Crimson Peak : avis de fantôme sur un manoir anglais

           Guillermo Del Torro. Cinéaste mexicain dont l’univers fantastique aura été mis au service de nombreuses productions dont il n’a pas été lui-même le réalisateur (Le Hobbit) mais dont on pourrait deviner l’influence. Nombreux sont ceux qui se souviennent encore de « l’Orphelinat », film d’horreur ayant dissuadé plusieurs personnes de sortir de leur lit en pleine nuit pour n’importe quel raison.
              L’arrivée de cette affiche évocatrice aurait pu laisser penser qu’un nouveau pas sur le chemin de l’épouvante va être fait. Les amateurs du genre vont être décontenancés. En bien ou en mal. Et ce pour plusieurs raisons.
            Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’un film d’horreur. On aurait pu vous laisser penser que les fantômes, ces êtres aux silhouettes et à la démarche si reconnaissable sont le clou du spectacle et les gardiens des clés de l’horreur que contient ce film. S’il s’avère qu’ils ont un autre rôle à jouer, force est de constater aussi qu’ils ne sont pas les plus à craindre dans ce manoir anglais où tout va se jouer…
Amateur de grands frissons, passez votre chemin ! Les scènes de peur et d’effroi ne deviennent que trop évidentes et attendues et vos yeux aguerris auront vu bien pire. Ce n’est pas que le talent de M. Del Torro s’est fané, cela est sans doute dû au fait que le but de ce film n’est vraiment pas de nous faire peur.
         Non décidément, ce n’est pas la peur qui domine ce récit très ancré dans la tradition du Romantisme noir et des récits gothiques d’une Angleterre à l’avant-garde de la Révolution industrielle. En réalité nous sommes bien au contraire fascinés par les personnages que nous voyons évoluer sous nos yeux. Il faut dire que le trio de tête brille par la façon dont ils se sont imprégnés de leur personnage. Qu’il s’agisse de Tom Hiddlerton ou de Jessica Chastain, ces deux sombres figures ont un physique taillé pour leur rôles ; un hommage devra être rendu à tous ceux qui les ont transformés en des personnages tout droit sorti de romans de Julien Green ou des films d’Hitchcock. Jessica Chastain, visage de damnée, regard sinistre ; cela restera en vous bien après votre sortie de salle. Il ne faudrait pas oublier Mia Wasikowska dont le rôle est loin de la cantonner à la pauvre blonde sans défense ballotée dans l’intrigue comme une enfant sans caractère dans un train fantôme. Il sera pour une fois plutôt évident de s’identifier à un personnage principal de film d’horreur.
          Fourmillant d’idées sorti d’un cerveau un peu dérangé tout de même (de l’argile rouge, une vision singulière des papillons…Entre autre !) ce film frappe surtout par son immense qualité esthétique. Des fantômes au manoir en passant par les costumes et l’environnement alentour, tout est fait pour que ce film devienne un cas d’école pour les jeunes réalisateurs, et au vu de nombreux plans de caméras, pour les peintres et les photographes.

 

      Allez le voir pour vivre une expérience visuelle avant tout mais certainement pas pour l’originalité du thème ou la peur qu’il puisse créer. Les amateurs du scénario d’« Inception » en prendront pour leurs frais, les surprises ne sont pas au rendez-vous. Mais vous garderez cette image d’un vieux manoir hanté par les ombres du passé, consumé par la neige au-dessus et l’argile pourpre d’en-dessous. Vous serez témoin d’un domaine taché irrémédiablement par un crime odieux que vous auriez pu vous épargner de vivre si vous réfléchissiez davantage aux avertissements que des êtres chers vous ont laissés… « Beware of Crimson Peak !»
Jessica Chastain, comme vous ne l’avez jamais imaginé
Antoine Lezat
Critique interactive n°2: Gone Girl

Critique interactive n°2: Gone Girl

De retour pour une critique ciné interactive avec ma deuxième grosse claque cinématographique depuis mon arrivée à Toulouse: Gone Girl! Avant d’expliquer en quoi ce film m’a surpris et captivé, voici le pitch:

