La légalisation de trop

Poncif de palabres stériles, sujet éculé en éducation civique, la prostitution s’en va et revient sur la scène du débat public, provoquant de mous remous. Les derniers déchaînements de passions remontent à 2013 : ce sont les débuts de la pénalisation des clients, et la publication de l’élégante « Touche pas à ma pute ! », tribune signée par les autoproclamés « 343 salauds » dans le journal Causette. Parmi eux, des noms qui sonnent comme un refrain : Elisabeth Lévy, Frédéric Beigbeder ou encore Eric Zemmour. Ils sont portes drapeau d’un anti-féminisme branché, à l’odeur de vieille France.

La légalisation de tropTouche pas à ma pute ! s’inscrit dans la ligne légaliste de la prostitution. En France, elle est règlementée et prospère au XIXème siècle. On estime que jusqu’à 25% des Parisiens sont des consommateurs réguliers. Les prostituées ont un statut de citoyennes inférieures, considérées comme des vectrices de syphilis : visites médicales obligatoires, immortalisées par le grand Toulouse-Lautrec, police des mœurs, numérotation, fichage et surveillance policière. Au cours du XIXème siècle, la police dénombre 725 000 arrestations pour prostitution clandestine, contre 155 000 prostituées déclarées. Grâce au combat d’une prostituée, aviatrice, espionne et femme politique, Marthe Richard, les maisons closes ferment définitivement en 1946, dans un climat de méfiance vis-à-vis des lupanars, soupçonnés de collaboration.

Cette petite piqûre de rappel, chinée sur Wikipédia, prend toute sa saveur quand on s’intéresse à la situation bordélique de l’Allemagne d’aujourd’hui. Depuis une loi de 2002, nos chers voisins peuvent profiter d’Eros Centers en toute quiétude. On estime à 400 000 le nombre de personnes prostituées (contre 30 000 en France), selon un rapport du syndicat allemand des TDS, les travailleur.se.s du sexe[1]. En comparaison, seulement 47 nouvelles déclarations sont enregistrées en 2017. L’Allemagne est aujourd’hui la première destination en Europe des femmes et enfants victimes de traite[2]. Comme à Paris au XIXème, les prostituées ne s’enregistrent pas, la plupart sont donc maintenues au secret par leurs proxénètes, qui les font venir d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne. Les résultats déplorables de la légalisation commencent à faire jaser chez les conservateurs[3]. La loi n’a pas amélioré les conditions de travail des prostituées, qui sont 2% seulement à aimer leur job, et donne le sentiment à un tiers des juges de faciliter la traite d’êtres humains.

Il y a, parmi les aficionados de la légalisation, un argument-massue. La légalisation fait baisser le nombre de viols autour des bordels[4]. Les études le montrent ! En moyenne, on observe une baisse spectaculaire de 30% du nombre de viols autour des tippelzones, les zones où la prostitution est autorisée aux Pays-Bas. Même constat à New-York. On imagine mal que les violeurs se soient assagis par la simple présence des maisons de passe. Ils ont simplement déporté leur « problème » au bordel. Effrayant, n’est-ce pas, le calcul statistique qui permet de faire disparaître 30% de viols, simplement en monnayant l’acte. Fameux tour de passe-passe comptable. Dernière observation, plus perverse, plus insidieuse : cet argument légitime le désir masculin tout-puissant. Puisqu’ils ne peuvent se contrôler, autant leur fournir un défouloir légal, car commercial ! Oui, les hommes et leur deuxième cerveau, assujettis à leur bestialité, ont le droit à l’affection, ou plus clairement, souffrent de la maladie de misère affective. Soignez-les, les pauvres ! Une petite analogie, qui a ses limites, me vient à l’esprit. Si l’on réunissait des personnes vaguement suicidaires dans une maison, et que l’on autorisait des maniaques à les tuer contre quelque rétribution, le nombre de meurtres diminuerait. Mais pas le nombre de tués.

