par Sébastien MAGNE | 28 janvier 2017 | Cinéma
A l’heure du reworking cinématographique
De nos jours, dans l’industrie hollywoodienne, le vintage a bonne presse. Il est plutôt lucratif de réutiliser des mécanismes du cinéma d’antan en témoignent le succès de The Artist :version moderne du cinéma muet et maintenant La La Land ou une comédie musicale comme on en voyait plus dans notre cinéma occidental. Je lance un petit pari, prochain grand succès à Hollywood : un film faisant renaître le théâtre de marionnettes ! Mais trêves de constations et de spéculations, passons plutôt à la critique.
J’attendais ce film avec la plus grande impatience faisant confiance à son réalisateur Damien Chazelle qui m’avait littéralement scotché avec son chef d’œuvre Whiplash (2014) et aussi car je ne louperais pour rien au monde un film avec Emma Stone (première page de ma bucket-list : « écrire un scénario pour Emma Stone », mais au-delà de cet objectif de vie, j’aime l’expressivité hors norme de son visage qui fait d’elle une magnifique actrice).
En effet la question se pose face à la simplicité du scénario : une histoire d’amour entre deux individus un peu paumés dans leurs quêtes respectives de succès à Hollywood, soit un sujet pouvant très facilement donner naissance à un nanar bien niais. Vous me voyez donc arriver avec mes grands sabots, je vais une nouvelle fois vous expliquer pourquoi j’ai adoré La La Land alors que d’autres peuvent sortir des salles obscures en disant « tout cet emballement médiatique pour une simple histoire d’amour, franchement pas si ouf ce film ». Et pourtant…
Une mise en scène réglée comme du papier à musique
Pardonnez-moi la facilité du jeu de mot, mais l’expression n’a jamais été aussi appropriée. Comme Whiplash, La La Land est un film musical de génie. Il est impossible selon moi de faire preuve d’un moment d’inattention car dès la scène d’ouverture, on est embarqué dans une folle farandole pour reprendre les termes de notre Edith nationale. Je m’explique : ce qui est frappant c’est qu’Il n’y pas que les passages chantés qui sont rythmés mais en réalité tout le film suit un « beat » entrainant. Les mouvements de caméra souvent en mode « caméra libre » semblent faire danser le décor et les personnages même quand ils sont immobiles. A d’autres moments des plans séquences géants nous exposent des scènes de danse spectaculaire qui nous donnent presque envie de nous lancer dans un solo de claquettes. Les pas des personnages même quand ils ne dansent pas suivent un tempo bien précis, les transitions entre les plans et les dialogues ont également une certaine musicalité. Je me suis amusé à plusieurs reprises à battre la pulsation (dans ma tête, toutefois, pour ne pas me faire virer du cinéma) et j’ai alors été d’autant plus admiratif face au travail réalisé. Quand ce n’est pas la musique qui donne le tempo, c’est l’apparition d’un nouveau personnage, d’un élément de décor ou d’une nouvelle couleur à l’écran qui va « tomber » au bon moment : à chaque battement du métronome. Je vous invite à faire l’expérience chez vous en prenant un métronome, vous verrez ainsi que chaque scène a une rythmique particulière même sans la bande originale du film. Le cut final est un modèle du genre car il tombe avec le timing parfait, au moment où on veut le voir et surtout car l’ultime réplique illustre parfaitement l’idée que je viens de développer. En effet le film s’achève sur Ryan Gosling qui bat la mesure « one two, one two, three four », une manière pour Chazelle de nous dire, « c’est la fin de ma partition et le début d’une nouvelle que l’on ne verra pas à l’écran ».
La construction d’un univers : la symbolique des couleurs et l’amour de/à Los Angeles
Plusieurs éléments contribuent à créer un univers très plaisant à contempler. D’abord le film suit un rythme atypique on l’a dit grâce aux séquences chantées et dansées mais aussi aux autre moments où s’impriment un certain tempo. Ensuite chaque plan du film est selon moi très « photographique ». On retrouve une incroyable finesse et un sens du détail dans le choix des décors, des costumes et des couleurs. Cette mise en scène accordant une place très importante à chaque détail du décor, car constituant autant de symboles venant enrichir la compréhension du film, m’a rappelé la minutie d’un autre réalisateur : Wes Anderson. Si vous avez aimé la manière dont l’univers de La La Land s’articule, vous aimerez sans doute The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson.
Dans l’univers de La La Land j’ai particulièrement apprécié la manière de filmer la « city of stars » : Los Angeles pour laquelle le réalisateur semble vouer une fascination qu’il tente de nous transmettre. Souvent filmée à l’aube ou de nuit comme pour mieux la transfigurer. Les éléments a priori les moins « sexy » et originaux de la ville sont magnifiés, par exemple les embouteillages et les pool parties de Los Angeles. Par moment la manière de filmer rend aussi hommage aux premiers grands classiques hollywoodiens.
Spoiler alert : je vais dévoiler ici quelques éléments de l’intrigue
Les couleurs en plus des thèmes au piano de la bande originale vont être de véritables « gimmicks » (soit des codes couleurs et sonores qui vont se répéter) du film qui vont surgir à des moments savamment déterminés. Je pense notamment à un bleu turquoise qui saute vraiment aux yeux. N’avez-vous pas remarqué les multiples apparitions d’un bleu très particulier dans de nombreuses scènes se retrouvant sur les tenues de Mia ou dans des éléments du décor? J’y ai vu une certaine symbolique, pour moi : il évoque l’amour entre Mia et Sebastian et d’ailleurs le bleu sous ses multiples formes est souvent omniprésent dans les scènes introduisant les passages quasi oniriques. On le retrouve partout comme un clin d’œil. J’ai cherché à le repérer tout au long du film et j’ai compris qu’il servait de véritable fil conducteur au récit. Mon hypothèse s’est confirmée à nouveau quand peu avant la scène finale, j’ai retrouvé ce bleu sur la flèche en néon indiquant l’entrée du Seb’s Jazz Club. On peut ici avoir l’interprétation suivante : Sebastian a choisi pour le code couleur de son jazz bar, une couleur qui lui rappelle Mia comme pour lui rendre hommage (puisque cette couleur est omniprésente dans de nombreuses scènes avec Emma Stone).
Bon il s’agit d’une pure interprétation mais on peut par ailleurs tous convenir que Chazelle est un fétichiste de certaines couleurs et que le mélange de ces dernières tout au long du film produit un très bel effet esthétique. On gardera tous en tête ces images de robes et costumes multicolores se mariant dans des grandes chorégraphies collectives. Entre la musique, la couleur, les paysages nos pupilles et oreilles sont « impressionnées » (au sens qu’elles reçoivent une multiplicité d’impressions sensorielles), et comme le jeune amoureux (comme Mia et Sebastian) on se retrouve bien vite enivré. La synesthésie s’opère parfaitement et on se laisse embarquer dans ce « land de tous les possibles» comme à la lecture de l’invitation au voyage de Baudelaire (grand maître de la création de synesthésie par le langage). En sortant de la salle obscure mes yeux étaient d’ailleurs beaucoup plus sensibles aux lumières de la ville : effet réussi pour le réalisateur!