      Amy et Nick Dunne semblent former un couple parfait et vivent parmi le gratin de Manhattan. Mais très vite à cause de problèmes professionnels puis familiaux, ils sont contraints de quitter New York et de retourner dans le Missouri où vit la famille de Nick. Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, Amy disparaît mystérieusement et Nick retrouvant sa maison dans un sale état craint le pire pour sa femme. Il appelle la police immédiatement mais certains indices  et son caractère apathique face à la gravité de la situation vont très vite faire de lui le suspect principal et l’ennemi public numéro un des médias.

De grandes attentes!

Je l’attendais avec impatience! En effet je fais partie de la génération qui a été marquée  par le cinéma de Fincher. J’ai grandi d’abord avec  Seven sorti en 1995 qui a notamment lancé la carrière de Brad Pitt puis avec le chef d’œuvre: Fight Club, sorti en 1999 qui est classé aujourd’hui 5ème meilleur film de tous les temps par IMDB, rien que ça! Ce que j’aime dans la réalisation  de Fincher comme dans celle  de Nolan d’ailleurs, c’est le ton toujours décalé, la richesse de l’intrigue et la pâte atypique que ces réalisateurs mettent dans leurs films. Ces réalisateurs mondialement connus créent ainsi ce que l’on pourrait appeler selon moi,  des « blockbusters complexes » ou qui donnent matière à réflexion. Aussi attendais-je de voir quels résultats allaient donner la  nouvelle collaboration de David Fincher avec les compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross après le succès de the Social Network (2010). J’ai adoré Gone Girl, même si je conçois que ce film puisse surprendre au départ, on est vite transporté par la mise en scène millimétrée du réalisateur américain.

(attention le paragraphe suivant comporte des spoilers!)

un Hitchcock moderne?

Pas vraiment! Ce film annoncé comme un thriller surprend comme je l’ai dit. On est loin des thrillers à l’atmosphère glaciale, au suspense intense. On est bien loin par exemple du morbide Seven. Le génie de ce thriller ne réside pas tant dans le suspense comme dans le cinéma d’Hitchcock mais plutôt dans cette atmosphère pesante, entre le tragicomique et le vrai thriller. Certaines situations peuvent sembler absurdes dans le cadre d’un tel drame.  Par exemple, Amy a disparu, mais Nick reste apathique. Les réponses qu’il apporte aux enquêteurs font presque sourire, on rit même du manque de  finesse ou de discrétion de celui qu’on croit au départ être le meurtrier de sa femme. C’est donc la qualité des dialogues qui nous fait sourire. Les échanges  , entre la police et Nick, puis  entre les parents d’Amy et Nick , animent cette première partie du film (la première heure disons) que l’on aurait pu renommer « Looking for the amazing Amy ».  La recherche d’Amy et l’enquête qui  auraient pu être racontées de manière tragique nous font sourire, voir nous choquent pendant la première heure.      Je m’explique: les parents d’Amy vont lancer de grandes investigations sur tout le territoire national en mobilisant les fans de la saga à succès écrite par leur fille: « the Amazing Amy » mais  ils adoptent  une attitude déconcertante, en effet ils surjouent et veulent donner l’image d’un couple uni bouleversé par la disparation de leur fille et proche de leur gendre Nick. Tous les personnages semblent plus attachés à leur apparence qu’à la recherche de la disparue dans cette affaire qui va être saisie par les médias. Une scène qui illustre bien cette idée est celle du cocktail organisé par les parents d’Amy où Nick est contrait de prendre une photo avec « une groupie » qui l’avait vu passer à la télévision.  Le sur-emballement médiatique autour de cette affaire donne un aspect de plus en plus théâtral à l’enquête. On a l’impression que ce qui compte le plus pour les médias c’est « d’abattre Nick en place publique », en dévoilant sa vie privée, les erreurs qu’il a pu commettre, et en  l’accusant, bafouant du même coup la présomption d’innocence chère à la justice américaine.