Mais, il me vient l’envie de faire une petite expérience. Supposons que vendre des services sexuels soit légal, que les individus soient tous libres de disposer comme ils le souhaitent de leur corps et que la traite des êtres humains n’existe pas. Hop ! Bienvenue à Legalopolis, où tout est légal mais tout est contrôlé, surveillé, inspecté, fliqué, contenu, maîtrisé. La prostitution, oui ! Mais encadrée. Par qui ? Par l’Etat ? Les lois dicteraient ce qui est autorisé, ou pas, dans la chambre rouge ? Mais c’est déjà le cas. En Allemagne, toujours nos chers voisins, les gangbangs ne sont plus autorisés dans les Eros Centers[5]. L’Etat a jugé la pratique trop humiliante et contraire à la dignité humaine. Mais bientôt, ne verrons-nous pas défiler des adeptes de cette pratiques, réclamant le droit de disposer de leur corps et surtout de le monnayer de la manière dont iels le souhaitent ?

La légalisation, c’est l’Etat qui rentre dans les chambres à coucher. Son œil inquisiteur, par le judas, s’assurera que les citoyens fassent bien l’amour correctement, contre de l’argent ou pas, mais toujours en respectant la loi. Un centrisme mou prendra le pouvoir dans l’anarchie de l’alcôve.

Cette solution, aujourd’hui mise en place par la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Allemagne en Europe, provoque au sein du Parlement Européen de profonds désaccords. En cause, l’incapacité de telles politiques ultra-libérales à enrayer significativement la traite des êtres humains (79% des victimes sont prostituées[6]) ou même à améliorer les conditions de travail des TDS. Seulement 1% d’entre elles sont contractualisées, et leurs conditions de travail n’ont pas changé, voire ce sont dégradées, déplore le seul rapport d’Etat sur le sujet[7]. Le Parlement Européen s’est emparé du sujet en 2014[8]. Conclusion tranchante : le seul système souhaitable en Europe est le système franco-nordique. Il conjugue pénalisation des clients et dispositifs actifs de sortie de prostitution, sans conditions de dénonciation. Extrait des conclusions du rapport parlementaire : «  Les prostituées suédoises sont dix fois moins nombreuses qu’au Danemark voisin où l’achat de services sexuels est légal et la population, moindre. […] De surcroît, la police suédoise confirme que le modèle nordique a produit un effet dissuasif sur la traite à des fins d’exploitation sexuelle. »

Revenons au monde réel. La traite des être humains existe, représente une part variable mais toujours majoritaire des réseaux de prostitution, qu’elle soit interdite ou légale. Mais une petite partie de travailleur.se.s du sexe maugréent et bougonnent dès qu’une loi s’efforce de lutter contre une machine à broyer des vies. Ce qui se passe individuellement derrière les portes closes restera toujours intraçable. La légalisation, c’est une cécité destructrice, complaisante face à ces personnes qui revendiquent la liberté individuelle de profiter de leur bourgeoisie protectrice, et une insulte aux victimes de ce système. Les TDS auront toujours leur iPhone pour contacter leur sugardaddy et pour mettre des paillettes dans leur vie. Au moindre coup, au moindre coût, elles pourront arrêter et rentrer se reposer dans leur lit douillet qui les attendait là de toute façon. Les prostituées, elles, ne peuvent compter que sur la justice pour les sauver.

Anna MÉDAN

 

 

[1] http://fondationscelles.org/pdf/RM5/ALLEMAGNE_extrait_5eme_rapport_mondial_Fondation_SCELLES_2019.pdf (Rapport mondial sur la prostitution, citant le rapport du Strass)

[2] http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glotip/2018/GLOTIP_2018_WESTERN_AND_SOUTHERN_EUROPE.pdf

[3] https://www.liberation.fr/planete/2014/04/14/prostitution-l-allemagne-doute-de-son-modele_997428

[4] https://marginalrevolution.com/marginalrevolution/2017/10/prostitution-reduces-rape.html (American Economic Journal)

[5] http://fondationscelles.org/pdf/RM5/ALLEMAGNE_extrait_5eme_rapport_mondial_Fondation_SCELLES_2019.pdf (Rapport mondial sur la prostitution, page 6)

[6] http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2016-0205_FR.html

[7] https://www.bmfsfj.de/blob/93344/372c03e643f7d775b8953c773dcec8b5/bericht-der-br-zum-prostg-broschuere-deutsch-data.pdf

[8] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2014-0071+0+DOC+PDF+V0//FR

Limitons le politiquement correct

En France, la tendance est à prendre des pincettes dans ses déclarations. Cela se traduit, entre autres, par cette habitude fâcheuse que l’on a à mimer des guillemets dès lors qu’on évoque quoique ce soit qui puisse être mal interprété, ou encore un sujet sensible de société. Si l’usage de ces guillemets est par ailleurs incorrect dans la langue de Molière (nous utilisons les chevrons), il est toutefois amusant de remarquer que si nous avons importé le politiquement correct des États-Unis, nous en avons aussi adopté la gestuelle.

