Nouveau gouvernement américain : l’impossible défi ?

Nouveau gouvernement américain : l’impossible défi ?

Récemment ont eu lieu les élections américaines pour désigner le 46-ème président de la Première Puissance Mondiale. Un événement pour le moins  mouvementé avec un président sortant qui n’a cessé de contester les résultats, affirmant être victime de fraudes multiples de la part du camp adverse. L’affaire a été  portée en justice. Pour le moment, aucune preuve de fraude n’a pu être apportée bien  que quelques erreurs et oublis de voix aient été soulignés dans certains comtés de Géorgie après recomptage.  

Au-delà de toute l’agitation générée par ce nouvel épisode électoral, de nombreux  défis à relever attendent le nouveau gouvernement américain tant au niveau national  que sur la scène internationale. D’un point de vue national, l’enjeu est de taille. Le duo  démocrate Biden-Harris doit composer avec un pays plus que jamais divisé entre deux  camps portant une vision de la société radicalement différente. En effet, d’un côté une  Amérique traditionaliste, conservatrice sur le plan des valeurs sociétales et  protectionniste sur le plan économique et de l’autre une Amérique qui se veut  « progressiste », prônant une culture du pluralisme et de la diversité, souhaitant voir  émerger un nouveau modèle de société dans lequel les minorités auraient la possibilité  de s’émanciper et de jouer un rôle clé dans la vie citoyenne et politique du pays, en  accédant à des postes à responsabilité et en exerçant une influence grandissante dans  les tendances actuelles.  

Au-delà du personnage extravagant qu’incarne le président toujours en exercice,  ses idées n’en demeurent pas moins profondément ancrées au sein de cette Amérique  rurale et des classes populaires qui ont en grande majorité porté leur vote sur le  candidat républicain. En effet, contrairement à ce qu’ont pu affirmer de nombreux  médias, l’accession de Donald Trump au pouvoir il y a quatre ans n’était pas un  « accident de l’Histoire » mais bien une réelle volonté de changement de la part d’une  partie du peuple américain, une détermination à tourner le dos à l’« establishment » ainsi qu’à l’oligarchie d’une certaine élite politique qui était notamment représentée  par la candidate démocrate Hillary Clinton en 2016. Le candidat vainqueur à l’élection  présidentielle de 2016 a été élu sur un programme économique portant une vision  protectionniste et étatiste. L’électorat populaire et ouvrier a été séduit par son  engagement en faveur d’une réindustrialisation massive et d’une relocalisation de  nombreux emplois manufacturiers. Le candidat Trump s’est dressé en rempart contre  la désindustrialisation. Entre la fin des années 1960 et le début des années 2000, le  nombre d’emplois manufacturiers est resté stable aux Etats-Unis avec un chiffre avoisinant les 17 millions d’emplois. L’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale  du Commerce (OMC) en décembre 2001 a changé la donne.  

De nombreux emplois ont été délocalisés, notamment dans l’Empire du Milieu où la  production est faite à moindre coût et où la main d’œuvre est bon marché.  Consécutivement à ces délocalisations de masse, l’emploi manufacturier aux Etats-Unis  a considérablement chuté entre 2000 et 2009 passant de 17 millions à 11,5 millions  d’emplois, ce qui représente une baisse de plus de 30%.  

Sur le plan des valeurs sociétales et culturelles, Donald Trump prône une politique  de préférence nationale, rendant à l’Amérique sa grandeur et remettant à l’ordre du  jour ses valeurs traditionnelles. Le président Donald Trump a axé sa campagne de 2016 sur le slogan « Make America Great Again » que l’on pourrait traduire par « Rendre  à l’Amérique sa grandeur ». Il avait également utilisé un autre slogan « America First »,  qui trouve son origine à la fin des années 1930 lorsque l’un des pionniers de l’aviation  américaine Charles Lindbergh voulait dissuader les Etats-Unis de se lancer en guerre  contre l’Allemagne nazie dont il aurait été un fervent admirateur. Les partisans de  l’idéologie isolationniste auraient remis en cause les projets de coopération  internationale envisagés par le président Wilson. Le 10 janvier 1920, le sénateur Warren  Harding alors candidat à l’élection présidentielle emploie à de multiples reprises  l’expression « L’Amérique d’abord » lors de son discours prononcé à New York. « Il faut  sauvegarder l’Amérique d’abord, stabiliser l’Amérique d’abord, faire prospérer  l’Amérique d’abord, penser à l’Amérique d’abord, exalter l’Amérique d’abord, faire vivre et vénérer l’Amérique d’abord. » Une allocution qui ressemble étrangement à celle  prononcée par le candidat à la maison blanche à la présidentielle de novembre 2016.  Ainsi, il avait déclaré « A partir d’aujourd’hui, ce sera l’Amérique d’abord. » en faisant  allusion à la protection des frontières et en mettant en avant sa politique de lutte contre l’immigration et en particulier l’immigration clandestine provenant de pays d’Amérique  Latine. Il avait également fait part de sa volonté de ne plus participer au financement  des armées étrangères alors que le budget de l’état américain alloué à ses force militaires diminuait encore et encore. Lors de sa première campagne présidentielle, le  président Trump annonçait déjà la couleur de son mandat en affirmant sa détermination à rejeter le multilatéralisme et à défendre une Amérique indépendante  agissant pour ces intérêts avant tout et passant outre certains engagements de  coopération internationale avec de nombreux états y compris ses plus anciens alliés  européens. 