Un drôle de thriller :

Pourtant malgré le caractère presque comique des dialogues ou des situations, on retrouve des codes de mise en scène propres aux thrillers. Par exemple pour créer une ambiance oppressante Fincher recourt au procédé dit du « cadre bouché ».

Exemple:

Ici l’utilisation du procédé est bien visible. Il n’y aucun point de fuite dans le décor en arrière plan du personnage. Nick est encerclé par l’image de sa femme disparue en bas à gauche,  ses beaux-parents en bas à droite le plafond en arrière plan.
La musique renforce cette atmosphère de thriller atypique. Selon moi, elle s’apparente dans les mélodies  à un mix étonnant entre une musique proche de celle de Desperate Housewives et  une plus proche de celle de  Seven

Un scénario à la fois prévisible et désarçonnant (spoiler énorme):

On comprend très vite que Nick n’a pas tué sa femme et qu’Amy a tout mis en scène pour le faire accuser bien que cela ne soit explicité qu’après un long moment. Mais ce qui devient intéressant, c’est de voir alors  à l’œuvre l’intelligence machiavélique d’Amy dans sa mise en scène puis sa réaction face à la tournure imprévisible que va prendre cette affaire. Notamment lorsque Nick qui a réussi plus ou moins à prouver son innocence et à  gagner un statut de repenti médiatique va lui demander en direct devant des millions de téléspectateurs de rentrer dans leur « nid d’amour ». Amy est prête à tout pour défendre son image de petite fille modèle malgré les atrocités qu’elle a pu commettre et pour cela elle commet des crimes encore plus grands. On a donc un crescendo d’intensité du début de la deuxième heure  à la fin du film. L’acmée  est atteinte lors de la scène du meurtre commis par Amy qui rivalise en intensité avec les plus belles scènes de Basic Instinct.

« Je ne suis pas un anarchiste, je vis entre les murs du royaume. Mais j’aime être dérangé par un film »

C’est ainsi que s’est lui même décrit David Fincher dans le GQ du mois d’Octobre dernier. Avec Gone Girl on peut dire qu’il a réussi à faire un film « qui dérange », pour sa tonalité mais aussi pour son contenu. Il est impressionnant en effet de voir la variété des thématiques traitées dans ce film.
Il y a  d’abord une critique  de la vie de couple et des liens du mariage dans nos sociétés modernes.
Ce film donne l’image d’une relation qui se détériore progressivement, une fois que « les masques sont tombés », que chaque amant découvre les défauts qui avaient été habilement cachés par l’autre.
Tout est une question de mise en scène finalement: la mise en scène du réalisateur, la mise en scène d’Amy pour faire accuser son mari, la mise en scène des parents pour donner l’image d’une famille soudée, la mise en scène de Nick pour cacher son adultère et enfin la mise en scène concoctée par l’avocat de Nick pour le tirer d’affaire. Tout le monde joue avec les apparences, pour occulter « le fond ».
Et là il est intéressant de voir que David Fincher utilise une mise en abyme qui offre un regard sur son propre travail. En effet dans sa carrière de réalisateur on lui a trop souvent reproché de privilégier la forme plutôt que le fonds…
Enfin Fincher donne l’image d’un monde où seul les apparences comptent: il faut faire « bonne figure » dans sa vie de couple, dans la tourmente, sur la scène médiatique, sur les réseaux sociaux et dans les tribunaux. Ce monde peut sembler caricatural et relever de la pure dystopie , pourtant en y réfléchissant bien il s’agirait plutôt d’une description naturaliste de notre monde actuel. Le voyeurisme des médias, leurs pratiques intrusives dans ce film ne sont pas tellement différentes de celles utilisées par certaines chaines de télévision de nos jours.
Aussi, déjà Sartre dénonçait cette société des apparences et « l’enfer des autres ». Selon lui, nous sommes en perpétuelle représentation, et la conscience que nous avons de nous même n’est que la synthèse des jugements qu’autrui a porté sur nous. En d’autres mots, nous ne nous connaissons qu’au travers du regard des autres, ce qui nous asservit en quelque sorte car pour que nous ayons une bonne image de nous même, il faut que nous soignons notre image auprès des autres avant tout.