Que nous dit cet univers ? Que veut nous faire ressentir le réalisateur ?
Je voulais ici revenir dans un premier temps sur l’intérêt des gimmicks que j’ai évoqués précédemment. Le klaxon délirant de la décapotable de Sebastian ou encore la couleur turquoise sont des moyens pour le réalisateur de créer des instants de complicité avec les spectateurs car ils annoncent à chaque fois des séquences bien précises du récit qu’un œil attentif peut donc anticiper. Mais aussi, Chazelle va créer des effets d’écho entre plusieurs scènes par la répétition de ces codes couleurs et sonores. Je pense notamment à deux scènes pour lesquelles l’effet de parallélisme est somptueux. Il s’agit de la scène où Mia entend Sebastian jouer du piano en rentrant par hasard dans un restaurant et de la scène finale où elle se rend sans le savoir au « Seb’s » avec son nouveau compagnon. Chaque fois un élément très précis va précéder (et précipiter ?) ces rencontres fortuites, il s’agit d’un éclairage rouge. Au début du film Mia rentre dans le restaurant (où Sebastian est employé) comme attirée par la lumière d’un vieux néon rouge. Plus tard, à la fin du film Mia et son mari se retrouve coincés dans un embouteillage (qui fait écho au premier embouteillage du film), et on a de nouveau un néon rouge : celui des feux arrière d’une voiture, qui éclaire le visage d’Emma Stone avant qu’elle ne sorte de la voiture pour se rendre sans le savoir au Seb’s. Le réalisateur jalonne donc son récit de petites madeleines de Proust. Dans une autre scène, après une dispute ayant donné lieu à une brève séparation avec Mia, on voit Sebastian, qui joue le fameux thème qu’il a joué à Mia lors de leur première rencontre entouré de ballons de couleur… bleu turquoise ! Par le biais des échos et autres madeleines de Proust, Chazelle nous figure la formation et la persistance du sentiment amoureux. Ce dernier reposant souvent sur des impressions sensorielles multiples : un parfum, une couleur, un lieu qui rappelle l’être aimé dans des circonstances diverses.
Cette figuration de la psychologie amoureuse dans un univers à la frontière de l’onirisme m’a rappelé Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry. Il s’agit peut-être d’un ressenti purement personnel mais je trouve que ces deux films donnent à ressentir les mêmes choses : la construction puis la fin d’une histoire d’amour fusionnelle, qui fait naître un fort sentiment de nostalgie et des situations de « déjà vu ». Ces deux films partagent aussi un aspect surréaliste et je trouve que le couple au centre de l’intrigue du film de Gondry a de mutiples points communs avec le couple Mia/Sebastian (une rencontre hasardeuse, une histoire fusionnelle, des personnages parfois maladroits mais charmants).
Au-delà de la réalisation de génie, un message pas si niais
Certes on est à Hollywood, Mia est une actrice et Sebastian un jazzman donc c’est un contexte culturel particulier pourtant cette histoire relève d’une certaine universalité (chacun peut s’y reconnaître en partie ).
Ce film nous dit en effet quelque chose de la quête d’épanouissement que chacun poursuit à sa manière. Ce développement personnel passe en grande partie par la recherche de formes d’amour diverses parfois incompatibles : l’amour de son/sa partenaire, son amour propre, l’amour de ses amis, sa famille. Hollywood cristallise toutes ses tensions et La La Land exploite parfaitement cet environnement. Mia et Sebastian sont des rêveurs, presque des marginaux et tout au long du récit on assiste en quelque sorte à leur passage à l’âge adulte. Ils tentent d’adapter leurs rêves à la réalité, en faisant certains sacrifices. Chazelle nous montre aussi (sans tomber dans gnagnaland) le caractère transcendant du sentiment amoureux. C’est sous l’impulsion de Mia que Sebastian va vraiment lancer sa carrière et c’est Sebastian qui emmènera Mia au casting qui sera décisif pour elle. De plus on n’assiste pas à un happy ending mais à une fin qui sonne très juste, et renforce l’effet de réalisme.
Chacun peut aussi s’identifier aux deux personnages fictifs : Mia et Sebastian. Ils sont tous deux loins d’être l’archétype du couple parfait qu’on trouve dans certaines comédies romantiques ou encore loins de l’extrême inverse type « Bridget Jones ». Encore une fois pas de fausse note dans le dosage de ces éléments! Sebastian a sa maladresse, son klaxon lourdingue, son appartement où les cartons s’empilent, et son allure qui oscille entre celle du parfait gentleman et du gamin tantôt grincheux, tantôt rieur. Mia, c’est une enfant qui peine à grandir, en témoigne la décoration de sa chambre au début du film, pleine de maladresse, de mimiques lui donnant un charme fou mais ne lui permettant pas de décrocher le rôle de ses rêves. Elle est une artiste, qui cherche à être aimée et à faire sa place. Elle se demande pourquoi elle mène cette vie jusqu’à son ultime casting où on lui demande d’improviser : elle se lance alors dans un monologue très introspectif qui semble agir comme une véritable thérapie pour elle (je fais référence ici à l’histoire de sa tante qu’elle se met alors à chanter).
Le choix du casting est parfait dans la volonté de nous exposer un couple imparfait et donc réaliste. Bien que Ryan reste beau gosse je rassure ses fans, il s’est aussi beaucoup livré dans ce film. On voit qu’il a un peu vieilli, que certains de ses traits ne sont plus si parfaits mais surtout il n’a pas peur du ridicule. En effet il m’a fait vraiment sourire dans son rôle du jazzman conservateur et maladroit. Lorsqu’il joue du piano nonchalamment, haussant les sourcils vers ses partenaires musiciens pour leur faire croire qu’il adore ce qu’il joue alors qu’il s’ennuie fortement il m’a même parfois rappelé Gad Elmaleh jouant de la guitare sur scène.
Emma Stone, n’a pas non plus la perfection des traits d’une mannequin (ce qui ne m’empêche pas de vouloir l’épouser), elle a certaines petites imperfections et maladresses. Elle joue la carte du naturel dans sa démarche et ses gestes. Les deux acteurs qui livrent une performance folle en matière de danse et de jeux d’acteurs ont aussi fait l’effort de se livrer à l’exercice du chant. Et là encore, le rendu final est des plus charmant mais est loin d’être impeccable. Ainsi chacun peut s’identifier à un des membres de ce couple et peut oser pousser la chansonnette à son tour.
Plus globalement La La Land est l’illustration parfaite d’une conception de notre société qui considère que la vie est un spectacle, et quoi de mieux qu’une comédie musicale emprunte d’un certain réalisme pour figurer ce qu’Erving Goffman appelait déjà en 1959 : la mise en scène de la vie quotidienne.