Les 5 formes d’intelligence pour affronter l’avenir de Howard Gardner

      En effet, le politiquement correct, que l’on peut définir par « l’habitude d’agir positivement à l’égard d’un certain groupe, pour la seule raison que ce groupe a été maltraité par le passé, et de quiconque se montre critique vis-à-vis dudit groupe » (Howard Gardner, Les cinq formes d’intelligence pour affronter l’avenir) est profondément américain. Traduit de l’anglais « political correctness », ses défenseurs le justifient en s’appuyant sur le postulat – contesté par les linguistes – communément appelé « l’hypothèse Sapir-Wholf », qui développe l’idée que le langage conditionne la pensée (en d’autres termes, un langage sexiste entraine une pensée sexiste par exemple). La réflexion développée ainsi indique que de doux euphémismes seraient plus appropriés pour évoquer certains groupes ou conditions sociales, certains métiers : « non-voyant » pour « aveugle », « hôtesse de caisse » pour caissière », mais encore « black » pour « noir » ou « gay » pour « homosexuel » (oui, le politiquement correct se nourrit justement du franglais).  À quand le « mal comprenant » de Guy Bedos ?

           

Cependant, s’il serait ridicule de s’offusquer de l’emploi de termes moins catégoriques, descriptifs, et somme toute péjoratifs voire dégradants à l’égard de certains groupes, les dérives du politiquement correct sont bien présentes, à commencer par l’imposition du vocabulaire. Il n’est pas rare de sentir que l’on dilue son propos, et si l’exemple de l’homme blanc qui n’ose plus dire « noir » ou « arabe » en public est facile, il en est tout de même une bonne illustration.

« Late Night with Seth Meyers » est une émission-débat américaine de fin de soirée animée par Seth Meyers sur NBC.

Aux États-Unis, où le politiquement correct est moins diffus et bien plus présent, on réussit à le tourner en dérision, avec les séquences comme « Jokes Seth can’t tell » (Les blagues que Seth ne peut pas dire). Dans cette séquence du Late Night show animé par l’animateur star Seth Meyers, quadragénaire blanc hétérosexuel, des intervenants issus des minorités (ethniques, LGBT) énoncent les chutes de blagues qui pourraient être considérées racistes si elles sortaient de la bouche du présentateur.

 

En France, toutefois, nous ne possédons pas encore le recul nécessaire pour avoir la vision d’ensemble des caractéristiques que le politiquement correct prend – et c’est tout le problème. Quand on étiquette tabous des termes employés au quotidien, mais aussi des éléments de réflexion, on oriente fortement le débat par une pression sourde, qui se réclame d’un soutien majoritaire (mais jamais évalué) de la population. Les raccourcis avec le Novlangue Orwellien semblent-ils si éloignés ?

Si la thèse semble a priori incongrue, elle n’en est pas moins fondée. Prenons l’exemple de Michèle Tribalat, démographe émérite à l’Ined (Institut national d’étude démographiques). Pourtant fervente critique de l’extrême droite et de ses méthodes (elle signe en 1998 Face au Front national : arguments pour une contre-offensive), on lui affuble dès le début des années 2000, suite à sa prise de position en faveur de statistiques ethniques, une pensée raciste, qui lui vaudra sa carrière et qu’elle dénoncera comme une « nazification de l’adversaire ». On retrouve ici la définition du politiquement correct du philosophe André Comte-Sponville in L’avenir du politiquement correct (2011) : « la tyrannie des bons sentiments, de la morale qui prétend s’appliquer hors de son ordre ». L’exemple est d’autant plus criant qu’il met en exergue la bien-pensance développée par le politiquement correct : on en arrive à vouloir limiter les éléments qui permettraient d’affirmer une réflexion, de peur qu’elle ne soit pas « acceptable ». 

Mais alors, face à ce constat, que faire ? La réponse doit être collective, claire et publique : pour limiter l’autocensure, tournons-là en dérision. Après tout, si on arrive à rire de la pensée unique qui s’installe discrètement, peut-être pourrons-nous mieux l’identifier dans tous ses aspects. Quoiqu’il en soit, si nous continuons à abandonner les réquisitoires contre le politiquement correct à l’extrême droite, un phénomène aussi paradoxal que malheureux fera son apparition : le bon sens servira le populisme.