Critique interactive n°1  : Interstellar (attention spoiler!)

Critique interactive n°1 : Interstellar (attention spoiler!)

   C’est tout en écoutant la BO magnifique de ce film que je m’adonne pour la première fois, non sans émotion, à une critique ciné. Comme je l’explique dans ma petite bio sur ce blog, je souhaite créer cette année une série d’articles dits : « critiques interactives ». Le concept est simple : j’expose dans un premier temps mon ressenti, mes interprétations et j’évoque des pistes de réflexions possibles autour desquelles ensuite nous pourrons débattre, je l’espère,  en commentaires. Le but étant de donner l’occasion aux plus cinéphiles d’entre vous de partager vos connaissances et d’enrichir, voir de bouleverser le regard que nous avons d’un film (et peut être même du cinéma qui sait !).

Une œuvre de génie :

La coutume veut que l’on rappelle toujours le pitch dans un premier temps, alors allons y :
La fin du monde approche et c’est dans d’étranges circonstances que Cooper (Matthew McConaughey) rejoint un groupe d’explorateurs spatiaux formé par la NASA pour explorer une nouvelle galaxie à la recherche de planètes habitables. Cooper, père de famille abandonne donc son ranch,son beau père, sa fille (Murphy)  et son fils. Mais la théorie de la relativité oblige, le temps passe plus vite sur Terre que dans l’autre galaxie et Cooper voit ses enfants vieillir plus vite que lui au fil de leurs messages vidéos depuis la Terre reçus de manière épisodique.  Leurs relations, au départ très complices, se détériorent tandis que nos explorateurs poursuivent leur périple spatiale afin de sauver les habitants de la Terre.
NB :  Ce scénario est cosigné par l’astrophysicien Kip Thorne, un des premiers scientifiques à avoir travaillé sur les vortex traversables et les machines à remonter le temps.
Là en théorie commencent les spoilers, donc seuls ceux qui ont vu le film peuvent continuer la lecture !

On tourne en rond ?

«  un pitch simple mais un voyage épique »

 Une nouvelle fois le pitch est simple mais le déroulement ô combien captivant. Interstellar c’est un voyage spatio-temporel pas seulement pour les personnages mais pour nous aussi. Tout tourne : le vaisseau, la Terre, la musique semblable par moment à   un rouleau compresseur, l’aiguille de la montre donnée par Cooper à Murphy, nous entrainent inlassablement dans cet espace.  On sort du cinéma comme ivres. C’est peut-être cela la force du film :il nous enivre. Tous les aspects du scénario qui nous sembleraient absurdes, scabreux, à première vue (comme le changement de galaxie rendu possible par le dépôt d’un « portail » près de Saturne par on ne sait qui) on les accepte. Plus on s’éloigne de la Terre, plus la tension monte, plus la musique s’emballe et plus le scénario se complexifie. Ainsi c’est dans une atmosphère totalement onirique, psychédélique que s’achève le voyage de Cooper qui après avoir plongé dans le trou noir Gargantua se retrouve dans… la bibliothèque de sa fille, enfin, le meuble entends-je. Il comprend alors que la gravité, et surtout l’amour ont transcendé l’espace et le temps. Il est  le fantôme dont sa fille parlait au début du film. La chambre  de cette dernière où se trouve la bibliothèque est comme un portail qui lui permet de traverser les époques. Et c’est ainsi qu’il communique à Murphy (devenue une grande scientifique à l’âge adulte) les éléments manquants à  l’équation qui lui permettra de sauver la Terre.