En somme pas si niaise que cela cette affaire…
NB : on aurait pu également analyser l’aspect référencé du film qui rend à chaque séquence hommage au cinéma hollywoodien et au genre de la comédie musicale en multipliant les caméos, que je n’ai malheureusement pas pu tous recenser après un seul visionnage du film.
par Sébastien MAGNE | 12 octobre 2016 | Cinéma, Culture, TBS Press
« Un Drive à moto ou un vrai film d’auteur ? »
Retour en 2013. Sur le papier The place beyond the pines avait tout d’une pépite avec son casting de rêve : Ryan Gosling, Eva Mendes, Bradley Cooper, Dane DeHaan pour ne citer qu’eux et son réalisateur et co-scénariste : Derek Cianfrance dont le talent avait été souligné par la critique à la sortie de Blue Valentine (2010). Pourtant il est loin d’avoir fait l’unanimité. Beaucoup lui reprochent une pirouette scénaristique osée que nous évoquerons par la suite et certaines « longueurs ». Pour ma part ce film m’a plu comme vous allez très vite le comprendre. J’ai apprécié l’incroyable finesse du scénario, et la manière dont le réalisateur parvient à toucher nos cordes sensibles en évoquant deux grands thèmes : le déterminisme et le rapport père/fils tout au long de ce drame, en lenteur. Place à présent à une analyse qui me permettra d’évoquer les ressorts émotionnels du film et ses coups de génie.
Je précise que pour ce film, il était difficile de faire une critique sans spoilers donc si vous ne voulez rien savoir de l’intrigue avant d’avoir vu le film, je vous conseille de passer directement à mon 3.
NB : pour faire référence aux personnages du film j’utiliserai le nom des acteurs. Si je dis « le fils de Ryan Gosling » comprenez donc » le fils du personnage qu’il incarne dans le film » 🙂
1) Un choix étonnant :
Le réalisateur adopte une approche pour le moins surprenante qui a l’inconvénient, ou le mérite, question de perspective, de désarçonner
« les puristes ». En effet, il n’y a pas vraiment de personnage principal dans cette œuvre : Ryan Gosling au centre du récit les 50 premières minutes disparaît brutalement, tandis que Bradley Cooper prend le relais immédiatement sans qu’il nous ait été présenté au préalable, avant que le fils de Ryan Gosling ne monopolise la présence à l’écran jusqu’à la fin du film. Ce procédé scénaristique que l’on peut nommer
« dilution de la fonction sujet» a notamment été employé dans le film
Cloud Atlas (2013) où plusieurs personnages principaux se succèdent dans différents récits sans liens apparents entre eux ou encore dans
Psychose (1960). Avec un tel choix on fait forcément des déçus parmi les membres du fan club de l’acteur de Drive qui voient leur coqueluche disparaître « trop vite »mais aussi on risque de perdre les spectateurs habitués aux schémas traditionnels d’un récit unique, linéaire avec des héros bien définis.
On peut être étonné de la facilité avec laquelle le réalisateur élimine un personnage clef de son récit (même si George R.R Martin nous a tous habitué à ce genre de disparitions prématurées dans Game of Thrones). Pourtant il faut comprendre ici la volonté du réalisateur : il ne souhaite pas seulement raconter un fait divers (un policier tuant un criminel lors d’une course poursuite), mais il souhaite surtout nous placer en situation d’observateurs d’existences qui peuvent s’apparenter de près ou de loin aux nôtres.
Dans une telle posture, le réalisateur nous invite à analyser les comportements des protagonistes et à questionner nos propres comportements. En nous empêchant de nous attacher à un personnage unique, il nous permet de mobiliser pleinement notre attention sur ce qui compte pour lui : la psychologie des personnages et l’émotion.

2) Nos pères, nous pères :
Les personnages exposés semblent, à première vue, diamétralement opposés, on a : le criminel multi-récidiviste, le policier-justicier se lançant en politique, le fils du policier qui a grandi dans l’opulence et le fils du criminel qui a grandi dans une famille modeste recomposée. Pourtant le jeu de la mise en scène et la construction du récit nous font percevoir des similitudes dans leurs attitudes et ressorts psychologiques. Très vite on se départ de nos schèmes moraux (gentil vs méchant) : le criminel n’est pas si condamnable que cela, le policier-héros n’est pas si irréprochable finalement. Mais surtout on prend conscience d’une « notion clef » ici : il semble qu’une forme de déterminisme commune régisse les vies des protagonistes. Chaque individu sur lequel le réalisateur s’attarde semble avoir une existence profondément influencée par son père. Explications :
– Il est sous-entendu que Ryan Gosling n’a pas eu de père pour s’occuper de lui. Ce déficit affectif l’a conduit à devenir instable psychologiquement (il est violent, et bien avant qu’il commette des braquages dans le film, on sent qu’il a déjà un lourd passif judiciaire). Surtout, quand il apprend par Eva Mendes (son ex-copine), qu’elle a eu un enfant de lui, il développe une véritable obsession pour son fils qu’il veut gâter par tous les moyens. C’est à ce moment-là qu’il se lance dans le banditisme et que va débuter la tragédie.
– Bradley Cooper quant à lui a grandi dans un milieu aisé et entretient une relation très proche avec son père : avocat renommé. Implicitement on sent qu’il admire son père et qu’il agit pour le rendre fier. Son père va grandement influencer sa vie à deux reprises : la première fois lorsqu’il conseille à Bradley de parler des problèmes de corruption de la police au « procureur » et la deuxième fois lorsqu’il l’encourage vivement à s’engager en politique.
– On passe maintenant à la deuxième génération. Le fils de Bradley n’est pas aussi fringuant que son père et scolairement il semble à la traîne. Il est l’archétype de l’ado « fils de » qui sombre dans la drogue, s’exprime le plus mal possible comme pour mieux se « détacher » de son milieu familial. Pourquoi s’est-il retrouvé dans cette situation ? Il souffre certainement de la comparaison avec son père : « le héros que tout le monde admire ». Dans certaines scènes brillamment exposées, on constate qu’il se passe quelque chose quand il regarde son père dans les yeux. Le fils est animé d’une envie de se rebeller contre son père mais aussi d’une certaine forme de rancœur bien visible. D’où vient ce sentiment et comment est-il visible? Voici mon interprétation : après avoir tué Ryan, Bradley qui s’en voulait terriblement ne parvenait plus à regarder son nourrisson dans les yeux car il savait qu’il venait de rendre un enfant orphelin de son père dans une autre famille. Une quinzaine d’années plus tard, on assiste sous nos yeux de spectateurs à ce premier échange de regard des deux protagonistes (du moins dans le film) dans une scène au bord d’une piscine, la tension est alors palpable dans les yeux du jeunes homme. On ne peut savoir comment Bradley a élevé son fils du berceau jusqu’à l’adolescence mais on peut penser qu’il n’a jamais vraiment réussi à s’occuper de lui entre son sentiment de culpabilité et le début de sa carrière politique. Encore une fois, le réalisateur nous montre que c’est le « père » qui a durablement impacté l’existence de son fils.
