’euthanasie passive peut néanmoins apparaitre comme une solution face à l’acharnement thérapeutique qui consiste en l’ensemble des prises en charges et des traitements administrés à un patient, considérés comme “inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintient artificiel de la vie” (L.1110 et R.4127-37 du Code de la Santé Publique). 

La loi Leonetti-Claeys votée en 2016 consiste à privilégier les soins palliatifs, à soulager les patients en phase terminale des traitements médicaux jugés trop lourds et peut donc alléger le traitement ou l’interrompre s’il est facteur d’une trop grande souffrance. Elle autorise également la sédation terminale, soit le droit à la sédation (soulager et apaiser le patient avec des médicaments) profonde et continue jusqu’au décès du patient auquel le médecin peut toutefois sciemment s’opposer. Enfin, si une proposition de loi autorisant l’euthanasie en France a été énoncée en 2011 et à plusieurs reprises par plusieurs députés, elle a été jugée comme allant “à l’encontre des fondements juridiques” par le gouvernement.

Pourtant, en France selon un sondage commandé par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité militant pour la légalisation de l’euthanasie, 96% des français seraient favorables à ce que la loi française autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent.

 

Alors pourquoi persiste ce refus ?

Les fondements juridiques dont parlent le gouvernement renvoient probablement à l’interdiction de tuer qui que ce soit depuis l’abolition de l’esclavage en France le 27 Avril 1848. Autoriser l’euthanasie serait alors contraire aux fondements juridiques qui constituent et règlementent notre nation.  Pour Derek Humphry, “c’est l’économie et non la recherche de libertés individuelles élargies ou d’une plus grande autonomie, qui conduira le suicide assisté au plateau des pratiques acceptables”. Ainsi la pression du coût des soins serait un facteur au suicide assisté qui, légalisé, serait une sorte de droit civil comme l’est le droit au respect de la vie privée ou le droit à la liberté de penser. Alors, ce simple droit pourrait, si l’on en envisage les dérives, devenir un devoir auprès de ses proches pour soulager le fardeau d’une personne malade et souffrante. Mais alors qu’en est-il des handicapés ? Ceux qui malgré un handicap vivent pleinement doivent-ils songer à l’euthanasie à cause d’une pression sociétale ? Certains pays ont élargi l’éligibilité au suicide assisté pour inclure les personnes souffrant d’un handicap ordinaire non terminal et  d’une souffrance psychologique sans maladie physique. 

Alors si en France, l’euthanasie passive est possible elle n’en est pas moins douloureuse. Alain Lecoq, un dijonnais vivant chez lui, âgé de 57 et atteint d’une maladie incurable est paralysé depuis 34 ans. Il a énoncé dans un courrier adressé à Emmanuel MACRON le souhait d’avoir accès à un pentobarbital barbiturique lui permettant de “partir en paix” auquel le Président de la République lui a répondu “n’étant pas au-dessus des lois je ne suis pas en mesure d’accéder à votre demande”. S’il a entamé à deux reprises un arrêt de son traitement et de toute nutrition, son hospitalisation  après sa première tentative suite à des souffrances trop importantes a provoqué la reprise de son alimentation et ses soins alors que Alain Lecoq souhaitait une sédation profonde et continue que l’hôpital ne lui a pas proposée. À ce moment-là, Mr Lecoq ayant une conscience altérée, n’a pas été en mesure de s’exprimer. Mi-octobre il a réitéré sa tentative mais n’a pas supporté les douleurs accentuées suite à la cessation du traitement bien que, cette fois-ci la présence d’un avocat avait permis de rédiger des directives anticipées menant à la sédation profonde et continue jusqu’à la mort.

Mais il est facile d’accepter la législation française et ainsi s’opposer à l’euthanasie active lorsque l’on est pas confronté personnellement ou via un proche, à une souffrance sans fin où le seul répit et la seule issue possible est de cesser de “ courir après la vie sachant que la mort est à nos trousses” comme l’exprime Grand Corps Malade. Ainsi, choisir le moment de sa mort dans des circonstances pareilles peut permettre d’assurer la dignité garantie par l’article 16 du Code Civil (“la loi assure la primauté de la personne, interdit tout atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”). 

