Critique interactive n°3: 007 Spectre

Critique interactive n°3: 007 Spectre

 

Parce que je veux continuer d’aller au cinéma, non pas car il s’agit d’un acte de résistance face aux horreurs récentes (comme disent certains faire « comme avant » et aller en terrasse ne suffit pas) mais parce que j’aime le cinéma tout comme j’aime me battre, j’aime me beurrer la biscotte, j’aime quand on m’enduit d’huile, j’aime les panoramas, j’aime le bruit blanc de l’eau, enfin bref vous avez compris j’espère!

 

 

Nouvelle critique, nouveau format pour ceux qui auraient été traumatisés par la longueur de ma critique sur Interstellar ou Gonegirl.
J’essaye cette fois d’adopter une forme plus ludique, tout en tentant de répondre aux détracteurs qui voient dans le nouveau « 007 Spectre » l’épuisement d’une collaboration pourtant initialement fructueuse (financièrement et artistiquement) entre Sam Mendès (réalisateur) et Daniel Craig avec comme point de départ le succès: Skyfall.
J’élude le pitch cette fois et je précise au passage qu’il n’y a pas de spoilers majeurs dans cette critique.

 

1) « un film longuet et ennuyeux » 

 
Je devrais mettre des guillemets et préciser que cette phrase émane d’une personne qui n’aime probablement pas les films d’action (et c’est son droit). Selon moi, difficile de s’ennuyer dans ce 24ème opus de James Bond, tout le monde y trouve son compte : le grand public, les fans de la première heure de James Bond et la critique.
Imaginons un instant la conversation qu’ont peut être tenue Sam Mendès et les producteurs  de la Metro Goldwyn Mayer afin de définir le cahier des charges de Spectre :
  • Les producteurs : « Ok Sam, tu es un génie, la critique a encensé Skyfall, et tu nous as pondu le James Bond le plus rentable de tous les temps avec plus d’un milliard de recettes. On ne va pas se plaindre. Notre dernier benchmark  indique que ton film a conquis la critique par sa noirceur inédite dans un James Bond (7,8/10 sur IMDB) mais il révèle aussi qu’une partie du public a émis quelques réserves. Je te lis les derniers consumer insights : 1) on en a marre des blockbusters aux tonalités tragiques avec un anti-héro tourmenté par son passé, et ayant un lourd passif familial 2) je ne reconnais plus le charme, le glamour  et l’humour des James Bond d’antan dans ces nouvelles productions.
 
  • Sam Mendès : « ok les gars, je ne sais pas ce que c’est un consumer insight mais donnez-moi 350 millions de dollars. Avec ça je vous fais une pépite qui ravira tout le monde et paiera l’essence de vos yachts cette année ».
 