– Enfin, on passe au fils de Ryan. Il va de soi qu’il est perturbé puisqu’il a perdu très tôt son père biologique dont il n’a aucun souvenir (sauf que sans le savoir son père lui a laissé, à jamais le goût de la crème glacée). Sa mère lui a décrit son père comme une personne nuisible, indigne d’intérêt morte dans des conditions que cette dernière a inventé de toute pièce (ne souhaitant pas faire remonter le traumatisme à la surface). Il sombre aussi dans la drogue. Même si son beau-père ne cesse de lui répéter qu’il est son véritable père car c’est lui qui l’a élevé, son père biologique a laissé une empreinte indélébile dans l’esprit du jeune homme. Toute sa jeune existence consiste à retrouver sa trace. « Qui était-il ? » « Qu’aimait-il ? » Le film s’achève d’ailleurs sur une scène très émouvante, où il achète une moto ayant appris que son père était motard.
Le message à visée sociologique de Derek Cianfrance est là : nous sommes tous très fortement influencés par les actes de nos pères. En ce sens nous ne sommes pas pleinement les maîtres de nos destins et une certaine forme de déterminisme s’opère. Que nos pères soient présents ou absents on agit par rapport à eux : dans un rapport d’opposition, de mimétisme ou sous une autre forme. Qu’on soit d’accord ou non avec cette thèse, elle a au moins le mérite de nous faire réfléchir, on se pose naturellement les questions d’ordre métaphysique : qui sommes-nous (par rapport à nos pères), où allons-nous (sommes-nous soumis à une forme de déterminisme) ? On s’interroge aussi sur le rôle déterminant que l’on a en tant que père, même en pensant faire le bien de nos enfants comme Ryan, on peut parfois commettre de lourdes erreurs. Et c’est là que le film peut susciter l’émotion car si on adhère en partie à la thèse de Cianfrance, on est instantanément saisi de sympathie pour les personnes (au sens grec de syn : avec, et pathos= souffrir), on souffre avec eux, on les comprend car ils sont comme nous.

Quid du rôle des mères ? Elles semblent plus en retrait dans le film. On remarque dans les choix de casting et de mise en scène que les femmes sont moins présentes à l’écran. Cianfrance a décidé de se focaliser sur le rapport père-fils. C’est d’abord un choix par défaut : on ne peut pas traiter tous les sujets à la fois dans un long-métrage. Mais selon moi, il nous donne tout de même un petit peu sa vision du rôle des mères. Dans le film, tous les pères pratiquement, commettent des erreurs et influencent leurs fils par leurs actes tandis que les mères (Eva Mendes et Rose Byrne) élèvent véritablement les enfants, incarnant la raison et la stabilité du foyer dans plusieurs scènes. (Bien entendu, loin de moi l’idée que selon Cianfrance toutes les femmes sont des femmes au foyer qui réparent les pots cassés des pères, mais dans le film c’est pourtant le rôle qu’occupent les deux femmes au cœur de l’intrigue).
3) Une mise en scène naturaliste au service de la thèse :
Dans sa mise en scène le réalisateur semble poursuivre une démarche réaliste. Les histoires racontées n’ont ni début véritable, ni dénouement. On se retrouve donc face à un schéma semblable à nos propres existences qui, vous en conviendrez, ne suivent pas de schéma narratif. C’est comme si, à première vue, le réalisateur nous donnait à voir un documentaire, il prend les faits comme ils viennent. On en vient aussi à oublier la caméra grâce à différents procédés (des plans séquences qui épousent la démarche des personnages, des courses poursuites à moto filmées façon go pro). On entre d’ailleurs dans le film brutalement par un plan séquence suivant Ryan.
Cette volonté d’être le plus réaliste possible m’a rappelé la manière dont Zola a traité en son temps la question du déterminisme et de l’hérédité au travers du cycle de romans naturalistes :
les Rougon Macquart. Ce dernier voulait étudier l’influence du milieu sur l’homme et les tares héréditaires d’une famille sous le second empire. Influencé par le courant positiviste scientifique porté par Auguste Comte, Zola tentait de faire de ces personnages des « objets d’expériences ».
Son ambition : nous donner l’illusion que sa plume décrivait les comportements de personnages réels qu’on aurait placé volontairement dans un milieu d’expérience. Pour mieux décrire le réel, Zola menait de véritables explorations durant de longs mois comme un ethnologue et consignait minutieusement ces observations dans
de petits carnets. L’écrivain, par cette démarche, nous dépeignait le destin et le combat du « bas peuple » pour accéder à la dignité sous le second empire.
Pour moi, le réalisateur opère de manière similaire dans son approche réaliste et nous dit ainsi quelque chose de la société occidentale actuelle. Il traite selon moi plusieurs aspects intéressants : le nihilisme ambiant de la société consumériste (en décrivant des personnes « paumées » à la recherche de sens à leur existence : dans un rôle de père, une carrière politique ou la drogue), et dans une moindre mesure la corruption du système judiciaire.
Veuillez noter toutefois que comme dans l’œuvre de Zola, il ne s’agit pas d’une démarche purement réaliste comme celle que peut adopter un ethnologue mais de ce qu’on nommera plutôt une approche naturaliste. Des éléments de mise en scène dépassent la pure description du réel et nous donnent comme « des indices » sur la tournure que va prendre le récit ou sur l’humeur des personnages. Le romancier et l’écrivain transfigurent ainsi le réel pour lui donner une épaisseur et pour plonger le lecteur/spectateur dans une certaine atmosphère faisant passer d’autres messages plus implicites. Ici c’est surtout la lumière qui va jouer ce rôle (il y a notamment un très beau clair/obscur sur le visage de Ryan Gosling lors de la scène inaugurale qui montre l’ambivalence du personnage).
Bref je vous conseille vivement de voir ou de revoir The place beyond the pines qui est un vrai « film d’auteur » qui m’a donné matière à réflexion et m’a ému (ce que je recherche dans une oeuvre).
Pour finir je vous propose une petite anecdote. Je me suis demandé pourquoi le film s’appelait « The place beyond the pines ». J’ai d’abord pensé que c’était pour faire référence aux multiples scènes qui se passent à la lisière d’une forêt de pins : la rencontre entre Ryan et son complice de cambriolage, les deux scènes où Bradley échappe de peu à la mort, et la scène finale. Mais le titre fait en réalité référence au nom de la ville de l’Etat de New-York où a été tourné le film : « Schenectady » qui signifie « beyond the pines plains » en mohak (iroquois).
Cette fois c’est vraiment la fin! J’espère que cette critique vous a plu, n’hésitez pas me donner vos impressions en commentaires. Je serais ravi de discuter/débattre de vos interprétations du film (même si elles n’ont rien à voir avec les miennes) et de ma manière de traiter le sujet.
La bise cinématographique.