Alban SIBAUD

Qu’est-ce qui est jaune et qui attend?

Les Gilets jaunes sont des plus nombreux à Toulouse

En jetant un coup d’œil au classement des personnalités préférées des Français, on remarque surtout des célébrités très consensuelles, des Omar Sy, des Jean-Jacques Goldman. Des individus qui n’ont jamais fait la moindre vaguelette. Au contraire, au rang des personnalités les plus détestées, uniquement des personnes très politisées, à l’instar d’Alain Delon ou de Nicolas Sarkozy. L’absence d’idée politique claire rassemble les Français : de là vient l’immense popularité du mouvement des Gilets Jaunes.

Le mouvement dès le départ, se réclame apolitique, dépourvu d’organisation syndicale, de toute façon socialiste. Sur les plateaux, on invite des Gilets Jaunes qui martèlent et qui s’égosillent à qui mieux mieux : le mouvement est a-po-li-tique. Il est apolitique. Il est surtout apolitisé. Car les personnes qui ont initié le mouvement n’ont que faire des luttes de pouvoir entre les partis, et les piètres tentatives de quelques hommes politiques délavés pour incarner le mouvement se sont soldées par une cuisante indifférence. Des personnalités de droite dure surtout, Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan. La gauche, poltronne ou pudique, s’est tue. La rumeur qui émanait des ronds-points n’exigeait pas l’augmentation du nombre de tranches fiscales.

Etranglée entre des obligations présentielles en Assemblée et une inexpérience en communication, il n’est pas étonnant qu’une néo-classe politique entière soit en lévitation au-dessus de la vraie France, celle que décrit Jacline Mouraud dans sa vidéo virale sur Facebook. Les revendications ne peuvent plus emprunter les voies traditionnelles pour remonter à Paris. Ajoutez à ce blocage des commentaires au mieux maladroits, au pire franchement méprisants (« nous avons été trop subtils »). L’erreur a été de croire que ces députés LREM porteraient la voix du milieu d’où ils viennent. Ils portent finalement la voix de celui qui les a adoubés, j’ai nommé le Président de la République. Face à un problème aussi profondément politique, la colère des Français s’est cristallisée autour d’un mouvement qui a eu l’intelligence, (ou la chance ?) de ne pas y répondre politiquement, au sens traditionnel, au sens de la création d’un parti. La création d’une liste « Gilets Jaunes » pour les européennes signe la fin de la particularité, de la popularité, du plébiscite presque, que suscitaient ces casseurs bien-aimés de radars inquisiteurs.

Cette fin est aussi signée par une distanciation des classes moyennes et moyennes supérieures. Elles soutenaient ce mouvement, libéral et anti-taxes, comme 80% des Français. Ecrasées par la fiscalité, ça faisait longtemps qu’elles n’avaient pas senti qu’une manifestation « traditionnelle », d’ordre économique, leur parlait. N’ayan

Un manifestant gilet jaune réclamant le RIC samedi 15 décembre à Paris.

t jamais eu la culture du conflit social, elles se sont reposées pour défendre leurs intérêts sur la frange pauvre qui a occupé les autoroutes. Mais les semaines passant, les actes s’enchainant les uns après les autres, le beauf, au côté exotique de prime abord, est assez rapidement devenu gênant. Sur la forme, être assimilés à ces moyens-pauvres, voire pauvres, n’est plus attirant. Le mouvement a également trouvé une panacée appelée RIC, dont les moyens-riches n’ont que faire. Le fond ne les intéresse donc plus non plus.

Les Gilets Jaunes sont la conséquence directe du dégagisme qui a animé toute la campagne présidentielle 2017. En lieu et place d’hommes politiques expérimentés, apparatchiks roublards, des « barons » de partis, vieux hommes blancs, nous avons eu une brochette de nouveaux visages. Drapés dans le manteau immaculé du renouvellement, ils se sont révélés incapables de relayer le ras-le-bol croissant, assourdissant même, d’une grande partie des Français. Le manteau immaculé n’était que la fourrure du blanc mouton qui marche, qui marche toujours.

Anna MÉDAN

Bolsonaro : une victoire spatialement inouïe

Jair Bolsonaro remporte les élections présidentielles du 28 octobre 2018 avec 55,10% des voix.