Et la lumière fut : on est époustouflés dès la scène d’ouverture. Véritable tour de force technique et spectacle grandiose. Tour de force technique car il s’agit d’un long plan séquence (plan couvrant toute une séquence sans coupure ni montage apparent) ayant mobilisé des moyens financiers immenses et plus de 1500 figurants. C’est une  technique décidément à la mode puisque la maîtrise de celle-ci avait mis en lumière le génie d’Alejandro Gonzalez Inarritu  récompensé de l’oscar du meilleur réalisateur pour son film Birdman en 2014. Moins souvent mentionné c’est aussi le merveilleux  travail d’Emmanuel Lubezki (aussi présent sur le tournage de Gravity) avec sa steadicam qui avait permis de tourner Birdman en un seul plan séquence, prouesse rarement (ou jamais) vue dans la profession (et là vous comprenez que j’avais aussi préparé une critique pour Birdman mais que je ne l’ai jamais achevée…).
Mais revenons à notre brave Écossais : dans cette scène d’ouverture magistrale se déroulant en pleine fête des morts à Mexico on suit Bond à la poursuite d’un terroriste italien. Le héro est  filmé de dos à la manière d’un jeu vidéo à la première personne. Cette scène d’ouverture donne le ton : ballet mortuaire, course poursuite, combat à mains nues dans un hélicoptère, le rythme est là. Elle  montre les envies nouvelles de Mendès et de Craig pour Spectre : innover une nouvelle fois dans la mise en scène tout en effectuant un certain « retour aux sources » qui ravira les puristes. Avec comme inspiration la mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock, Mendès a voulu faire de Spectre un film d’action à l’ancienne : immersif et réaliste. Pour cela, exit le numérique (là aussi c’est tendance, cf Star Wars 7), on retourne au cinéma old-school avec un film tourné en 35 mm. On retrouve également  des scènes de courses poursuites en voitures grandioses et  sans trucages (si’il y a une chose à ne pas manquer c’est la scène de course poursuite à Rome entre la Jaguar et l’Aston Martin DB 10 de Bond).
Aussi, on retrouve certains ingrédients cultes de la série qui semblaient avoir disparus dans les précédents volets et qui réapparaissent dans ce film. Notamment une petite pointe d’humour à l’anglaise : quand James Bond atterrit dans un canapé après une chute de 20 mètres suite à une explosion,  et réajuste  sereinement ses boutons de manchette. L’humour n’est pas absent et plus encore on trouve cette fois une certaine dérision très plaisante à entendre. Par exemple : on se souvient du fameux « qu’est ce que j’en ai à foutre » adressé au Barman qui demande à Bond dans Casino Royale s’il préfère son cocktail au shaker ou à la cuillère, et bien dans Spectre on retrouve également un face à face assez hilarant avec un Barman qui propose cette fois à Craig un cocktail bio sans alcool (je vous laisse deviner la réaction du personnage). Ainsi cette séquence montre comment le James Bond tourmenté « version Craig »  qui enchaîne les vodka-martini se retrouve dans une situation à la limite du grotesque dans un bar « bio sans alcool ». Les codes qui donnaient une « tonalité grave et sombre » à la série des James Bond des années 2000 sont donc tournés en dérision.
Enfin, Sam Mendès a déclaré : « 007 SPECTRE évoque en effet les classiques de la franchise à travers les véhicules, le ton, l’éclairage et même la coupe du costume de 007, mais je tenais également à renouer avec le glamour des destinations lointaines et exotiques des premiers James Bond, et le pousser à l’extrême. »
Et bien c’est chose faite des cimes enneigées autrichiennes au Maroc, on voyage dans ce film d’action immersif qui sait être dramatique dans la lignée de la saga de Daniel Craig mais aussi drôle et divertissant quand il le faut. Bref on ne s’ennuie pas.

2) « Daniel Craig est rouillé »

Certes Daniel Craig prend quelques rides et perd des cheveux, en revanche son allure, son énergie et ses yeux, ne dépérissent  pas avec l’âge et les breuvages qu’ils consomment parfois comme 007.

Craig déclarait d’ailleurs dans le GQ de Novembre 2015 « le seul vrai point commun que j’ai avec Bond c’est l’alcool. Le pub c’est bien mieux que les réseaux sociaux pour se faire des amis ».
A 49 ans Pierce Brosnan dans  Meurs un autre jour  passait pour un vieux croulant. En effet ce « vieux beau » trop entretenu n’était plus crédible en homme d’action.  Craig, à 47 ans dans cet opus, reste tout à fait convaincant avec l’âge. Sa crédibilité en  James Bond il ne la tient pas d’un  teint hâlé et  d’une coupe à l’anglaise comme Pierce Brosnan mais  plutôt il la doit à son allure.
En effet l’allure de Bond est plus que jamais mise en avant dans cet opus. Il est souvent filmé avec des plans à la première personne décortiquant sa démarche (son roulement d’épaule, son menton relevé plein de fierté et ses pas assurés) et des scènes qui ressemblent parfois à des défilés de mode en plein air. On notera au passage que jamais un Bond n’aura autant changé de tenue : choix de mise en scène pour mettre en valeur l’acteur ou stratégie marketing pour financer ce projet pharaonique, nous allons analyser cela à présent justement.

3) « Spectre est un spot publicitaire géant »

Oui, il est indéniable que James Bond suscite toutes les convoitises auprès des marques. Avant c’était surtout des marques de luxe (Aston Martin, les montres de luxe comme Rolex et Omega) qui se battaient pour apparaître à l’écran.  Mais à présent ce sont toutes les marques qui tentent de se faire une place sur celui-ci : Heineken,  la vodka Belvédère, la Fiat 500. Et même des pays comme le Mexique se prêtent au jeu. Le gouvernement mexicain se serait même assuré qu’une bonne image de son pays soit donnée en demandant une modification à la dernière minute du  scénario de Spectre en échange de la coquette somme de 14 millions d’euros selon le site Tax Analyst(information révélée à la suite d’une fuite).
La pratique des placements de produits (et de pays) n’est bien sûr pas inédite dans les James Bond, ni dans les autres productions d’ailleurs (on se souvient du succès des lunettes de « Men in Black »dans les années 90 ). Mais pour Spectre on doit être proche des records avec 21 placements de produits bien visibles, peut être un peu trop visibles me direz vous…

On comprend bien l’intérêt  pour les producteurs qui ont pu financer les 350 millions d’euros alloués à Spectre grâce à ses partenariats juteux (pour vous donner une idée Heineken avait déboursé  45 millions d’euros pour que James se mette à la bière dans Skyfall). Néanmoins cela doit poser bien des contraintes à ceux qui « font le film » puisqu’ils doivent veiller à mettre en valeur chaque produit proportionnellement à l’investissement consenti.

