Expansion : Quel destin pour l’Union Européenne ?

Expansion : Quel destin pour l’Union Européenne ?

Si la nouvelle est relativement récente, il n’en demeure pas moins que celle-ci est historique : le 14 décembre 2023, à la suite d’un sommet de l’Union Européenne à Bruxelles, les 27 Etats membres ont décidé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie, deux Etats seulement officiellement candidats depuis l’année précédente. Si la décision, surprenante de par sa rapidité (la Hongrie de Viktor Orban s’étant abstenue pour le vote), réjouit la majeure partie des Européens ainsi que les gouvernements des Etats candidats, elle a en revanche un goût amer dans certains pays candidats à l’entrée de l’UE, avec qui cette dernière n’a pas encore ouvert les négociations, alors qu’ils se sont pourtant portés candidats antérieurement à l’Ukraine et à la Moldavie.

Ces sentiments contrastés mettent en avant un véritable carrefour auquel fait face l’Union Européenne : entre diverses possibilités d’expansion, qui ont cependant chacune leurs opportunités, leurs risques et leurs menaces, tant internes qu’externes, qui pourraient enliser l’Union voire la faire vaciller.

Des nouveaux candidats enthousiastes

Les deux candidatures les plus récentes qui ont été acceptées par l’UE sont donc celles de l’Ukraine et de la Moldavie, candidats depuis 2023 avec un dépôt de candidature effectué en 2022. Ces deux pays se situent à l’est des frontières actuelles de l’Union, et sont actuellement membres du Partenariat Oriental qu’entretient celui-ci avec des Etats d’Europe Orientale et du Caucase, qui souhaitent se rapprocher de l’UE, tant pour des raisons économiques, politiques (comme par exemple en Géorgie avec la victoire d’un parti pro-européen lors des élections présidentielles) ou sociétales.

Pour l’Ukraine, si le processus de candidature est dans les faits récent, l’idée d’un rapprochement avec l’UE a germé dans les esprits de certains ukrainiens depuis des décennies déjà, bien que le pays ait été fortement divisé sur le sujet entre partisans de l’Est (la Russie) et de l’Ouest (l’UE). Cette polarisation est l’un des facteurs des nombreux troubles politiques qu’a connu le pays, qu’il s’agisse de la révolution orange en 2004 ou des manifestations de la place Maïdan en 2013. Cependant, avec le déclenchement d’un conflit avec la Russie, d’abord en 2014 avec l’annexion de la Crimée puis en 2022, les partisans d’un rapprochement avec l’UE se sont ancrés sur le devant de la scène politique locale. De surcroît, du fait de la guerre désormais ouverte entre Ukraine et Russie, la volonté de pivoter vers l’Ouest est d’autant plus puissante aujourd’hui car elle pourrait être une garantie supplémentaire de sécurité et d’aide pour le pays, actuellement enlisé dans un conflit qui tend vers la guerre d’attrition.

L’Union Européenne a avec ces deux candidatures la possibilité d’étendre son influence vers l’Est et d’ainsi réduire celle de la Russie en s’immisçant davantage au sein de son ancien glacis protecteur de l’époque soviétique, tout en s’affirmant comme un ensemble cohérant possédant une véritable dynamique sur la scène internationale. Malgré ces avantages, le processus d’intégration d’un Etat à l’Union Européenne est long et surtout très exigent. En effet, pour qu’un Etat puisse intégrer l’Union Européenne, il doit respecter un certain cahier des charges imposé par l’UE, ce qui amène donc le candidat à faire de nombreuses réformes, plus ou moins difficiles, et ces réformes peuvent prendre du temps. La volonté européenne derrière la main tendue à l’Ukraine et à la Moldavie est en partie politique : au cours d’un agenda ‘normal’, ces Etats n’auraient pas déposés leurs candidatures avant au moins quelques années voire décennies. De ce fait, les deux Etats ne sont pas aujourd’hui en capacité de respecter le cahier des charges européen : l’Ukraine est un pays en guerre et la Moldavie est un pays en lutte contre la corruption, les trafics en tous genres (le pays étant une voie de passages de ressources illégales vers l’Europe), et des séparatistes russophiles dans la région de Transnistrie (dans l’Est du pays).

D’autres candidatures de longue dates, mais qui n’aboutissent pas

Mais ces deux Etats ne sont pas les seuls à vouloir intégrer l’Union Européenne, car 5 Etats de la région des Balkans ont également une candidature acceptée (le Kosovo a déposé sa candidature, elle n’a pas été encore acceptée à ce jour). Ces candidatures ont entre 8 et 20 ans, et pourtant elles sont au même stade que les candidatures ukrainiennes et moldaves, qui n’ont que 2 ans. En effet, les gouvernements de ces pays sont en négociation d’adhésion avec l’Union Européenne, et essayent de faire respecter dans leur Etat le cahier des charges que leur impose celle-ci pour pouvoir faire partie de cette dernière.

