Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

 Le jour où Dieu cessa de pardonner

 

Il est des plaisirs orgiaques et des jouissances abusives qui ne durent pas.
Le silence règne en maître sur les toits de cette auguste cité. Ce royaume, dont la puissance et la gloire étaient autrefois comparables au soleil, n’est désormais plus qu’un décor silencieux. Les justes qui y travaillaient au service de l’Eternel et au bénéfice d’un progrès moral universel ont perdu leur légitimité et furent chassés. La race bénie de l’Eternel n’a dorénavant plus le droit de siéger sur les trônes au côté de son Créateur.
Vidé de ses troubles, ce désert céleste se revêt aujourd’hui de débauche. Le fruit de la vigne pourrit sur son pampre, les arbres comestibles ont désormais le goût amer de l’apostasie et le tronc de l’arbre de la connaissance, qui apportait jadis à toute conscience morale le jugement du bien et du mal, est maintenant creux.
Quelles audaces ont ourdi une telle catastrophe ?
L’obscurantisme et les guerres, la cupidité et la violence, le maquillage de la vérité et la haine de l’autre.
Le jour où Dieu cessa de pardonner, le paradis devint vide.
Eole
Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Texte de « AVF » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Devinez, qui voilà ! Absence de matière ou excès de faux-semblants ? Quoi qu’il en soit, la vidéo gag a assez duré. Videz vos poches, et faîtes le plein d’humilité. Faire le vide intérieur, pourquoi pas, mais tourner dans le vide, je n’y crois pas. Débat vide de sens, ça c’est certain. Envie de quitter la France, allez-y un par un. Tu n’es pas venu(e) pour souffrir, ok, l’espoir est roi. Le client ? Peut-être pas. Pour l’étourdir, nul besoin de se cacher, il avance les yeux fermés. Mais pour se comparer aux autres c’est une autre affaire, il les lui faut grands ouverts. Les vis-ma-vie-de, j’en suis las, utilité proche de celle d’un vide ananas. Zappeurs compulsifs, tous les mêmes et y en a marre, arrêtez ce tintamarre. Le silence est d’or, encore plus aujourd’hui, un effort. Mais l’absence de sons n’exclut pas toute signification. Vide de paroles mais pas dénué de sens, ou quand l’être se détache de son apparence. Vide-ordures ou télé-réalité, et si le recyclage ne s’arrêtait pas aux émissions TV. Avoir un passage à vide c’est une chose, mais ne réduisons pas les filles au rose. Commençons par un vide sanitaire, mais restons terre-à-terre. Adieu les bactéries, adieu les soucis ? Faut-il encore identifier l’essence de leur prolifération, pour ne pas lutter en vain comme des cons. Les migrants sont tes amis, mais un like sur Facebook n’a pas suffi. Tu préfères une vie de chien ou une envie de rien ? En route pour le vide intersidéral, j’espère que tu as fait le plein.

avf
Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Texte de « DEAN MORIARTY » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Les notes s’entremêlent quand ses doigts se cassent sur le piano et j’aperçois ses poignets se

tourner brusquement
Comme s’il essayait de rattraper une note comme on rattrape quelque chose qui nous
échappe des mains.
Mais le son s’exhale, indiscipliné, cacophonie indolore dont l’écho est dépourvu de
quelconques sentiments.
Et j’aimerais ressentir ces notes qui me prennent le cœur, qui arrêtent le temps, qui rendent
tout si soudain,
J’aimerais que tu joues sans t’arrêter pour qu’enfin je sente mon souffle se couper, mes
pensées se voiler, le décor s’obscurcir, mon ventre se serrer et que je ressente le poids, le
poids du vide.

 

Applique-­?toi, redresse-­?toi, courbe tes mains et caresse les notes, effleure le Do mais écrase
le La, une dualité si subtile vous direz,
Mais indispensable pour que les notes s’imprègnent des lieux et créent cette atmosphère
particulière où on peut s’abandonner,
Et pour que le creux s’installe, cette profondeur insondable qui permet de s’évader l’espace
de quelques mesures.
C’est le souffle de la main qui crée cet espace entre chaque note, si séduisant, un silence à
contre temps, une infime brisure
Qui écorche, oui, mais libère de cette obsession du bonheur, de ce cercle vicieux qui nous
pousse à courir en rond autour d’un questionnement continuel. Et si la réponse au bonheur
était cet espace, cet espace vide ?

 

Car là on tâtonne, on se lasse, on court sans jamais ralentir, on tourne sans jamais s’arrêter
et chaque jour qui passe on a l’impression qu’à tout moment on peut se prendre un mur.
Plus on cherche à être heureux, plus on y pense et moins on l’est, nourris par cette
impression frustrante d’être incomplet.
Comment être sûr de faire le bon choix, celui qui mène au bonheur, celui qui fait que le
tumulte de nos pensées se transforme en murmure ?
La valse des notes, cette virgule qui sépare les sens, s’abandonne alors à la tâche d’étreindre
ce creux dans nos ventres, si douce vacuité.

 

Du haut de ses subtiles sonorités, désireux de s’élargir, ce vide nous élève vers la réponse à
cette quête sans fin,
Il libère des préoccupations qui gangrènent l’esprit et, même si dans ce grand rien on croirait
se noyer, on arrive finalement à respirer.
Une question se dessine alors sur les notes blanches et noires, comment sait-­?on qu’on est
heureux ? Comment en être certain ?
Quand le pied bat l’air, que la main caresse les touches et que le silence relie les sens, la
vacuité de l’instant frappe alors l’inconscient. Le vide rend heureux car, sans miroir, il suffit
tout simplement, juste l’espace d’un instant, qu’on oublie de se poser la question.