Savoir que l’euthanasie active est une issue, lorsqu’elle est actée, permet au patient d’être serein à l’idée de ne pas partir en agonisant, à son entourage d’être en quelque sorte préparé (bien que la douleur de la perte ne soit pas moins présente) et en paix d’avoir pu réaliser les dernières volontés de leur proche. Si nombreuses sont les familles qui se retrouvent impuissantes face à leur parent ou grand-parent inconscient, une fois l’arrêt des soins décidé qui ne partiront que des jours ou des semaines plus tard, l’euthanasie active, elle, permettrait de mettre fin aux souffrances du patient comme des proches à attendre la mort de leur être aimé assis à son chevet. Dans l’hypothèse où une telle décision pourrait être prise par l’entourage, elle serait perçue comme un véritable soulagement. Cependant même si ce choix s’avérerait être la seule issue pour faire mourir dignement son proche, faut-il encore pouvoir l’assumer plusieurs mois après et se persuader que c’était le bon. Même si la personne, dans son intime conviction le sait, il n’empêche que la culpabilité et le doute les rongent nuit et jour. Alors si la législation évoluait pour vous permettre d’abréger les souffrances d’un membre de votre famille inconscient, seriez-vous capable de prendre une telle décision ? 

Léa MENARD

Sources

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/droit-de-mourir-emmanuel-macron-decline-la-demande-d-alain-cocq-de-partir-dignement-20200903

Article 16 – Code civil – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Article 38 – Soins aux mourants – accompagnement – Code de déontologie (conseil-national.medecin.fr)

Sous-section 2 : Devoirs envers les patients. (Articles R4127-32 à R4127-55) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Les crises endogènes aux systèmes politiques

Ecrit par Alexis Vallon le 10 Octobre 2020

La théorie de la « fin de l’Histoire » que Francis Fukuyama avait théorisée après la chute du mur de Berlin est aujourd’hui largement dépassée. Notre système continue à connaître de nombreuses crises et l’Histoire continue alors de s’écrire chaque jour.

Pourtant il serait intéressant de rapidement se repencher sur sa thèse. Tout d’abord, il reprend la définition qu’Hegel donne de « la fin de l’Histoire », c’est-à-dire le moment où un consensus universel (certainement sur la démocratie) s’établirait, et serait respecté par tous les peuples. Ce qui, en théorie, mettrait fin aux conflits idéologiques dans le monde, et donc aux crises. La fin de la Guerre Froide fut pour Fukuyama ce moment de rupture qui allait conduire l’Histoire à sa fin et que sa génération allait pouvoir nous léguer un monde qui serait à l’image d’un long fleuve tranquille pour les siècles à venir.

Evidemment vous connaissez la suite : d’abord le 11 Septembre 2001 qui marque l’engagement mondial contre le terrorisme islamiste, les crises économiques de 2008 et aujourd’hui de 2020 ont entre autres accentué les inégalités et la pauvreté dans le monde, le nombre de manifestations et d’émeutes qui ont explosé (on estime que cette dernière décennie celles-ci auraient augmenté de 282% selon l’édition 2020 du Global Peace Index), etc.

Bref on peut croire que les crises mondiales sont toujours présentes.

Alors nous pourrions d’abord penser que toutes ces crises sont exogènes, c’est-à-dire totalement indépendantes du système politique et économique mondial. Après tout, personne n’aurait pu prévoir les crises économiques modernes et encore moins la pandémie actuelle. Elles sont les conséquences de l’appât du gain de certains banquiers et de quelques aventures culinaires… Rien qui n’aurait pu être prévu. Le terrorisme islamiste n’est lui aussi peut-être que la conséquence logique de l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan. Et enfin, le nombre toujours plus important de manifestations ne serviraient que des demandes particulières de certaines classes sociales, au détriment de l’intérêt collectif.

Cette première thèse est évidemment recevable et domine largement une partie de la pensée (plutôt libérale) aujourd’hui. Il est cependant intéressant de remarquer que la responsabilité est ici toujours imputée à la responsabilité individuelle, au libre arbitre.