De plus, il existe une difficulté supplémentaire : l’intégration des Balkans à l’UE n’a pas le même écho sur le plan politique que celle des pays orientaux, et il existe de plus des inimitiés entre certains candidats et certains membres de l’Union. Prenons l’exemple de la Macédoine du Nord, dont la candidature a été acceptée en 2005. Les négociations d’adhésion traînent en longueur et ont même eu du mal à débuter du fait des conflictualités entre Macédoine du Nord et Grèce sur le nom du pays (car pour les grecs, la Macédoine est une de leurs provinces), car celui-ci porte un certain héritage – celui d’Alexandre le Grand notamment. Le pays a également un litige avec la Bulgarie, autre membre de l’UE, au sujet de la minorité bulgare dans le pays. Ainsi, des années durant, la Grèce et la Bulgarie ont fait pression à Bruxelles pour ralentir et retarder les négociations, à travers des vetos lors de votes. De ce fait, le cœur des négociations (l’ouverture des chapitres du cahier des charges) n’a réellement débuté qu’en 2023, 18 ans après la validation européenne de la candidature macédonienne.

Entre les différentes candidatures des pays des Balkans, c’est le Monténégro qui se trouve être le plus avancé, ayant déjà commencé à valider certains chapitres du cahier des charges. Mais dans les faits, les Etats font face à des rivalités politiques internes et externes, des difficultés économiques et ont du mal à se débarrasser de leurs fléaux (la corruption principalement), compliquant une adhésion rapide.

Les conséquences éventuelles d’une expansion de l’UE

Pour les Etats membres de l’Union Européenne, la possibilité d’une future expansion amène de nombreuses questions à faire surface, notamment sur la viabilité d’un tel projet. En effet, pour pouvoir comprendre les dilemmes, il faut analyser la situation à travers différents prismes.

En premier lieu, il fait sens d’étendre l’UE d’un point de vue paneuropéen (membre de l’UE ici), car une expansion permettrait d’étendre sa sphère d’influence – vers l’Est ou vers le Sud (les Balkans), pour éviter qu’une puissance extracontinentale puisse s’installer sur le continent, sous les yeux de l’UE –  et pourrait témoigner de la bonne santé de l’Union, car l’intégration de nouveaux Etats montrerait que l’Union Européenne serait capable de les ‘absorber’. De plus, cela rapprocherait cette dernière d’un statut qui pourrait devenir éponyme : celui d’une Union Européenne – de tout les Etats d’Europe (ou presque).

Cependant, à une heure où les sociétés occidentales se polarisent, certains voient d’un mauvais œil une extension de l’UE. Ainsi, vu d’une perspective plus nationale, plus d’Etats au sein de l’Union signifie moins de ressources pour chaque Etat – à court terme en tout cas -, du fait du principe d’une répartition des richesses basée sur l’équité. De surcroît, certains mettent en avant la faiblesse du système politique européen, basé en partie sur des votes à l’unanimité, et ils dénoncent le fait que l’ajout de nouveaux Etats ne va que compliquer la prise de futures décisions, à un âge où celles-ci seront capitales pour l’Union et les membres. Les décisions de l’Union étant déjà complexes aujourd’hui, du fait des blocages et de la volonté de certains membres de faire pression sur Bruxelles, les futurs accords risquent d’être obtenus après des négociations fleuves (et pas forcément paisibles). Enfin vient le risque qu’avec une Union trop grande et qui risque de devenir impopulaire du fait de sa lenteur et de sa rigidité, certains prennent l’option de quitter l’Union, ou de se rapprocher d’autres membres pour une coopération plus directe.

Ainsi, si la perspective d’adhérer à l’Union Européenne fait encore rêver de nombreux citoyens et gouvernements de pays candidats, malgré des difficultés d’adaptation politique aux normes de l’UE. Mais c’est au sein même de l’Union que les instances et les Etats balancent sur le fait de faire grandir celle-ci, bien que les candidatures soient toutes examinées, en vertu des principes européens. En somme, entre velléités politiques internes et externes et perspectives politiques incertaines au niveau national (avec la montée d’un populisme eurosceptique dans certains Etats), l’Union et ses membres vont devoir trouver une ‘’unité dans la diversité’’, pour pouvoir adapter le modèle européen et ainsi prospérer sans risquer d’imploser.

Par Maël FERTIL

Comment expliquer la colère des agriculteurs

Comment expliquer la colère des agriculteurs

Un peu partout en Europe, notamment en France, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Pologne ou encore en Allemagne, les agriculteurs se mobilisent pour protester contre des conditions de travail et financières trop difficile et contre un manque de reconnaissance.

Depuis quelques jours, les agriculteurs français bloquent certaines autoroutes et périphéries pour faire entendre leur colère face à une situation qui ne change pas depuis de nombreuses années Des autoroutes comme la A64, près de Toulouse, en Occitanie qui sont devenues en quelque sorte des QG des agriculteurs durant ces manifestations. D’autres agriculteurs et notamment des producteurs de lait manifestent devant les locaux des industriels comme Lactalis, dénonçant un prix d’achat du litre de lait bien trop faibles.

Une protestation avant tout européenne !