C’est au terme d’une campagne électorale tendue que le candidat du Parti social-libéral (PSL) Jair Bolsonaro remporte les élections présidentielles du 28 octobre 2018 avec 55,10% des voix (Source : Le Nouvel Obs). Se proclamant conservateur et candidat de la droite forte, il a fondé sa stratégie de communication sur les thèmes de la corruption et de l’insécurité, particularité qui lui garantirait le titre de « Trump des tropiques ». Cependant, sa victoire électorale manifeste une répartition spatiale d’un tout autre ordre.

Un discours portant sur des thématiques nationales

A défaut d’évoquer des problématiques d’ordre international comme son homonyme de l’hémisphère Nord, Jair Bolsonaro a concentré sa parole quasi-exclusivement sur des sujets intérieurs au Brésil. Dés lors, il a fait de la lutte contre l’insécurité le fer de lance de sa campagne, cela dans le pays au plus fort taux d’homicide de l’OCDE : 29,53 homicides volontaires pour 100000 habitants en 2016 (Source : Banque Mondiale). Bolsonaro a de surcroît surfé sur les scandales de corruption autour des gouvernements travaillistes précédents afin de discréditer son adversaire principal, Fernando Haddad, successeur de Lula. Enfin, le candidat du PSL a su jouer de sa proximité avec l’armée sur les questions de la sécurité aux frontières, notamment face aux réfugiés du régime vénézuélien. Jair Bolsonaro est ainsi parvenu à se positionner sur plusieurs de fronts grâce à un discours fort face aux problèmes nationaux, lui permettant de développer une influence multi spatiale lors de la campagne.

Contrairement à Trump, une géographie électorale plus disparate

Il a réussi au contraire à séduire des zones rurales et urbaines, comme en témoignent ses scores au second tour. Source: LeMonde.

C’est surement grâce à des paroles fortes sur ces sujets que Jair Bolsonaro a conquis une grande diversité de territoire. Alors que Trump était caractérisé, entre autre, d’être le candidat du vieux Sud et du Midwest, Bolsonaro ne suit pas ce schéma qui pourrait parfaitement se reproduire au Brésil.

Il a réussi au contraire à séduire des zones rurales et urbaines, comme en témoignent ses scores au second tour. Il s’octroie par exemple une proportion d’électeurs d’environ 65% dans l’Etat de Sao Paulo, le plus riche du pays et ouvert aux échanges internationaux, tout en surperformant aussi dans le Mato Grosso avec un score similaire dans un Etat front pionnier qui vit principalement de l’agriculture (Source : Le Monde). Bolsonaro remet donc en cause le clivage ville/campagne qui sert souvent, à tort, de justification à la montée de figures autoritaires aux yeux des principaux médias occidentaux.En revanche, il illustre un découpage ethnique croissant du Brésil : la population blanche l’a massivement soutenu, en plus d’obtenir les voix de la diaspora brésilienne avec un score de 58,68% dés le premier tour auprès des expatriés ! (Source : Le Temps). Jair Bolsonaro réalise la prouesse d’incarner une rupture avec les mandats du PT et un renouveau, une promesse d’avenir pour la jeunesse notamment, mais qui nous incite à considérer davantage la question ethnique au Brésil.

Paul Lamelet

Nouvelles censures

Couverture du livre « On a chopé la liberté » publié en février 2018

« On a chopé la puberté » : publié à trois mille exemplaires, il aura suffi d’une pétition réunissant quelques cent quarante-huit mille signatures[1]pour que ce livre se présentant comme un guide pour adolescente au ton léger et amusant soit retiré de la vente, que son édition soit abandonnée et que son auteur annonce la fin de sa carrière littéraire. En cause ? Son caractère supposé sexiste, alors que ce livre est entièrement écrit par des femmes. Plus surprenant encore, le nombre de signatures, qui dépasse largement le nombre d’exemplaires physiques du livre … Il est inconcevable que chacun des cent quarante-huit mille censeurs aient lu le livre. Mais tous dénoncent le caractère sexiste du guide, notamment en se basant sur la copie d’une page du livre qui inciterait les jeunes filles à considérer comme anormal que leurs tétons soient visibles sous leur tshirt. Pure opinion, sujette à interprétation, comme l’a rappelé l’auteur dans sa lettre de démission.