Evidemment à gauche c’est tout le contraire, on accuse principalement le caractère endogène des crises et l’on fustige le système capitaliste. Ou aujourd’hui plutôt le libéralisme, car les thèses et termes marxistes tendent tout doucement à s’effacer du débat public. Ce serait donc lui qui serait responsable de tous nos maux. Le terrorisme serait surtout une conséquence sociale, laisser des jeunes de banlieues sans aucune promesse de carrières les auraient forcés à rejoindre Daesh. Ce qui vient se rajouter au fait que les mouvements terroristes seraient aussi nés dans les milieux précaires (mais restant influencés par des pouvoirs plus puissants). La crise économique de 2008 aurait pu être évitée sans l’ultra-libéralisation de l’économie mondiale. Et enfin les nombreuses manifestations sont la conséquence de la montée des inégalités et de l’injustice sociale. Ici également les arguments sont largement recevables.

Pourtant dans ces deux cas nous pouvons avoir l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Dans le premier cas bien sûr il y a des problèmes, mais notre système aurait été incapable de les prévoir, alors il est inutile de faire évoluer le système mais simplement de s’adapter à ces crises.
Et dans le second on nous fait croire qu’un changement de société permettrait de résoudre tous les problèmes sans que les actions individuelles n’aient besoin de changer.

Finalement on observe que ces deux façons de penser présentent individuellement des imperfections et que souvent, in medio stat vertus, la vérité se trouve au juste milieu. Que la société comme l’action individuelle ont leur responsabilité. Or comme la vérité n’existe pas en soi dans notre monde mais existe toujours par rapport à un objet, une situation donnée. Car en effet la solution « une intervention accrue de l’Etat » n’est pas une vérité en soi mais elle peut être vraie selon une situation précise. Alors en suivant la dialectique d’Hegel, en oscillant selon les situations, la bipolarisation de la vie politique pourrait être une solution. On oscille alors entre d’un côté davantage d’Etat avec un objectif assumé de rendre les hommes plus égaux et de l’autre des actions pour favoriser la liberté de conscience et d’action du citoyen. Tout le monde aura évidemment reconnu la création théorique ici de la Gauche et de la Droite (ou du moins la Gauche et la Droite française) hérité de l’affrontement idéologique de la Guerre Froide.

On peut constater alors que les crises endogènes à notre système ne seraient dénoncées que par la Gauche. Une Gauche qui se focaliserait sur les problèmes d’inégalité que le système capitaliste créerait. Pourtant il me semble que tout analyser d’un point de vue économique est une erreur et qu’il existe un autre facteur déterminant qui permettrait d’expliquer nos crises endogènes modernes.

Car aujourd’hui en France et notamment lors des dernières élections présidentielles, le système archaïque Gauche-Droite s’est effondré. Et deux nouvelles forces d’opposition sont apparues : le progressisme contre le nationalisme. Pourtant ce nouvel affrontement idéologique était prévisible.

Car l’affrontement en sciences politiques ne s’effectuent pas autour de deux pôles comme la Guerre Froide avait pu le laisser paraître. Mais bien trois pôles qui se sont affrontés il y a maintenant 80 ans lors de la Seconde Guerre mondiale.

Trois grands blocs. Le premier était le bloc américain, prônant une liberté de penser, d’entreprendre, de commercer, de réussir, etc. Nous résumerons alors l’idéologie américaine à un mot : liberté. Face à lui, le bloc soviétique, construit sur les textes marxistes de luttes des classes, de destruction de la propriété privée, etc. L’idéologie au moins en théorie de ce bloc fut : l’égalité. Enfin l’Allemagne et le régime nazi qui construit son idéologie sur la notion de races, de nations, sur la question « Qu’est-ce qu’un allemand ». Une idéologie qui a été poussé à son paroxysme et a engendré les plus terribles horreurs que l’Homme dans son histoire fut capable. Néanmoins toute l’idéologie de ce bloc fut basée sur une notion : l’identité du peuple.