Qui dit voyage spatial, dit Kubrick : des similitudes et de grandes différences avec l’Odyssée de l’espace :

–         Une vision plus optimiste des nouvelles technologies :
Pour Nolan les robots ne sont là que pour nous servir puisqu’ils ont été conçus pour cela, Cooper pourra ainsi compter jusqu’au bout sur son robot.
Kubrick quant à lui, donne dans son film une image inquiétante des nouvelles technologies avec l’ordinateur de bord du vaisseau:  Carl,  qui tente de se débarrasser de l’équipage à bord quand il apprend qu’on veut  le débrancher.
–          L’acmé finale est selon moi, semblable entre 2001 et Interstellar. On retrouve la figure de l’homme héroïque qui achève son voyage interstellaire en solitaire à la recherche de réponses aux questions métaphysiques de l’humanité. Le pilote plonge au bout du voyage, dans un vortex de couleurs en contraste avec l’obscurité spatiale. Il s’agit là de l’achèvement d’un voyage initiatique, au bout du compte, le vaisseau se désagrège et  l’homme se retrouve alors dans un milieu onirique, psychédélique. Et tandis qu’on le croit vouer à la mort, il survit ou plutôt il renaît. Mais dans les deux films, la personne qui sort de ce voyage initiatique n’est plus la même, elle devient un surhomme incarné par la figure du fœtus astral chez Kubrick et du Cooper devenu maître du temps chez Nolan.

Qui dit voyage spatial, dit aussi  Gravity…

Gravity avait reçu de nombreuses louanges pour son réalisme. Notamment la critique scientifique avait apprécié que « pour une fois » un film parvienne à nous « faire entendre » si l’on peut dire le « silence spatial ». Aussi l’immersion était totale grâce à la 3D et à la manière de filmer les spationautes. Dans Interstellar, l’espace est plus imprégné de l’Esthétique chère au réalisateur, que d’un réalisme à la hauteur de Gravity. On retrouve dans cet espace glacial obscur, les couleurs qu’affectionnent Christopher Nolan, le bleu métallisé, le gris, le blanc glacial.  On peut aussi retrouver des motifs et des symboles semblables à ceux d’Inception, ou plus récemment de Man of Steel : la glace et l’eau sont très présentes, on retrouve le motif du temps qui passe et qui tourne. Dans Inception c’est la toupie qui tourne, ici tout tourne : le vaisseau, les rampes de lancements qui envoient le vaisseau aux confins de l’univers, les aiguilles de la montre de Cooper.

Merci Hans Zimmer !

Le duo de choc du box office a été une nouvelle fois recomposé ! Pour ce film Hans Zimmer semble avoir renouvelé un peu petit peu sa partition. On retrouve certes les basses écrasantes, une musique électronique discordante qui se mêle à des chœurs et des instruments plus classiques mais le compositeur à succès a introduit pour Interstellar un nouvel instrument : l’orgue.
D’après vous pourquoi ce choix ?
–          Peut être est-ce le reflet d’une certaine spiritualité (l’orgue est l’instrument des cérémonies chrétiennes…). Jamais évoquée par Nolan, elle est pourtant omniprésente du début jusqu’à la fin. Qui sont ces fantômes, ces anges gardiens qui ont guidé Cooper ?  Nous y revenons par la suite…
–          Quand Matthew se retrouve en fin de film dans la bibliothèque, j’ai d’abord cru justement qu’il était à l’intérieur d’une sorte d’orgue, d’ailleurs il enfonce les livres comme on enfoncerait les touches d’un piano ou d’une orgue pour communiquer avec sa fille.
–          Cette symbolique de l’orgue est peut-être là pour nous montrer que l’homme du futur pourrait disposer  du temps comme d’un instrument.
Le dénouement amène aussi à se poser des questions sur notre cheminement spirituel (comme si le progrès nous amenait peu à peu à prendre conscience que nous sommes nos propres anges gardiens et que Dieu finalement c’est l’homme du futur).

L’heure est aux interprétations les plus folles : lâchez vous !