Aujourd’hui donc, la censure vient « d’en bas ». Ces cent quarante-huit mille signataires se constituent en tribunal populaire pour faire interdire et censurer un banal livre jeunesse sous prétexte qu’il heurte leurs convictions sous couvert d’humour. Etrange non, dans un pays où le magazine Charlie Hebdo a reçu le soutien massif de millions de défenseurs de la liberté d’expression en 2015. Dans un pays où l’on demande à la religion de bien garder ses distances avec la liberté d’expression, le blasphème moderne ne serait-il pas de froisser les schémas et les certitudes d’une idéologie pompeusement baptisée progressisme ? Sous le masque du Bien, des Gentils de gauche, des féministes antiracistes pro-migrants, partisans de tous les combats « anti », agissent avec autant d’hystérie que les groupes et associations puritaines, catholiques et « familiales » qui condamnaient le film érotique Emmanuelle dans les années 1970. Les censeurs ont changé de camp. Étonnamment, ces mêmes progressistes garants du Bien et du Bon ont paradoxalement trouvé les excuses de l’humour et du droit à la provocation au « Pendez les blancs » de Nick Conrad …

Plus de 7000 personnes demandent au Metropolitan Museum of Art le décrochage de l’œuvre. Ça n’est pas la première fois que Balthus suscite interrogations voire indignations.

Si la censure a glissé de droite à gauche sur la pente savonneuse politique, elle s’est aussi horizontalisée. L’Etat s’est presque totalement désengagé de la question morale des œuvres publiées, se contentant de sermonner sur le tard un Dieudonné déjà que trop populaire. Les associations ont moins de poids que les rassemblements de milliers d’individus. Les combats deviennent ponctuels, le temps de faire censurer un livre ou retirer un tableau d’un musée. Des musées et des institutions culturelles qui se heurtent de plus en plus à la (con)fusion entre un artiste, son œuvre, et sa vie. La rétrospective-hommage à Polanski[2]est perturbée par des groupes qui refusent de célébrer l’œuvre du cinéaste accusé de viol. À New-York, le retrait d’un tableau au Met du peintre Balthus est demandé par plus de neuf mille personnes[3], car il serait une incitation à la pédophilie et sexualiserait une adolescente (il est d’ailleurs intéressant de constater que les accusations qui font le plus réagir aujourd’hui sont celles de violences envers les femmes, et que par exemple certains artistes arrêtés pour vols avec violence, ou suspectés d’actes antisémites graves ne sont que peu inquiétés[4]). Convaincus de l’importance de leurs élans émotionnels particuliers, ces Zorros se réunissent en ligne et signent des pétitions où pour trois clics on soulage sa conscience progressiste.

Et de l’horizontalisation de la censure découle sa privatisation.

Elle n’a plus de visage, que celui des lignes de code de l’algorithme Facebook. Voulant s’adresser à un public aussi large que possible, M. Zuckerberg nivelle par le bas le degré de liberté du réseau afin que le Saoudien salafiste et le Polonais ultra-conservateur puissent s’y sentir à l’aise. Ajoutez à cela une morale parfumée de dollars et de puritanisme, et vous obtenez la censure de « L’origine du monde » de Courbet et de « La liberté guidant le peuple » de Delacroix pour « nudité » ou « nudité suggérée »[5].

L’enfer est pavé de bonnes intentions : mais dans une société adulte, nous devons accepter la publication d’œuvres, tant qu’elles respectent les limites strictement légales de la liberté d’expression, même si elles nous dérangent.

[1]https://www.ladepeche.fr/article/2018/03/04/2753015-polemique-petition-editions-milan-reediteront-livre-juge-sexiste.html

[2]https://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/10/30/roman-polanski-a-paris-un-rassemblement-feministe-devant-la-cinematheque_5208049_3476.html

[3]http://www.exculturae.com/petition-balthus-met/

[4]http://www.bu2z.com/casier-judiciaire-booba-rohff-lafouinedeuxième vidéo, à 3min10

[5]https://www.livreshebdo.fr/article/de-nick-conrad-courbet-une-censure-numerique-double-vitesse?xtmc=censure&xtcr=14

Anna MÉDAN

Le nucléaire français, entre fausse indépendance et fortes inquiétudes

Relativement à sa population la France est le pays le plus nucléarisé. En valeur absolue la France se classe 2ème derrière les Etats-Unis. En effet la France dénombre 19 centrales nucléaires et pas moins de 58 réacteurs. Le nucléaire représente 71,6% de la production électrique Française selon EDF. Symbole de sa force et instrument sûr d’approvisionnement énergétique pour certains, le nucléaire semble davantage dangereux que durable.

