Comment expliquer la colère des agriculteurs

Comment expliquer la colère des agriculteurs

Un peu partout en Europe, notamment en France, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Pologne ou encore en Allemagne, les agriculteurs se mobilisent pour protester contre des conditions de travail et financières trop difficile et contre un manque de reconnaissance.

Depuis quelques jours, les agriculteurs français bloquent certaines autoroutes et périphéries pour faire entendre leur colère face à une situation qui ne change pas depuis de nombreuses années Des autoroutes comme la A64, près de Toulouse, en Occitanie qui sont devenues en quelque sorte des QG des agriculteurs durant ces manifestations. D’autres agriculteurs et notamment des producteurs de lait manifestent devant les locaux des industriels comme Lactalis, dénonçant un prix d’achat du litre de lait bien trop faibles.

Une protestation avant tout européenne !

Comme dit précédemment, la colère des agriculteurs n’est pas seulement française, elle est avant tout européenne. La semaine dernière encore, Berlin était également bloquée par les agriculteurs et éleveurs allemands qui protestaient contre la fin progressive d’une aide fiscale sur le gazole à usage agricole et sur les véhicules agricoles.

Parallèlement, en Roumanie, les agriculteurs se sont également mobilisés contre un coût du carburant trop élevé, des normes environnementales trop strictes.

Et depuis quelques mois, il s’agit aussi des agriculteurs et transporteurs polonais qui bloquent les routes, notamment celles qui sont frontalières à l’Ukraine pour contester contre les importations de céréales ukrainiennes qui fragilisent les agriculteurs polonais qui ont contestés contre les aides de l’UE facilitant les importations ukrainiennes (suppression des droits de douane en mai 2022 pour un an), qui ont fait baissés le prix des matières agricoles.

Alors qu’aux Pays-Bas, la colère quant-à-elle était due à la volonté de l’ancien gouvernement de réduire les surfaces exploitables et interdire l’azote pour les usages agricoles à des fins environnementales.

Les raisons pouvant expliquer cette colère des agriculteurs français

Certes, les agriculteurs européens se mobilisent pour des raisons plus ou moins divergentes mais le cœur du problème reste le même. Nombreux sont ceux à se plaindre d’une surrèglementation européenne imposant beaucoup de normes et de restrictions les rendant non compétitif par rapport aux pays non membres de l’Union européenne qui sont bien souvent non contraints par de tels règlements mais aussi par les nombreuses importations de produits étrangers que l’on produit pourtant en France au détriment des agriculteurs français. Ils contestent également la libre circulation des marchandises et produits agricoles au sein de l’UE. Enfin… le problème n’est pas tant le marché unique mais l’absence d’uniformité normative tant sur la législation applicable, que sur le droit du travail ou les prix.

De plus, les agriculteurs demandent que les aides de l’État soient versées en temps et en heure ainsi que la fin de la hausse du gazole non routier (GNR). Mais les contestations des agriculteurs qui font la une de l’actualité depuis le début du mois de janvier 2024 ne vient pas de commencer, elle ne fait que prendre de l’ampleur car cette contestation a débuté en automne 2023 avec de nombreux panneaux de certaines villes retournés dans de nombreuses communes françaises.

Les difficultés financières sont flagrantes dans le milieu agricole avec notamment un taux de pauvreté des ménages agricoles proche des 20% alors qu’il est considéré comme proche des 9% pour l’ensemble de la population française.

Le gouvernement français veut agir

Les membres gouvernementaux se rappellent de la crise des gilets jaunes et veulent éviter qu’une nouvelle crise sociale apparaisse. D’autant que les agriculteurs bénéficient d’une belle popularité selon les sondages qui affirment que 85% des Français interrogés soutiennent cette mobilisation et estiment que les agriculteurs jouent un rôle central dans l’accès à l’alimentation.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, a annoncé vouloir repoussé le projet de loi sur l’agriculture. Ce projet de loi doit notamment répondre au manque d’agriculteurs en créant un Bachelor agro (Bac +3) mais aussi en créant un service qui permettrait un meilleur accompagnement des agriculteurs voulant s’installer à leur compte. Sachant que dans les 10 prochaines années, un tiers des agriculteurs devrait partir à la retraite, soit 166 000 exploitants sur les 500 000 actuellement installés, d’autant que les jeunes agriculteurs n’ont bien souvent pas les moyens financiers pour investir et s’installer et que le remboursement des emprunts serait trop élevé par rapport à la rentabilité aujourd’hui d’une exploitation agricole. Alessandra Kirsch, docteure en économie agricole affirme que les jeunes agriculteurs voulant s’installer doivent investir plusieurs milliers d’euros voire millions d’euros entre les véhicules, les équipements agricoles, les bâtiments, les terrains… La France aurait perdu 21% de ses exploitations agricoles en 2010 et 2020 soit 100 000 exploitations.

Vendredi 26 janvier 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal s’est rendu en Haute-Garonne pour faire de premières mesures : réduction des délais administratifs et juridiques pour mettre en œuvre des projets agricoles, fin des acharnements juridiques, moins de normes et d’aberrations règlementaires, mieux protéger les agriculteurs par un meilleur respect de la loi EGAlim, qui a pour objectif de protéger les revenus des exploitants agricoles, remboursement à 90% des frais de vétérinaire conte 80% jusqu’à présent, 50 millions d’euros supplémentaires pour la filière bio, fin de la hausse du gazole non routier, aides dues remboursées plus rapidement… Malgré ces annonces, les agriculteurs sont globalement mitigés tout en soulignant des avancées. La capitale reste toutefois sous la menace d’un blocage prochain par les agriculteurs qui dénoncent toujours une concurrence déloyale vis-à-vis des autres agriculteurs de l’UE. Le gouvernement devrait annoncer la semaine prochaine de nouvelles mesures.