 Après quatre années de mandat quelques peu inhabituelles, le nouveau président  démocrate élu Joe Biden et son bras droit Kamala Harris souhaitent tourner la page de  l’épisode Trump en redonnant au pays un nouveau visage et en lui rendant son statut  de Première Puissance Mondiale. La tâche ne sera pas des plus aisées avec un pays  fracturé et une société présentant des divergences profondes. D’un côté, une frange  conservatrice et protectionniste qui n’est pas prête à en démordre et qui continuera à  défendre sa vision et son idéologie avec ferveur et de l’autre une société se  revendiquant être progressiste réclamant plus d’égalité et de diversité ethnique, sociale  et culturelle. Cette frange là de la société pourrait bien être celle représentée par la  première femme à accéder au poste de vice-présidente Kamala Harris. Elle-même  incarne cette diversité réclamée par les partisans du progressisme. D’origine jamaïcaine par son père et indienne par sa mère, Kamala Harris a vécu une enfance marquée par  la contre-culture californienne. Dans les années 1960, alors que les Etats-Unis sont  marqués par une vague de mouvements contestataires, les parents de la jeune Kamala  qui sont des activistes convaincus, l’emmènent régulièrement à des marches en soutien  au Mouvement des Droits Civiques. De cette vague révolutionnaire, sont nés de  nouveaux courants politiques se revendiquant être de gauche et luttant contre le  capitalisme. Ces courants ont rassemblé différents groupes sociaux et communautés,  principalement des afro-américains et d’autres minorités ethniques, des femmes, des  homosexuels et des étudiants. Kamala Harris grandit et passe sa jeunesse à Berkeley,  ville proche d’Oakland, à l’époque en plein bouillonnement culturel et au cœur de  l’activisme américain. L’université de Berkeley constitue un terreau propice à la contre culture et à la gauche américaine. D’importantes manifestations y ont éclaté pour  protester contre la guerre du Vietnam en 1965 et de nombreux artistes et icônes,  également militants communistes comme le poète Beat Allen Ginsberg y venaient pour  donner des conférences aux étudiants. En 1966, le mouvement des Black Panthers,  dédié à la lutte contre les inégalités et les discriminations à l’encontre de la  communauté afro-américaine a vu le jour à Oakland. Par ses origines ethniques et la  jeunesse qu’a vécu Kamala Harris marquée par de nombreux courants protestataires,  la femme politique a construit son idéologie et ses valeurs qu’elle souhaite mettre en  œuvre au service de son pays. Par les idées qu’elle incarne, l’ancienne procureure de  San Francisco représente l’aile gauche du parti Démocrate en opposition au nouveau  président fraîchement élu qui lui défend la ligne plus traditionnelle du parti. Joe Biden  et Kamala Harris devront donc composer avec les divergences qui existent au sein  même de leur formation politique qui s’ajoutent à tous les autres différends qui divisent  le peuple américain dans sa globalité.  

 C’est aussi et surtout sur la scène internationale que le duo Biden-Harris est attendu  au tournant. Après le mandat Trump qui n’a pas été sans conséquences sur le plan de  la diplomatie et de la coopération internationale, Joe Biden promet que « l’Amérique  est de retour » et qu’il ne s’agit pas d’une Amérique solitaire et isolationniste comme  a pu en donner l’impression son prédécesseur. Comment l’Europe et le reste du monde  analysent-ils la victoire de Joe Biden ? Une grande majorité de dirigeants européens et  internationaux ont félicité Joe Biden pour sa victoire dès la journée du 7 novembre, peu  de temps après que les premiers résultats de l’élection ont été diffusés. De son côté, le  nouveau dirigeant américain fraîchement élu a annoncé de grandes mesures et de  grands engagements sur le plan international. Il a notamment fait part de son souhait  de réintégrer l’Accord de Paris sur le climat d’ici quelques semaines, rappelant sa  volonté de prendre part aux objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, de  remettre l’Amérique « au vert » et mettre en place un financement ainsi qu’un plan de  relance verte d’une valeur de plus 2 Milliards d’Euros sur 4 ans.  

L’Europe attend un engagement sans failles de la part des Etats-Unis sur la transition  énergétique et les nombreux enjeux que cette dernière représente.  