Sébastien Magne
par Sébastien MAGNE | 14 janvier 2016 | Politique, TBS Press
Les Rendez-Vous-du Changement sont en contact depuis plusieurs années avec le consulat américain et son attachée culturelle : Aurélie Delaissez Forstall. Cette dernière nous propose chaque année d’organiser des manifestations culturelles permettant aux étudiants des Ecoles et universités toulousaines d’approfondir leurs connaissances des Etats-Unis et d’en questionner certaines actualités marquantes. Le jeudi 14 janvier 2016, elle nous a notamment permis d’organiser à TBS une conférence avec un professeur d’Histoire américain spécialiste du parti Républicain: M.Joseph Crespino. Nous remercions une nouvelle fois nos homologues de Sciences Po : l’association Cactus ainsi que le consulat américain de Toulouse sans qui cette rencontre n’aurait pas été possible. Aussi, à l’occasion de cet événement, le nouveau consul américain de Toulouse (en fonction depuis août 2015) : M.Mark Rincòn (vous trouverez sa présentation officielle ici) nous a fait l’honneur de sa visite et a accordé à TBS press un entretien traduit et résumé ci-dessous. Le consul nous présente entre autres son parcours, les motivations qui l’ont conduit à une telle fonction aujourd’hui et les principales missions du consulat de Toulouse.

Bonjour Monsieur le consul c’est un honneur de vous recevoir à Toulouse Business School. Je ne suis pas très au fait des usages, comment dois-je vous appeler, avez-vous un titre particulier ?
Oui, en Américain on dira « Consul » tout simplement mais vous pouvez m’appeler Mark !
Très bien nous allons commencer par une question qui nous intéresse particulièrement en tant qu’étudiants : comment êtes-vous devenu consul, quel a été votre parcours ?
Et bien J’ai commencé par passer une licence en sciences politiques à l’Université de Notre Dame (Indiana) avant de passer un Master II en affaires publiques et relations internationales à l’Université de Texas à Austin. Je suis passé par la France, où j’ai obtenu un master II en affaires européennes. Je dois dire que très tôt j’ai été passionné par les relations internationales et j’ai eu l’envie de me tourner vers une carrière de diplomate. J’ai donc naturellement présenté l’examen qui permet à tout citoyen américain (âgé de 20 à 59 ans) le réussissant de servir par la suite le département des affaires étrangères américain.
Avez-vous eu une expérience mémorable dont vous pouvez nous faire part (dans votre métier ou dans vos études) ?
Oui, bien sûr, durant mes études j’ai eu l’occasion de faire un échange universitaire à l’étranger. Je me suis rendu à Angers dans une famille d’accueil où j’ai été très bien reçu. Je crois que c’est à ce moment-là que je suis tombé amoureux de la France : sa culture, sa langue et sa cuisine. Cette expérience a changé ma vie, car c’est grâce à elle que j’ai compris que j’aimais découvrir d’autres cultures et travailler dans un contexte international. C’est aussi cela qui m’a toujours donné envie de retourner en France dans le cadre professionnel et c’est à présent le cas, puisque je travaille à Toulouse.
Justement, quelles sont vos principales missions à Toulouse aujourd’hui?
Le consulat américain de Toulouse est formé d’une équipe de trois personnes travaillant au 25 allée Jean Jaurès, notre activité se décline en trois volets majeurs :
Le volet « assistance administrative » aux communautés américaines : nous avons un rôle d’informateurs sur les procédures administratives. Notamment sur celles permettant d’obtenir un visa ou un passeport. Nous mettons également certains citoyens américains en relation avec l’ambassade américaine à Paris, et nous nous assurons de les diriger vers le bon service.
Le volet « activités économiques et commerciales » : Toulouse et sa région représentent des zones stratégiques du point de vue économique. Airbus, les grands acteurs du secteur aéronautique et spatial, ainsi que le CNES (centre national d’études spatiales) sont bien connus également Outre-Atlantique. De nombreuses entreprises américaines désirent interagir avec le tissu économique et les centres de recherche de la région. Notre rôle est une nouvelle fois de « jouer les intermédiaires » entre les activités locales et les Etats Unis. Certaines entreprises américaines souhaitent venir à Toulouse pour le business et inversement certaines entreprises françaises souhaitent développer une activité aux Etats Unis. Le consulat est donc au carrefour de ces intérêts : notre but est de fournir de l’information et de mettre en relation les personnes qui nous contactent avec des interlocuteurs pertinents afin de faire converger les intérêts.
Le volet « diplomatie publique » : notre rôle est de représenter les Etats Unis dans la région Midi-Pyrénées. Pour cela nous allons à la rencontre de divers interlocuteurs, comme vous,par exemple,les étudiants. Nous organisons des manifestations culturelles comme des débats et des discussions entre français et américains. Notre but est de renforcer le lien entre nos deux nations en donnant à chacun des clés de compréhension de l’autre Etat. Le cycle de conférence que nous organisons avec vous cette semaine à l’occasion de la course pour la présidentielle aux Etats Unis fait partie de cette action. Nous voulons favoriser les échanges culturels entre étudiants et conférenciers américains qui tirent un profit mutuel de ce type de rencontres.
Sur le volet économique et commercial, êtes-vous plus spécifiquement en relation avec la chambre de commerce et d’industrie de Toulouse ?
Oui, nous sommes ouverts à de nombreuses discussions et nous maintenons de bonnes relations avec des acteurs comme la CCI. Cette dernière veut promouvoir les investissements d’entreprise française en direction des Etats Unis. Et ce mois-ci (en Janvier) nous avons un projet en rapport avec cela : nous organisons une conférence qui a pour but de répondre à la question suivante : « comment investir aux Etats-Unis ? ». Nous nous efforçons de répondre à des questions comme : « comment obtenir un visa ? » « Que faire si je veux implanter mon activité aux Etats Unis, quelle est la procédure ? ». Nous collaborons ainsi avec la CCI pour d’une part démarcher des intervenants pour cette conférence mais aussi d’autre part pour tenter de répondre ensemble aux questions que je vous ai mentionné précédemment. Nous discutons de la difficulté que certaines entreprises françaises peuvent avoir pour investir aux Etats Unis et nous cherchons des moyens de mieux informer les chefs d’entreprise des possibilités dont ils disposent.
Mais comment faites-vous pour remplir autant de missions avec une équipe composée de seulement trois personnes ?
Oui c’est vrai que c’est un défi au quotidien ! Pour y parvenir nous nous répartissons les tâches selon les trois volets précédemment évoqués. Nous anticipons et de planifions le travail le plus en avance possible. Ce travail demande néanmoins d’être proactif, et de chercher sans cesse des moyens de mettre en place de nouveaux programmes, d’organiser des rencontres afin de remplir au mieux nos missions.
Depuis que vous travaillez dans la diplomatie (vous avez notamment été en poste au Chili, en Colombie, en Israël, au Brésil, en Irak et en Jordanie) quelle a été votre pire journée et votre meilleure journée au travail ?