–          Matt Damon joue le Dr Mann : selon moi ce nom n’a pas été choisi au hasard. Il représenterait peut être  l’humain qui n’a pas évolué et défend une conception darwinienne de l’homme mu par l’instinct de survie. Souvenez-vous, c’est lui qui a prétendu que sa planète était habitable (alors que ce n’est vraiment pas le cas…)  afin que l’on envoie un équipage sur sa planète. Il a mis en péril la mission et l’humanité dans le seul but de « sauver sa peau ».   Le combat entre Cooper et Mann sur la planète glaciale : c’est le combat entre deux  humanités. Qu’est ce qui doit guider l’action : l’instinct de survie ? L’amour ?  Mann a perdu la tête et tandis qu’il tente de se débarrasser de Cooper, il lui dit : « statistiquement il a été prouvé qu’avant de mourir, la dernière image que tu verras sera celle de tes enfants »…

–          Interprétation religieuse du film :

Bon là ça part un petit loin pour finir. Tachons d’être concis.
Et si Interstellar était un film profondément religieux malgré qu’il s’agisse d’un blockbuster et qui plus est d’une œuvre de science-fiction ?
Pendant tout le film, on se demande : qui tente de sauver l’humanité dont la terre natale se meurt ? Pour rappel, la NASA évoque à demi-mots « des individus qui semblent nous vouloir du bien » qui auraient placé un portail près de Saturne afin de  nous permettre de nous rendre dans une autre galaxie (pour la théorie « du trou de ver » rendez-vous à Paul Sabatier). Ces êtres venus d’en haut, et le fantôme de Murphy nous plongent tout le long du film dans un profond mysticisme.  Et finalement on se rend compte au bout du voyage, que c’est les terriens eux même ou plutôt des terriens du futur ayant réussi à se sauver grâce à la technologie (cela n’est qu’une interprétation), qui viennent nous sauver en traversant le temps devenu une dimension comme une autre pour eux.
 On replonge alors dans les textes de Feuerbach (l’immensité de Dieu, c’est peut-être la figuration de l’immensité des potentialités de notre raison), et l’on s’écrie à la manière d’Apollinaire : « Dieu c’est l’homme. »
Nolan semble jouer de cette vision, en faisant de Cooper un héro hors du commun, s’apparentant alors à un Dieu vivant. Sous bien des aspects, le personnage de Cooper est semblable à l’image traditionnel de Dieu :
–          C’est un homme. Il a la figure du père protecteur, voulant d’abord protéger sa famille, puis sauver l’humanité (en ce sens il est bienveillant comme un Dieu).
–          On remarque dès le début que Cooper est seul, sa femme est morte, cela peut rappeler les grands monothéismes où Dieu n’a pas de compagne.
–          Enfin la relation entre Cooper et sa fille peut figurer la relation que tout croyant a avec son Dieu :
Il y a d’abord beaucoup de promesses non tenues : Murphy en veut à son père car elle sait qu’il ne rentrera jamais. Elle éprouve dès le début une profonde rancœur envers lui. Elle se sent abandonnée.
Plus elle grandit, plus elle croit que jamais elle ne reverra son père, qu’il ne tiendra pas ses promesses et qu’il la laissera mourir sur Terre. Les rapports qui se détériorent entre le père et la fille, peuvent ainsi figurer les rapports que tout croyant peut entretenir avec la religion face aux difficultés de la vie.
–          Le film nous transmet peut être ainsi un message implicite : la scientifique (Murphy) pour trouver l’ultime solution  à son équation a eu besoin de croire en son père après des années de rancœur et de désillusions. La réconciliation entre Murphy et Cooper veut peut être symboliser une nécessaire réconciliation entre la science et « un Dieu » (au sens de réalité supérieure qui nous dépasse) pour le bienfait d’une humanité en perdition.
–          L’ambiguïté est présente jusqu’au bout. Pour rappel c’est au lit de mort de sa fille que Dieu (ou plutôt Cooper…), réapparaît à la fin du film…
Ainsi ce n’est peut-être pas par hasard que le journal La Croix a multiplié les éloges envers ce film.