Comme dit précédemment, la colère des agriculteurs n’est pas seulement française, elle est avant tout européenne. La semaine dernière encore, Berlin était également bloquée par les agriculteurs et éleveurs allemands qui protestaient contre la fin progressive d’une aide fiscale sur le gazole à usage agricole et sur les véhicules agricoles.

Parallèlement, en Roumanie, les agriculteurs se sont également mobilisés contre un coût du carburant trop élevé, des normes environnementales trop strictes.

Et depuis quelques mois, il s’agit aussi des agriculteurs et transporteurs polonais qui bloquent les routes, notamment celles qui sont frontalières à l’Ukraine pour contester contre les importations de céréales ukrainiennes qui fragilisent les agriculteurs polonais qui ont contestés contre les aides de l’UE facilitant les importations ukrainiennes (suppression des droits de douane en mai 2022 pour un an), qui ont fait baissés le prix des matières agricoles.

Alors qu’aux Pays-Bas, la colère quant-à-elle était due à la volonté de l’ancien gouvernement de réduire les surfaces exploitables et interdire l’azote pour les usages agricoles à des fins environnementales.

Les raisons pouvant expliquer cette colère des agriculteurs français

Certes, les agriculteurs européens se mobilisent pour des raisons plus ou moins divergentes mais le cœur du problème reste le même. Nombreux sont ceux à se plaindre d’une surrèglementation européenne imposant beaucoup de normes et de restrictions les rendant non compétitif par rapport aux pays non membres de l’Union européenne qui sont bien souvent non contraints par de tels règlements mais aussi par les nombreuses importations de produits étrangers que l’on produit pourtant en France au détriment des agriculteurs français. Ils contestent également la libre circulation des marchandises et produits agricoles au sein de l’UE. Enfin… le problème n’est pas tant le marché unique mais l’absence d’uniformité normative tant sur la législation applicable, que sur le droit du travail ou les prix.

De plus, les agriculteurs demandent que les aides de l’État soient versées en temps et en heure ainsi que la fin de la hausse du gazole non routier (GNR). Mais les contestations des agriculteurs qui font la une de l’actualité depuis le début du mois de janvier 2024 ne vient pas de commencer, elle ne fait que prendre de l’ampleur car cette contestation a débuté en automne 2023 avec de nombreux panneaux de certaines villes retournés dans de nombreuses communes françaises.

Les difficultés financières sont flagrantes dans le milieu agricole avec notamment un taux de pauvreté des ménages agricoles proche des 20% alors qu’il est considéré comme proche des 9% pour l’ensemble de la population française.

Le gouvernement français veut agir

Les membres gouvernementaux se rappellent de la crise des gilets jaunes et veulent éviter qu’une nouvelle crise sociale apparaisse. D’autant que les agriculteurs bénéficient d’une belle popularité selon les sondages qui affirment que 85% des Français interrogés soutiennent cette mobilisation et estiment que les agriculteurs jouent un rôle central dans l’accès à l’alimentation.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, a annoncé vouloir repoussé le projet de loi sur l’agriculture. Ce projet de loi doit notamment répondre au manque d’agriculteurs en créant un Bachelor agro (Bac +3) mais aussi en créant un service qui permettrait un meilleur accompagnement des agriculteurs voulant s’installer à leur compte. Sachant que dans les 10 prochaines années, un tiers des agriculteurs devrait partir à la retraite, soit 166 000 exploitants sur les 500 000 actuellement installés, d’autant que les jeunes agriculteurs n’ont bien souvent pas les moyens financiers pour investir et s’installer et que le remboursement des emprunts serait trop élevé par rapport à la rentabilité aujourd’hui d’une exploitation agricole. Alessandra Kirsch, docteure en économie agricole affirme que les jeunes agriculteurs voulant s’installer doivent investir plusieurs milliers d’euros voire millions d’euros entre les véhicules, les équipements agricoles, les bâtiments, les terrains… La France aurait perdu 21% de ses exploitations agricoles en 2010 et 2020 soit 100 000 exploitations.

Vendredi 26 janvier 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal s’est rendu en Haute-Garonne pour faire de premières mesures : réduction des délais administratifs et juridiques pour mettre en œuvre des projets agricoles, fin des acharnements juridiques, moins de normes et d’aberrations règlementaires, mieux protéger les agriculteurs par un meilleur respect de la loi EGAlim, qui a pour objectif de protéger les revenus des exploitants agricoles, remboursement à 90% des frais de vétérinaire conte 80% jusqu’à présent, 50 millions d’euros supplémentaires pour la filière bio, fin de la hausse du gazole non routier, aides dues remboursées plus rapidement… Malgré ces annonces, les agriculteurs sont globalement mitigés tout en soulignant des avancées. La capitale reste toutefois sous la menace d’un blocage prochain par les agriculteurs qui dénoncent toujours une concurrence déloyale vis-à-vis des autres agriculteurs de l’UE. Le gouvernement devrait annoncer la semaine prochaine de nouvelles mesures.

Par Maxence HRYWNIACK