Je pense que le pire jour que j’ai vécu est mon deuxième jour de travail au tout début de ma carrière. C’était le 11 septembre 2001. Je n’ai pas besoin de vous en expliquer la raison… Je travaillais alors à Washington DC et on a dû ce jour-là quitter en urgence les bureaux où je travaillais, tout le monde paniquait. Je me souviens des regards que nous avons échangé avec mon groupe de collègues, pour beaucoup nous venions à peine de débuter nos carrières dans l’administration américaine. Pour ma part j’ai alors ressenti un profond sentiment de frustration. Je regrettais le fait d’être totalement impuissant face à cette tragédie. Dès le lendemain, malgré le contexte des plus tendus nous étions pourtant tous de retour au travail et j’ai alors été très fier de faire partie de cette administration qui ne cédait pas à la peur : ce « jour d’après » est pour moi « un des bons souvenirs » que vous me demandiez.
Dernière question, en rapport avec la précédente : vous sentez vous parfois « en danger » dans l’exercice de vos fonctions ?
Je pense que le danger est omniprésent de toute évidence à notre époque. Je sens que mon travail est devenu dangereux. Aux Etats Unis, tout le monde pensait jusqu’à récemment que la France était un « pays sûr » et pourtant le terrorisme a frappé la capitale le 13 novembre 2015. Dans mon pays, nous avons été frappé une nouvelle fois par le terrorisme dans la foulée. Je suis conscient d’être parfois en danger, mais j’ai toujours été convaincu que j’exerçais une profession formidable et je suis très enthousiaste à l’idée de travailler dans un pays comme la France. Cet enthousiasme me fait en quelque sorte oublier le danger, ou du moins je me dis que « ça vaut le coup » d’exercer malgré tout un tel métier.
Nous remercions une nouvelle fois Monsieur le Consul pour cet échange très enrichissant qu’il nous a accordé. Nous ne manquerons pas, nous l’espérons d’organiser de nouveaux événements avec le consulat avant la fin de l’année scolaire. Vous pouvez retrouver plus d’informations sur le consulat américain de Toulouse en consultant :
Sébastien Magne
par Sébastien MAGNE | 4 décembre 2015 | Cinéma, Culture, Pop Culture, TBS Press
Parce que je veux continuer d’aller au cinéma, non pas car il s’agit d’un acte de résistance face aux horreurs récentes (comme disent certains faire « comme avant » et
aller en terrasse ne suffit pas) mais parce que j’aime le cinéma tout comme j’aime me battre, j’aime me beurrer la biscotte, j’aime quand on m’enduit d’huile, j’aime les panoramas, j’aime le bruit blanc de l’eau,
enfin bref vous avez compris j’espère!
Nouvelle critique, nouveau format pour ceux qui auraient été traumatisés par la longueur de ma critique sur
Interstellar ou
Gonegirl.
J’essaye cette fois d’adopter une forme plus ludique, tout en tentant de répondre aux détracteurs qui voient dans le nouveau « 007 Spectre » l’épuisement d’une collaboration pourtant initialement fructueuse (financièrement et artistiquement) entre Sam Mendès (réalisateur) et Daniel Craig avec comme point de départ le succès: Skyfall.
J’élude le pitch cette fois et je précise au passage qu’il n’y a pas de spoilers majeurs dans cette critique.
1) « un film longuet et ennuyeux »
Je devrais mettre des guillemets et préciser que cette phrase émane d’une personne qui n’aime probablement pas les films d’action (et c’est son droit). Selon moi, difficile de s’ennuyer dans ce 24ème opus de James Bond, tout le monde y trouve son compte : le grand public, les fans de la première heure de James Bond et la critique.
Imaginons un instant la conversation qu’ont peut être tenue Sam Mendès et les producteurs de la Metro Goldwyn Mayer afin de définir le cahier des charges de Spectre :
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Les producteurs : « Ok Sam, tu es un génie, la critique a encensé Skyfall, et tu nous as pondu le James Bond le plus rentable de tous les temps avec plus d’un milliard de recettes. On ne va pas se plaindre. Notre dernier benchmark indique que ton film a conquis la critique par sa noirceur inédite dans un James Bond (7,8/10 sur IMDB) mais il révèle aussi qu’une partie du public a émis quelques réserves. Je te lis les derniers consumer insights : 1) on en a marre des blockbusters aux tonalités tragiques avec un anti-héro tourmenté par son passé, et ayant un lourd passif familial 2) je ne reconnais plus le charme, le glamour et l’humour des James Bond d’antan dans ces nouvelles productions.
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Sam Mendès : « ok les gars, je ne sais pas ce que c’est un consumer insight mais donnez-moi 350 millions de dollars. Avec ça je vous fais une pépite qui ravira tout le monde et paiera l’essence de vos yachts cette année ».
Et la lumière fut : on est époustouflés dès la scène d’ouverture. Véritable tour de force technique et spectacle grandiose. Tour de force technique car il s’agit d’un long plan séquence (plan couvrant toute une séquence sans coupure ni montage apparent) ayant mobilisé des moyens financiers immenses et plus de 1500 figurants. C’est une technique décidément à la mode puisque la maîtrise de celle-ci avait mis en lumière le génie d’Alejandro Gonzalez Inarritu récompensé de l’oscar du meilleur réalisateur pour son film Birdman en 2014. Moins souvent mentionné c’est aussi le merveilleux travail d’Emmanuel Lubezki (aussi présent sur le tournage de Gravity) avec sa steadicam qui avait permis de tourner Birdman en un seul plan séquence, prouesse rarement (ou jamais) vue dans la profession (et là vous comprenez que j’avais aussi préparé une critique pour Birdman mais que je ne l’ai jamais achevée…).

Mais revenons à notre brave Écossais : dans cette scène d’ouverture magistrale se déroulant en pleine fête des morts à Mexico on suit Bond à la poursuite d’un terroriste italien. Le héro est filmé de dos à la manière d’un jeu vidéo à la première personne. Cette scène d’ouverture donne le ton : ballet mortuaire, course poursuite, combat à mains nues dans un hélicoptère, le rythme est là. Elle montre les envies nouvelles de Mendès et de Craig pour Spectre : innover une nouvelle fois dans la mise en scène tout en effectuant un certain « retour aux sources » qui ravira les puristes. Avec comme inspiration la mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock, Mendès a voulu faire de Spectre un film d’action à l’ancienne : immersif et réaliste. Pour cela, exit le numérique (là aussi c’est tendance, cf
Star Wars 7), on retourne au cinéma old-school avec un film tourné en 35 mm. On retrouve également des scènes de courses poursuites en voitures grandioses et sans trucages (si’il y a une chose à ne pas manquer c’est la scène de course poursuite à Rome entre la Jaguar et l’Aston Martin DB 10 de Bond).