Carte des centrales nucléaires et leurs risques en France, selon Green Peace

Par ailleurs les lobbies du nucléaire ont de beaux jours devant eux. Leurs arguments sont repris sans répit dans les médias dès que les débats portent sur la pertinence ou non du nucléaire. De plus ils sont présents dans la sphère politique, Edouard Philippe aujourd’hui premier ministre fut directeur des affaires publiques d’Areva entre 2007 et 2010. Pas étonnant que la ligne directrice une fois au pouvoir fut immédiatement de dire que l’objectif de réduction du nucléaire -de 75% à 50% à l’horizon 2025- était irréaliste (objectif qui plus est très peu ambitieux selon le milieu associatif). Caractère « irréaliste » également répété par les tribunes du Figaro. Cette diminution était pourtant inscrite dans la loi de transition énergétique depuis 2015 et était aussi une des mesures à laquelle Emmanuel Macron s’était engagé. Les partisans du nucléaire semblent donc en train de gagner le combat politique comme en atteste la trajectoire énergétique prise par la France -une transition molle- mais aussi le combat idéologique à la vue des idées que s’en font les Français « énergie propre » « seule solution pour l’indépendance énergétique » « ce serait trop long et trop compliqué d’en sortir ».

Tentons d’y voir plus clair sur les arguments en faveur du nucléaire, tantôt malhonnêtes tantôt trompeurs. Le nucléaire permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre (on peut d’ailleurs lire sur le site de la SFEN la Société France d’Energie Nucléaire que grâce au nucléaire la France répond à plusieurs objectifs dont « la diminution des émissions de CO2 »). Or non seulement les matériaux utilisés pour construire les centrales sont extrêmement énergivores, mais le transport des déchets radioactifs produit du CO2. D’ailleurs ce transport génère pour l’environnement un risque de dispersion de matière radioactive. Instrument de compétitivité et d’approvisionnement par excellence le nucléaire (SFEN) serait donc rentable, efficace et sûr, on est pourtant loin du constat observé par le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Pierre-Franck Chevet déclare en 2016 que « Le contexte en matière de sûreté et de radioprotection est particulièrement préoccupant », l’ASN étant chargée du contrôle technique et réglementaire de la sûreté nucléaire et de la radioprotection il est difficile de ne pas sortir apeuré de son discours détaillant ses inquiétudes. La présence de 1100 sites renfermant des déchets nucléaires, ou des résidus de l’exploitation minière d’uranium ne viendra pas non plus éteindre ces préoccupations.

La canicule ayant affecté la production des réacteurs nucléaires de St-Alban et du Bugey, ceux-ci ont dû être arrêtés le 3 août dernier

Qu’on se rassure l’énergie nucléaire nous permet d’accéder à de l’électricité peu coûteuse. Elle est donc l’amie de notre pouvoir d’achat. Difficile de s’en convaincre pour celui qui sait qu’en 2022 plus d’un tiers des réacteurs (22 des 58) auront plus de 40 ans. Dès lors « il faudrait donc un effort considérable d’investissements à court terme, qui paraît très peu probable, voire impossible » selon Didier Migaud, président de la Cour des comptes (entretien avec le Monde le 31 janvier 2012). Que reste-t-il donc d’intéressant lié au nucléaire sinon le maintien d’emplois industriels qualifiés et la dite indépendance énergétique qu’il confère à la France ? Pour le premier aspect bénéfique, il est peu aisé de le contredire (quoique les emplois liés aux énergies vertes exigent également un savoir-faire de qualité, ce serait un réel défi technique), le second quant à lui est une fois de plus erroné. Certes la France dispose d’un parc nucléaire qui alimente en électricité les ménages français, toutefois le nucléaire a besoin d’uranium. La dernière mine française ayant fermé en 2001 il convient donc d’en importer entre 8 000 et 9 000 tonnes par an pour alimenter les réacteurs (connaissances des energies.org) nombre rarement évoqué dans les débats.  Le Niger et le Kazakhstan sont deux des zones premières d’importation dans des conditions sanitaires et écologiques critiques sans parler du fait que ces importations ne rapportent quasiment rien aux populations locales. Pour clôturer le tout, les centrales nucléaires ne sont pas compatibles avec le changement climatique. Ne supportant pas des températures trop hautes un réacteur de Saint Alban et un autre de Bugey ont dû être arrêtés le vendredi 3 août par précaution.

Dimitri HAULBERT