L’Europe attend également Biden au sujet de la défense, celle-ci s’étant habituée ces  dernières années au concept de l’autonomie stratégique défendue par le  gouvernement Trump. Il y a quelques mois, Emmanuel Macron avait parlé de l’OTAN  en affirmant qu’elle était « en état de mort cérébrale ». L’OTAN va-t-elle trouver une  seconde genèse avec Biden ? Un renouvellement de sa doctrine est au programme tout  comme son financement. Biden pourrait revenir sur les engagements qu’avait pris son  prédécesseur, concernant le retrait des troupes américaines en Allemagne. Des projets  sont à l’étude avec Berlin qui est plus « atlantiste » que Paris afin de développer des  partenariats entre l’Europe et l’Amérique. L’objectif étant d’unir les nouvelles  générations d’allemands et d’américains et plus largement d’européens et d’allemands.  Si Biden se dit prêt à coopérer avec l’Europe sur de nombreux sujets y compris celui de  la défense, il a toutefois annoncé qu’il attendait des européens qu’ils prennent leur  sécurité en main sans pour autant les abandonner et les laisser seuls faire face à des  enjeux sécuritaires de taille.  

 Enfin, en matière commerciale, l’Amérique défendra toujours ses intérêts. Depuis  plus d’un an, Washington passe à l’offensive avec l’Europe en taxant ses produits  (Airbus, le vin, l’huile d’olive, etc…). La réaction de Bruxelles ne s’est pas fait attendre et  celle-ci prévoit de taxer à son tour les produits américains (Boeing, le blé, le jus de  fruits) pour un montant avoisinant les 4 Milliards de dollars. L’UE souhaite garder sa  part de souveraineté et protéger son commerce. 

Néanmoins, celle-ci appelle à une coopération avec la Première Puissance Mondiale  pour conclure de nouveaux partenariats transatlantiques (traités de libre-échange,  etc…). 

Le nouveau gouvernement américain sera-t-il en capacité de relever les nombreux  défis qui l’attendent tant au niveau national que sur la scène internationale ? Saura-t-il redorer l’image de la Première Puissance mondiale ? Seul l’avenir nous le dira. 

Nolwenn Dallay

Bolsonaro : une victoire spatialement inouïe

Jair Bolsonaro remporte les élections présidentielles du 28 octobre 2018 avec 55,10% des voix.

C’est au terme d’une campagne électorale tendue que le candidat du Parti social-libéral (PSL) Jair Bolsonaro remporte les élections présidentielles du 28 octobre 2018 avec 55,10% des voix (Source : Le Nouvel Obs). Se proclamant conservateur et candidat de la droite forte, il a fondé sa stratégie de communication sur les thèmes de la corruption et de l’insécurité, particularité qui lui garantirait le titre de « Trump des tropiques ». Cependant, sa victoire électorale manifeste une répartition spatiale d’un tout autre ordre.

Un discours portant sur des thématiques nationales

A défaut d’évoquer des problématiques d’ordre international comme son homonyme de l’hémisphère Nord, Jair Bolsonaro a concentré sa parole quasi-exclusivement sur des sujets intérieurs au Brésil. Dés lors, il a fait de la lutte contre l’insécurité le fer de lance de sa campagne, cela dans le pays au plus fort taux d’homicide de l’OCDE : 29,53 homicides volontaires pour 100000 habitants en 2016 (Source : Banque Mondiale). Bolsonaro a de surcroît surfé sur les scandales de corruption autour des gouvernements travaillistes précédents afin de discréditer son adversaire principal, Fernando Haddad, successeur de Lula. Enfin, le candidat du PSL a su jouer de sa proximité avec l’armée sur les questions de la sécurité aux frontières, notamment face aux réfugiés du régime vénézuélien. Jair Bolsonaro est ainsi parvenu à se positionner sur plusieurs de fronts grâce à un discours fort face aux problèmes nationaux, lui permettant de développer une influence multi spatiale lors de la campagne.

Contrairement à Trump, une géographie électorale plus disparate

Il a réussi au contraire à séduire des zones rurales et urbaines, comme en témoignent ses scores au second tour. Source: LeMonde.

C’est surement grâce à des paroles fortes sur ces sujets que Jair Bolsonaro a conquis une grande diversité de territoire. Alors que Trump était caractérisé, entre autre, d’être le candidat du vieux Sud et du Midwest, Bolsonaro ne suit pas ce schéma qui pourrait parfaitement se reproduire au Brésil.

Il a réussi au contraire à séduire des zones rurales et urbaines, comme en témoignent ses scores au second tour. Il s’octroie par exemple une proportion d’électeurs d’environ 65% dans l’Etat de Sao Paulo, le plus riche du pays et ouvert aux échanges internationaux, tout en surperformant aussi dans le Mato Grosso avec un score similaire dans un Etat front pionnier qui vit principalement de l’agriculture (Source : Le Monde). Bolsonaro remet donc en cause le clivage ville/campagne qui sert souvent, à tort, de justification à la montée de figures autoritaires aux yeux des principaux médias occidentaux.En revanche, il illustre un découpage ethnique croissant du Brésil : la population blanche l’a massivement soutenu, en plus d’obtenir les voix de la diaspora brésilienne avec un score de 58,68% dés le premier tour auprès des expatriés ! (Source : Le Temps). Jair Bolsonaro réalise la prouesse d’incarner une rupture avec les mandats du PT et un renouveau, une promesse d’avenir pour la jeunesse notamment, mais qui nous incite à considérer davantage la question ethnique au Brésil.

Paul Lamelet