Aussi, on retrouve certains ingrédients cultes de la série qui semblaient avoir disparus dans les précédents volets et qui réapparaissent dans ce film. Notamment une petite pointe d’humour à l’anglaise : quand James Bond atterrit dans un canapé après une chute de 20 mètres suite à une explosion, et réajuste sereinement ses boutons de manchette. L’humour n’est pas absent et plus encore on trouve cette fois une certaine dérision très plaisante à entendre. Par exemple : on se souvient du fameux « qu’est ce que j’en ai à foutre » adressé au Barman qui demande à Bond dans Casino Royale s’il préfère son cocktail au shaker ou à la cuillère, et bien dans Spectre on retrouve également un face à face assez hilarant avec un Barman qui propose cette fois à Craig un cocktail bio sans alcool (je vous laisse deviner la réaction du personnage). Ainsi cette séquence montre comment le James Bond tourmenté « version Craig » qui enchaîne les vodka-martini se retrouve dans une situation à la limite du grotesque dans un bar « bio sans alcool ». Les codes qui donnaient une « tonalité grave et sombre » à la série des James Bond des années 2000 sont donc tournés en dérision.
Enfin, Sam Mendès
a déclaré : « 007 SPECTRE évoque en effet les classiques de la franchise à travers les véhicules, le ton, l’éclairage et même la coupe du costume de 007, mais je tenais également à renouer avec le glamour des destinations lointaines et exotiques des premiers James Bond, et le pousser à l’extrême. »
Et bien c’est chose faite des cimes enneigées autrichiennes au Maroc, on voyage dans ce film d’action immersif qui sait être dramatique dans la lignée de la saga de Daniel Craig mais aussi drôle et divertissant quand il le faut. Bref on ne s’ennuie pas.
2) « Daniel Craig est rouillé »
Certes Daniel Craig prend quelques rides et perd des cheveux, en revanche son allure, son énergie et ses yeux, ne dépérissent pas avec l’âge et les breuvages qu’ils consomment parfois comme 007.
Craig déclarait d’ailleurs dans le GQ de Novembre 2015 « le seul vrai point commun que j’ai avec Bond c’est l’alcool. Le pub c’est bien mieux que les réseaux sociaux pour se faire des amis ».
A 49 ans Pierce Brosnan dans Meurs un autre jour passait pour un vieux croulant. En effet ce « vieux beau » trop entretenu n’était plus crédible en homme d’action. Craig, à 47 ans dans cet opus, reste tout à fait convaincant avec l’âge. Sa crédibilité en James Bond il ne la tient pas d’un teint hâlé et d’une coupe à l’anglaise comme Pierce Brosnan mais plutôt il la doit à son allure.
En effet l’allure de Bond est plus que jamais mise en avant dans cet opus. Il est souvent filmé avec des plans à la première personne décortiquant sa démarche (son roulement d’épaule, son menton relevé plein de fierté et ses pas assurés) et des scènes qui ressemblent parfois à des défilés de mode en plein air. On notera au passage que jamais un Bond n’aura autant changé de tenue : choix de mise en scène pour mettre en valeur l’acteur ou stratégie marketing pour financer ce projet pharaonique, nous allons analyser cela à présent justement.
3) « Spectre est un spot publicitaire géant »
Oui, il est indéniable que James Bond suscite toutes les convoitises auprès des marques. Avant c’était surtout des marques de luxe (Aston Martin, les montres de luxe comme Rolex et Omega) qui se battaient pour apparaître à l’écran. Mais à présent ce sont toutes les marques qui tentent de se faire une place sur celui-ci : Heineken, la vodka Belvédère, la Fiat 500. Et même des pays comme le Mexique se prêtent au jeu. Le gouvernement mexicain se serait même assuré qu’une bonne image de son pays soit donnée en demandant une modification à la dernière minute du scénario de Spectre en échange de la coquette somme de 14 millions d’euros selon le site Tax Analyst(information révélée à la suite d’une fuite).
La pratique des placements de produits (et de pays) n’est bien sûr pas inédite dans les James Bond, ni dans les autres productions d’ailleurs (on se souvient du succès des lunettes de « Men in Black »dans les années 90 ). Mais pour Spectre on doit être proche des records avec
21 placements de produits bien visibles, peut être un peu trop visibles me direz vous…
On comprend bien l’intérêt pour les producteurs qui ont pu financer les 350 millions d’euros alloués à Spectre grâce à ses partenariats juteux (pour vous donner une idée Heineken avait déboursé 45 millions d’euros pour que James se mette à la bière dans Skyfall). Néanmoins cela doit poser bien des contraintes à ceux qui « font le film » puisqu’ils doivent veiller à mettre en valeur chaque produit proportionnellement à l’investissement consenti.
Peut-on pour autant limiter Spectre à un spot publicitaire géant ? Certains diront que les marques viennent piquer la vedette aux acteurs par moment, en effet la montre Omega de Bond joue un rôle crucial dans le film et apparaît peut être plus à l’écran que Miss Moneypenny ! On notera aussi le côté totalement assumé et décomplexé de ces placements : Q (le fameux inventeur des gadgets de James Bond) en vient même à présenter la nouvelle Omega comme le ferait un horloger en insistant bien sur sa marque.
Mais dans le film d’autres marques et produits sont plutôt au service de la beauté et du spectacle. En effet quel plaisir pour le spectateur d’admirer les performances de l’Aston Martin DB 10 dérapant au bord du Tibre et de découvrir à chaque changement de décor une nouvelle pièce de la magnifique collection des costumes Tom Ford.
Ainsi les placements de produits ne viennent pas totalement dénaturer Spectre pour le transformer en spot publicitaire dépourvu de sens et d’émotions. Au contraire les placements de produits se mettent au service du spectacle et servent d’une certaine manière le réalisateur qui compose avec des accessoires déjà beaux et spectaculaires par essence.
4) « Un script vu et déjà vu »
Oui, comme mentionné précédemment, on commence à être lassés des histoires de famille, des fantômes du passé, des anti-héros torturés en quête de rédemption. Mais laissons au moins le mérite à ce « 007 Spectre » de soulever une problématique intéressante : la question de la surveillance face aux libertés individuelles et ses dérives possibles. Mendès tente ainsi une nouvelle fois de s’en tenir à un principe qu’il évoque dans un entretien pour le journal Telerama « Il doit y avoir une façon de combiner le divertissement et la présence, discrète mais perceptible, d’un discours, un point de vue articulé sur le monde dans lequel nous vivons. ».
D’aucuns ont regretté le choix de la facilité effectué par l’équipe de Spectre pour le casting :Christoph Waltz dans la peau du méchant (comme dans Inglourious Basterds ) et Monica Bellucci dans le rôle de la veuve d’un mafieu Italien. Personnellement ça ne me pose aucun problème. Dans la mesure où ils savent si bien jouer ces rôles pourquoi se passer d’eux ?