 

Dean Moriarty
Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Texte de « VIDE CHIEN » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Le vide

Ça faisait surement des mois que j’y vivais. Combien je n’en sais trop rien, le temps fuit dès qu’on y met un pied. Mon cancer m’avait imposé un nouveau cadre, blanc et stérilisé. L’hôpital était devenu mon quotidien, mon repère, mon entourage. Et là-bas plus l’on est cassé, plus l’on nous aime. Moi ça tombait bien j’étais devenue chauve et déprimée. Alors au moins à l’hôpital on m’aimait bien.
Mes journées se ressemblaient excessivement. J’appelais l’infirmière à mon réveil, davantage pour sa compagnie que pour m’aider à avaler la pilule. Car à défaut d’être en bonne santé, j’avais le temps. Le temps de me réfugier dans la littérature et d’oublier mes maux. Il y avait aussi quelques personnes à qui j’aimais parler à l’hôpital. Des copains de fortune avec qui je pouvais refaire le monde faute de retrouver le mien. Je n’étais ni heureuse ni malheureuse. Je vivais, et c’était tout. Mais j’avais peur que tout s’arrête, peur de disparaître.
Ça faisait surement des mois que j’y vivais. Combien je n’en sais trop rien, le temps fuit dès qu’on y met un pied. Et un beau jour j’ai eu le malheur de guérir. Pendant des mois j’avais ressenti la peur du vide. Maintenant il était temps de vivre ma peur. C’était paradoxale, je l’avais toujours associé à la mort.
Ça faisait surement des mois que j’y vivais. Combien je n’en sais trop rien, le temps fuit dès qu’on y met un pied. Et derrière lui, le vide.
Vide chien
Texte de « EOLE » – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Texte de « L.V.B. » – Lettre à mon Elise – Concours de la meilleure plume TBS 2017

Blanc sali et sols oranges, grands couloirs et ascenseurs. Baies vitrées donnant sur l’extérieur, extérieur qui t’est interdit, pour ton bien, pour le leur. Sur la couverture d’or et d’argent, ton radeau de survie, tu reposes, si frêle dans cet immense lit. L’ombre de la longue perche inerte, ta compagne d’existence, filtre à travers les rideaux, cachant la minuscule ouverture qui te sert de fenêtre.

 

Un habitué se tient dans l’encadrement de la porte. Mince et droit, silencieux, presque digne, il nous observe souvent. Il lui arrive de te rendre visite en notre absence.

 

Ces derniers temps pourtant, il est là tous les jours.

 

Il t’a vu me confier que tu te sentais seule, inutile, que tu souhaiterais disparaître parfois.
Il était là ce matin où tu as déclaré que tu voulais rentrer.
Tu refuses de guérir, après tout à quoi bon.

 

Sur ce matelas si large et jonché d’édredons, tes grands cils résignés et ton menton têtu appuient un air boudeur.
Tu le contemples un peu, tu l’évoques à mi- mot.
Il nous effraie secrètement, mais avec les mois vous vous êtes rapprochés. Tu t’es prise d’amitié pour son regard sévère, sa présence un peu austère, l’atmosphère si spéciale qu’il fait planer sur ce petit endroit.
J’admets que même pour moi il devient familier.

 

L’horloge nous a surpris. Les lumières se font rares, la pénombre vacillante forme un curieux contraste avec ton vieux miroir, comme un manège funèbre sur la tenture des murs. Il me faut te quitter.

 

Quand je sors de la pièce, fendant automates blancs et pèlerins sans visages qui s’ignorent volontiers, il reste à mes côtés. Il se place derrière moi, tel un ami discret, promeneur inquiétant, et prend un air étrange entre cynisme et joie.

 

Soudain, il esquisse un sourire, et on comprend pourquoi. C’est mon jour aujourd’hui, je croise un autre cœur, un regard étranger, de ces regards voilés qui puent la solitude et surtout la souffrance.

 

Le passant l’aperçoit. Cet homme, mon suiveur, il le connait aussi. Ses pupilles se glacent. Ses paupières ombragées se tournant furtivement, il baisse lentement le front et passe son chemin.
Un froid poisseux me happe, me fige de l’intérieur, se répand amèrement à l’ensemble de mon corps. Car comme à chaque fois, l‘intrus m’escorte toujours, se rapproche, m’étouffe, envahit mon espace.

 

Dans cet univers immaculé, au milieu de toutes ces lassitudes qui s’étreignent si souvent qu’elles en forment un ballet, il trouve mieux sa place et se fait plus présent.

 

Il m‘inonde les yeux et me donne la nausée.

 

Je sais qu’en ce moment il veille à ton chevet, entre l’ampoule faiblarde et les roses fanées.
S’il te plait petite âme, ne te laisse pas tenter. Je sens la place qu’il prend, et, tous les jours plus fort, qu’il cherche à t’emporter.
Mais tu le connais bien, tu dois lui résister.

 

Cette ombre c’est le vide, et s’il en est qu’il apaise, il peut aussi tuer.
L.V.B.