Peut-on pour autant limiter Spectre à un spot publicitaire géant ? Certains diront que  les marques viennent piquer la vedette aux acteurs par moment, en effet la montre Omega de Bond joue un rôle crucial dans le film et apparaît peut être plus à l’écran que Miss Moneypenny ! On notera aussi le côté totalement assumé et décomplexé de ces placements : Q (le fameux inventeur des gadgets de James Bond)  en vient même à présenter la nouvelle Omega comme le ferait un horloger en insistant bien sur sa marque.

Mais dans le film d’autres marques et produits sont plutôt au service de la beauté et du spectacle. En effet quel plaisir pour le spectateur d’admirer les performances de l’Aston Martin DB 10 dérapant au bord du Tibre et de découvrir à chaque changement de décor une nouvelle pièce de la magnifique collection des costumes Tom Ford.
Ainsi les placements de produits ne viennent pas totalement dénaturer Spectre pour le transformer en spot publicitaire dépourvu de sens et d’émotions. Au contraire les placements de produits se mettent au service du spectacle et servent d’une certaine manière le réalisateur qui compose avec des accessoires déjà beaux et spectaculaires par essence.

4) « Un script vu et déjà vu »

Oui, comme mentionné précédemment, on commence à être lassés des histoires de famille, des fantômes du passé, des anti-héros torturés en quête de rédemption. Mais laissons au moins le mérite à ce « 007 Spectre » de soulever une problématique intéressante : la question de la surveillance face aux libertés individuelles et ses dérives possibles. Mendès tente ainsi une nouvelle fois de s’en tenir à un principe qu’il évoque dans un entretien pour le journal Telerama « Il doit y avoir une façon de combiner le divertissement et la présence, discrète mais perceptible, d’un discours, un point de vue articulé sur le monde dans lequel nous vivons. ».

D’aucuns ont regretté le choix de la facilité effectué par l’équipe de Spectre pour le casting :Christoph Waltz dans la peau du méchant (comme dans Inglourious Basterds  ) et Monica Bellucci dans le rôle de la veuve d’un mafieu Italien. Personnellement ça ne me pose aucun problème. Dans la mesure où ils savent si bien jouer ces rôles pourquoi se passer d’eux ?

5) « une Monica Bellucci flétrie »

Que nenni (oui j’ai osé placer cette expression)! Elle fait une apparition plutôt brève dans le film, ce qui est regrettable car il  ne lui faut pas plus de deux répliques dans un décor de rêve (villa romaine somptueuse) pour rayonner tout en tissant un brouillard mystérieux autour de sa personnalité. Elle joue très bien le rôle de « la James Bond girl classique » qui feint d’être inaccessible avant de s’offrir à Bond. Sam Mendès  se permet même une nouvelle fois de jouer avec les codes traditionnels de la série avec ce personnage.  Notamment, on est à la limite de la caricature machiste lorsqu’après un baiser et le fameux « mon nom est Bond, James Bond » puis une ellipse, on  retrouve Monica en porte-jarretelles sur le lit sur un plan large d’une chambre somptueuse durant laquelle on ne manquera pas bien sûr d’admirer la décoration…
Elle est tout en contraste avec la bien nommée Léa Seydoux, (Madeleine Swann dans Spectre) elle aussi magnifique mais d’une autre manière.  Madeleine incarne la James Bond girl nouvelle génération dans la  lignée de Vesper Lynd jouée par la non moins somptueuse Eva Green dans Casino Royal. Fière, indépendante en apparence, son charme réside dans ce regard qui nous défie en même temps qu’il dégage une certaine fragilité. Sans attache, aventurière et pleine de ressource elle forme la paire parfaite avec Bond et donne une note de fraîcheur indéniable à la saga avec sa beauté si singulière et son jeu des plus naturels (en d’autres mots, elle ne sur-joue pas).
Voilà je vous ai exposé 5 critiques majeures du film entendues dans mon entourage auxquelles j’ai tenté de répondre (vous pouvez m’exposer les vôtres sous la même forme ou répondre aussi à ma vision du film).  J’insiste encore : que vous ayez aimé ou non le film et ma critique n’hésitez pas à commenter, je serais ravi d’en discuter avec vous !
C’est tout pour moi, à bientôt pour la prochaine critique ciné !