5) « une Monica Bellucci flétrie »
Que nenni (oui j’ai osé placer cette expression)! Elle fait une apparition plutôt brève dans le film, ce qui est regrettable car il ne lui faut pas plus de deux répliques dans un décor de rêve (villa romaine somptueuse) pour rayonner tout en tissant un brouillard mystérieux autour de sa personnalité. Elle joue très bien le rôle de « la James Bond girl classique » qui feint d’être inaccessible avant de s’offrir à Bond. Sam Mendès se permet même une nouvelle fois de jouer avec les codes traditionnels de la série avec ce personnage. Notamment, on est à la limite de la caricature machiste lorsqu’après un baiser et le fameux « mon nom est Bond, James Bond » puis une ellipse, on retrouve Monica en porte-jarretelles sur le lit sur un plan large d’une chambre somptueuse durant laquelle on ne manquera pas bien sûr d’admirer la décoration…

Elle est tout en contraste avec la bien nommée Léa Seydoux, (Madeleine Swann dans Spectre) elle aussi magnifique mais d’une autre manière. Madeleine incarne la James Bond girl nouvelle génération dans la lignée de Vesper Lynd jouée par la non moins somptueuse Eva Green dans Casino Royal. Fière, indépendante en apparence, son charme réside dans ce regard qui nous défie en même temps qu’il dégage une certaine fragilité. Sans attache, aventurière et pleine de ressource elle forme la paire parfaite avec Bond et donne une note de fraîcheur indéniable à la saga avec sa beauté si singulière et son jeu des plus naturels (en d’autres mots, elle ne sur-joue pas).
Voilà je vous ai exposé 5 critiques majeures du film entendues dans mon entourage auxquelles j’ai tenté de répondre (vous pouvez m’exposer les vôtres sous la même forme ou répondre aussi à ma vision du film). J’insiste encore : que vous ayez aimé ou non le film et ma critique n’hésitez pas à commenter, je serais ravi d’en discuter avec vous !
C’est tout pour moi, à bientôt pour la prochaine critique ciné !
Sébastien Magne
par Sébastien MAGNE | 14 juillet 2015 | Culture, Politique, TBS Press
Un 14 Juillet pas comme les autres
Le 11 Janvier 2015, la France a été secouée par une grande tragédie avec les attentats de Charlie Hebdo. S’en est suivi un mouvement d’unité nationale sans précédent qui a redonné de l’espoir à un pays qu’on a tenté d’apeurer, de diviser en faisant croire à ses citoyens que le multiculturalisme et les valeurs de la République française comme la liberté n’étaient pas ou plus compatibles. Le 11 Juillet 2015, Manuel Valls tweetait: « 6 mois après le 11 janvier, toujours Charlie » comme pour rappeler aux Français que personne ne devait oublier ce qui avait poussé les gens à descendre dans les rues comme le firent d’autres le 14 Juillet 1789.

J’ai été très ému par ce feu d’artifice du 14 juillet cette année qui selon moi portait un message bien plus fort que les années précédentes alors que nous sommes plongés en pleine période de doutes, de peurs et de manque de confiance en l’avenir de notre pays. Et je vais ici tenter de vous expliquer quels ont été les principaux messages que j’ai perçu dans cette démonstration pyrotechnique et musicale:

Déjà charmé par une belle soirée musicale en compagnie de l’Orchestre National de France , j’ai été également séduit par un feu d’artifice magnifique tiré depuis la tour Eiffel au dessus et vers la ville des Lumières! Ce show nous le devons au Groupe F, le plus grand artificier du monde, qui a notamment réalisé les spectacles de la Clôture de la Coupe du Monde 1998. Tiens donc, la coupe du monde, cela prend un sens tout particulier ici, n’était-ce pas suite à la victoire des bleus qui étaient alors « nos bleus » que nous avions tous ensemble, citoyens et classe politique, célébré le multiculturalisme, la force de notre nation métissée qui avait battu le Brésil, grande nation d’un métissage « heureux » où le mélange des cultures a fait naitre une puissance créatrice qui se retrouve dans son football, ses musiques et danses! On peut donc saluer ici le choix de solliciter à nouveau ces artistes dans cette période où l’altérité est en danger.

J’ai perçu plusieurs tableaux, il ne s’agira pas là de décortiquer un feu d’artifices mais de vous en montrer le message politique:
Dans une première partie, la tour Eiffel était illuminée avec des couleurs nobles, le doré prédominait, les lumières donnaient à celle-ci un aspect majestueux. Des feux jaillissaient dans toutes les directions, sur un air de Vivaldi. Là je vis la France des Lumières, la France majestueuse, qui rayonnait dans le monde entier comme ces feux qui semblaient se diriger dans toutes les directions et se déverser vers tous les points cardinaux.
Puis il y eut une transition: tout à coup, les lumières s’assombrirent et la douce voix d’Adèle retentit au dessus des toits de Paris. « Skyfall », titre suffisamment évocateur pour nous rappeler que la France cette année a vécu des heures sombres mais que nous pouvons et nous devons encore lutter ensemble contre le terrorisme, contre les stigmatisateurs, les déclinistes qui divisent, apeurent et ne croient plus en la tolérance, l’altérité, l’ouverture d’esprit qui firent la grandeur de la France. « Let the sky fall, When it crumbles, We will stand tall, Face it all together » (Laisse le ciel tomber, quand il s’effondre, on est encore grand, ensemble on fait face à tout), le message est clair et beau à la fois. Une musique grand public qui délivre un message universel, quoi de mieux comme transition. Mais comment lutter alors face à ce ciel qui s’effondre, face à cette France sur le déclin comme la décrivent certains?
C’est la deuxième partie du feu d’artifice qui veut nous montrer des sources d’espoir:
Via un jeu de lumière projeté sur la tour Eiffel, je vis des personnages qui traversaient de gauche à droite la tour, puis une fois arrivés à l’extrémité droite de celle-ci, toquaient comme s’ils voulaient passer une porte. C’est donc ici la France comme terre d’accueil qui était figurée.
Là changement de décor, on se retrouva alors plongés dans une ambiance « multiculturelle », d’abord des musiques aux sonorités africaines, asiatiques, orientales, puis des rythmes antillais endiablés qui via un jeu de lumière amusant faisait remuer « le popotin » de Mme la Tour Eiffel! Ce tour du monde musical se clôtura par une samba brésilienne. Peut être était-ce là un rappel de notre belle victoire face au Brésil en 1998, ou cela évoquait-il ce vers quoi notre pays devait tendre: la célébration du métissage qui est un modèle au Brésil.
Comme pour appuyer encore ce message, le final fut accompagné d’une Marseillaise revisitée avec une instrumentation originale aux empreintes africaines, asiatiques, orientales comme pour montrer que la Marseillaise demeurait un symbole inaliénable de notre nation mais aussi que chacun pouvait la chanter à sa manière (du moment qu’on la chante tout va bien)!
Et alors suite à « cette scène », la tour Eiffel s’illumine à nouveau, la France est forte, elle brille de milles feux, des feux qui forment des cercles, des brins semblables à ceux de l’ADN comme pour mieux figurer l’unité. C’est l’happy ending, une musique épique retentit, une musique Hollywoodienne, la bande originale d’ET composée par John Williams, quel meilleur symbole pour célébrer ensemble l’altérité et l’amour de l’autre au delà des différences.
Sébastien Magne
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