Par Maxence HRYWNIACK

Le nucléaire français, entre fausse indépendance et fortes inquiétudes

Relativement à sa population la France est le pays le plus nucléarisé. En valeur absolue la France se classe 2ème derrière les Etats-Unis. En effet la France dénombre 19 centrales nucléaires et pas moins de 58 réacteurs. Le nucléaire représente 71,6% de la production électrique Française selon EDF. Symbole de sa force et instrument sûr d’approvisionnement énergétique pour certains, le nucléaire semble davantage dangereux que durable.

Carte des centrales nucléaires et leurs risques en France, selon Green Peace

Par ailleurs les lobbies du nucléaire ont de beaux jours devant eux. Leurs arguments sont repris sans répit dans les médias dès que les débats portent sur la pertinence ou non du nucléaire. De plus ils sont présents dans la sphère politique, Edouard Philippe aujourd’hui premier ministre fut directeur des affaires publiques d’Areva entre 2007 et 2010. Pas étonnant que la ligne directrice une fois au pouvoir fut immédiatement de dire que l’objectif de réduction du nucléaire -de 75% à 50% à l’horizon 2025- était irréaliste (objectif qui plus est très peu ambitieux selon le milieu associatif). Caractère « irréaliste » également répété par les tribunes du Figaro. Cette diminution était pourtant inscrite dans la loi de transition énergétique depuis 2015 et était aussi une des mesures à laquelle Emmanuel Macron s’était engagé. Les partisans du nucléaire semblent donc en train de gagner le combat politique comme en atteste la trajectoire énergétique prise par la France -une transition molle- mais aussi le combat idéologique à la vue des idées que s’en font les Français « énergie propre » « seule solution pour l’indépendance énergétique » « ce serait trop long et trop compliqué d’en sortir ».

Tentons d’y voir plus clair sur les arguments en faveur du nucléaire, tantôt malhonnêtes tantôt trompeurs. Le nucléaire permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre (on peut d’ailleurs lire sur le site de la SFEN la Société France d’Energie Nucléaire que grâce au nucléaire la France répond à plusieurs objectifs dont « la diminution des émissions de CO2 »). Or non seulement les matériaux utilisés pour construire les centrales sont extrêmement énergivores, mais le transport des déchets radioactifs produit du CO2. D’ailleurs ce transport génère pour l’environnement un risque de dispersion de matière radioactive. Instrument de compétitivité et d’approvisionnement par excellence le nucléaire (SFEN) serait donc rentable, efficace et sûr, on est pourtant loin du constat observé par le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Pierre-Franck Chevet déclare en 2016 que « Le contexte en matière de sûreté et de radioprotection est particulièrement préoccupant », l’ASN étant chargée du contrôle technique et réglementaire de la sûreté nucléaire et de la radioprotection il est difficile de ne pas sortir apeuré de son discours détaillant ses inquiétudes. La présence de 1100 sites renfermant des déchets nucléaires, ou des résidus de l’exploitation minière d’uranium ne viendra pas non plus éteindre ces préoccupations.

La canicule ayant affecté la production des réacteurs nucléaires de St-Alban et du Bugey, ceux-ci ont dû être arrêtés le 3 août dernier

Qu’on se rassure l’énergie nucléaire nous permet d’accéder à de l’électricité peu coûteuse. Elle est donc l’amie de notre pouvoir d’achat. Difficile de s’en convaincre pour celui qui sait qu’en 2022 plus d’un tiers des réacteurs (22 des 58) auront plus de 40 ans. Dès lors « il faudrait donc un effort considérable d’investissements à court terme, qui paraît très peu probable, voire impossible » selon Didier Migaud, président de la Cour des comptes (entretien avec le Monde le 31 janvier 2012). Que reste-t-il donc d’intéressant lié au nucléaire sinon le maintien d’emplois industriels qualifiés et la dite indépendance énergétique qu’il confère à la France ? Pour le premier aspect bénéfique, il est peu aisé de le contredire (quoique les emplois liés aux énergies vertes exigent également un savoir-faire de qualité, ce serait un réel défi technique), le second quant à lui est une fois de plus erroné. Certes la France dispose d’un parc nucléaire qui alimente en électricité les ménages français, toutefois le nucléaire a besoin d’uranium. La dernière mine française ayant fermé en 2001 il convient donc d’en importer entre 8 000 et 9 000 tonnes par an pour alimenter les réacteurs (connaissances des energies.org) nombre rarement évoqué dans les débats.  Le Niger et le Kazakhstan sont deux des zones premières d’importation dans des conditions sanitaires et écologiques critiques sans parler du fait que ces importations ne rapportent quasiment rien aux populations locales. Pour clôturer le tout, les centrales nucléaires ne sont pas compatibles avec le changement climatique. Ne supportant pas des températures trop hautes un réacteur de Saint Alban et un autre de Bugey ont dû être arrêtés le vendredi 3 août par précaution.

Dimitri HAULBERT