Or l’Histoire n’est écrite que par les vainqueurs. Et les gagnants que furent les Etats-Unis et l’URSS décidèrent de diaboliser le régime nazi pour que ses horreurs ne réapparaissent plus jamais. Ils tentèrent alors de détruire tout résidu que pouvait représenter cette idéologie. Evidemment face aux horreurs des camps de concentration personne ne critiqua cette décision qui était parfaitement louable. Pourtant on ne peut tuer une idéologie, on ne peut tuer une idée, surtout si celle-ci est inscrite dans l’ADN même de l’Homme, dans l’ADN même d’un système politique. Car un bon système politique repose sur ces trois piliers : la liberté, l’égalité et l’identité.

Si ces mots vous rappellent la devise française c’est justement parce que la France à choisi de former son identité dans la fraternité. Cela nous rappelle encore une fois la sagesse de nos précurseurs.

Aristote affirmait, encore avant, qu’une cité pouvait s’écrouler de deux manières, si elle perdait son identité ou si l’inégalité était trop importante en son sein. La situation d’Athènes était à l’époque comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui dans nos sociétés occidentales : des démocraties
ouvertes aux commerces qui souffrent d’inégalité de traitement (entre citoyens, femmes et esclaves). En soi des systèmes qui sont basés sur la liberté et qui doivent veiller à être aussi bons dans les deux autres domaines. Sachant qu’évidemment toutes sociétés sans ces trois principes seraient forcément vouées à disparaître.

Car l’essence même de ces sociétés auraient tendance à s’auto-entretenir. Je m’explique, dans une société libérale il y a tellement de contre-pouvoirs qu’il y a très rarement des problèmes de libertés : souvent les citoyens les dénoncent et les problèmes disparaissent. On ne souffre pas particulièrement de manque de liberté dans nos démocraties occidentales modernes. De même dans un régime fasciste on sait parfaitement qui on est, qui nous servons, qui sont les ennemis, etc. Nous ne souffrons pas franchement de crise identitaire. Et dans un système communiste, théoriquement, l’égalité ne pose pas vraiment problème. Évidemment on pensera forcément aux « apparatchiks » qui sont bien plus riches que le reste de la population mais l’inégalité dans ces régimes restent, in fine, bien moins élevée que dans nos sociétés occidentales.

Alors un système qui choisit une base pour se construire (liberté, égalité ou identité) va devoir veiller particulièrement à ce que les deux autres principes puissent continuer à exister. Ainsi les crises endogènes à notre système aujourd’hui sont bien une crise identitaire et une crise égalitaire, car nous partons avec une base libertaire.

Alors, ce que la gauche et plus largement, notre système politique n’a pas pris en compte, c’est que les crises endogènes peuvent aussi être des crises identitaires et pas seulement égalitaires. Que le terrorisme par exemple n’est qu’une réaction contraire au système capitaliste et à ses valeurs car celui-ci néglige l’identité, l’Histoire des peuples au profit d’un multiculturalisme mondial. Il en va de même pour les idéologies réactionnaires qui ont émergé en Europe par exemple, l’hostilité face aux migrants, etc. Toutes ces réactions sont apparues car depuis des années personne dans le monde politique n’a pris en compte la notion d’identité indispensable à la survie d’un peuple.

Ainsi pour répondre au mieux au besoin de nos démocraties il convient de changer notre regard sur notre spectre politique. Ne plus l’observer comme une ligne où les hommes politiques seraient placés plus à droite ou plus à gauche, mais comme un triangle qui aurait en ses côtés les notions de liberté, d’égalité et d’identité. C’est à cette condition que l’offre politique pourrait s’éclaircir et devenir satisfaisante pour les citoyens, qui ne se retrouvent plus dans leur politique depuis des années.

Enfin je conseillerais l’émergence d’un parti qui serait au centre de ce triangle, un parti qui arriverait à concilier ces trois notions fondamentales au sein de son système politique. Ainsi nos sociétés pourraient progresser sereinement sans craindre l’instabilité politique. Néanmoins j’ai conscience que notre monde n’est qu’instabilité et les chocs exogènes conduiront les démocraties à toujours s’éloigner de ce centre. Mais justement, la stabilité passerait par l’instabilité et si un grave problème identitaire devait apparaître, il serait normal que les votes se déplacent vers ce pôle identitaire. Pourtant à terme, ceux-ci tendront toujours vers le centre de ce triangle, vers l’équilibre idéologique.