Sébastien Magne

14 Juillet, Charlie hebdo: un feu d’artifice à forte coloration politique

   Un 14 Juillet pas comme les autres

   Le 11 Janvier 2015, la France a été secouée par  une grande tragédie avec les attentats de Charlie Hebdo. S’en est suivi un mouvement d’unité nationale sans précédent qui a redonné de l’espoir à un pays qu’on a tenté d’apeurer, de diviser en  faisant croire à ses citoyens que le multiculturalisme et les valeurs de la République française comme la liberté n’étaient pas ou plus compatibles.  Le 11 Juillet 2015, Manuel Valls tweetait: « 6 mois après le 11 janvier, toujours Charlie » comme pour rappeler aux Français que personne ne devait oublier ce qui avait poussé les gens à descendre dans les rues comme le firent d’autres le 14 Juillet 1789.
   J’ai été très ému par ce feu d’artifice du 14 juillet cette année qui selon moi portait un message bien plus fort que les années précédentes alors que nous sommes plongés en pleine période de doutes, de peurs et de manque de confiance en l’avenir de notre pays.  Et je vais ici tenter de vous expliquer quels ont été les principaux messages que j’ai perçu dans cette démonstration pyrotechnique et musicale:
  Déjà charmé par une belle soirée musicale en compagnie de l’Orchestre National de France  , j’ai été également séduit par un feu d’artifice magnifique tiré depuis la tour Eiffel au dessus et vers la ville des Lumières!  Ce show nous le devons  au Groupe F, le plus grand artificier du monde, qui a notamment réalisé les spectacles de la Clôture de la Coupe du Monde 1998. Tiens donc, la coupe du monde,  cela prend un sens tout particulier ici, n’était-ce pas suite à la victoire des bleus qui étaient alors « nos bleus » que nous avions tous ensemble, citoyens et classe politique, célébré le multiculturalisme, la force de notre nation métissée qui avait battu le Brésil, grande nation d’un métissage « heureux » où le mélange des cultures a fait naitre une puissance créatrice qui se retrouve dans son football, ses musiques et danses!  On peut donc saluer ici le choix de solliciter à nouveau ces artistes dans cette période où l’altérité est en danger.

J’ai perçu plusieurs tableaux, il ne s’agira pas là de décortiquer un feu d’artifices mais de vous en montrer le message politique:

  Dans une première partie, la tour Eiffel était illuminée avec des couleurs nobles, le doré prédominait, les lumières donnaient à celle-ci un aspect majestueux. Des feux jaillissaient dans toutes les directions, sur un air de Vivaldi. Là je vis la France des Lumières, la France majestueuse, qui rayonnait dans le monde entier comme ces feux qui semblaient se diriger dans toutes les directions et se déverser vers tous les points cardinaux.
  Puis il y eut une transition: tout à coup, les lumières s’assombrirent et la douce voix d’Adèle retentit au dessus des toits de Paris. « Skyfall », titre suffisamment évocateur pour nous rappeler que la France cette année a vécu des heures sombres  mais que nous pouvons et nous devons encore lutter ensemble contre le terrorisme, contre les stigmatisateurs, les déclinistes qui divisent, apeurent et ne croient plus en la tolérance, l’altérité, l’ouverture d’esprit qui firent la grandeur de la France. « Let the sky fall, When it crumbles, We will stand tall, Face it all together  »  (Laisse le ciel tomber, quand il s’effondre, on est encore grand, ensemble on fait face à tout), le message est clair et beau à la fois. Une musique grand public qui délivre un message universel, quoi de mieux comme transition. Mais comment lutter alors face à ce ciel qui s’effondre, face à cette France sur le déclin comme la décrivent certains?

C’est la deuxième partie du feu d’artifice qui veut nous montrer des sources d’espoir:

  Via un jeu de lumière projeté sur la tour Eiffel, je vis des personnages qui traversaient de gauche à droite la tour, puis une fois arrivés à l’extrémité  droite de celle-ci, toquaient comme s’ils voulaient passer une porte. C’est donc ici la France comme terre d’accueil qui était figurée.
   Là changement de décor, on se retrouva alors plongés dans une ambiance « multiculturelle », d’abord des musiques aux sonorités africaines, asiatiques, orientales, puis  des rythmes antillais endiablés qui via un jeu de lumière amusant faisait remuer « le popotin » de Mme la Tour Eiffel! Ce tour du monde musical se clôtura par une samba brésilienne. Peut être était-ce là un rappel de notre belle victoire face au Brésil en 1998, ou cela évoquait-il ce vers quoi notre pays devait tendre: la célébration du métissage qui est un modèle au Brésil.
   Comme pour appuyer encore ce message, le final fut accompagné d’une Marseillaise revisitée avec une instrumentation originale aux empreintes africaines, asiatiques, orientales comme pour montrer que la Marseillaise demeurait un symbole inaliénable de notre nation mais aussi que chacun pouvait la chanter à sa manière (du moment qu’on la chante tout va bien)!
  Et alors suite à « cette scène », la tour Eiffel s’illumine à nouveau, la France est forte, elle brille de milles feux, des feux qui forment des cercles, des brins semblables à ceux de l’ADN comme pour mieux figurer l’unité. C’est l’happy ending, une musique épique retentit, une musique Hollywoodienne, la bande originale d’ET composée par John Williams, quel meilleur symbole pour célébrer ensemble l’altérité et  l’amour de l’autre au delà des différences.
 Sébastien Magne
L’hommage de TBS  à la liberté d’expression

L’hommage de TBS à la liberté d’expression

Merci à tous pour votre participation, voici quelques réalisations des élèves de TBS qui rendent hommage à la liberté d’expression suites aux événements dramatiques qui ont secoué la France il y a quelques semaines.
?
On commence avec un poème de Benoit Martinez

Help !
Qu’on aide ce dérélicté !
Cet insensé
Qui ne sait vraiment qu’un mot
Hébreu
Ou bien araméen :
Hallelujah… ?
Non pas çui-là
L’autre
Celui du crucifié
Mais c’était plutôt une phrase en fait
Incroyable qu’en un moment pareil
Il ait réussi à en faire une
Avec sujet verbe complément —
Enfin bref
Coucou
C’est moi
Qui ne sais pas
Si je suis janséniste
Ou républicain !

Je chéris la laïcité autant que je méprise la liberté humaine
C’est-y pas ballot
C’était bien la peine de tuer Dieu pour le remplacer par l’homme
Et puis
Que de bruit de fureur
Chez ce nouveau Seigneur
Ô Pythagore que ne conjuras-tu cette tempête
Qui affole toutes les têtes
M’enfin
Une liberté méprisable vaut mieux qu’un bâillon révoltant n’est-ce pas

Pauvre Charlie
Infant hebdo
Poor poor shadow
A pavané son heure
En bon moqueur —
Fils de Voltaire
Mérite salaire !

Servez-moi la satire
Servez-moi le blasphème
Servez-moi le rire gras et les éructations
Mais faut bien que ça serve à quelque chose,
Hein, l’homme ? Faut bien qu’y ait un projet derrière,
Une thèse, un souffle, quelque chose à bâtir ou rebâtir ? Non, non,
Il n’y a pas d’amour, il n’y a pas d’amour.
On vit de se moquer hélas, et en vérité
Je suis un grand romantique,
Janséniste et humaniste.

Je sais trop la vraie souffrance —
Celle qu’on ne voit pas ou ne veut pas voir —
Pour descendre dans la rue sous les caméras
(Qui pour les victimes de Merah,
Qui pour celles de Baga ?)
Et j’aime trop le silence pour faire de Charlie un héros ;
Mais martyr, ça il l’est,
— Au pays des martyrs qui ne témoignent plus
Au pays des galets qui roulent sur la plage
Et ne savent plus rien de la vague qui les pousse —
C’est pas le plus noble
Pas le moins sympathique non plus il faut le dire
Avec son irrévérence bien gauloise
Et bien qu’il ne soit pas un témoin exemplaire,
C’est celui que nous méritons pour nous être assoupis.

Car nous les Charlie oublions vite
Que derrière la comptine de la liberté d’expression
Il y avait autre chose
Au commencement
Une essence
Le silence
Et l’idée
Très sacrée
De la laïcité
Aujourd’hui oubliée
Aujourd’hui menacée —
Mais qui s’en aperçoit vraiment ?
On veut pouvoir dessiner un prophète le cul à l’air
Parce que c’est drôle,
Parce que c’est notre droit,
Parce que dans la République de Desproges
Tout le monde, n’est-ce pas, sait en rire,
Mais quand Paris fête l’Aïd-el-Kébir
Aucun ne s’interroge —
C’est qu’on protège avant tout sa liberté,
Et pas tellement l’idée qui l’a fait naître.
On accuse des fous ;
C’est pas l’Islam, même pas des hommes —
Rien que des extrémistes, des marginaux ; après tout,
Pas de quoi troubler l’ordre du monde, hein.
Tout au plus a-t-on assez peur pour nos vies
Pour avoir le courage de descendre dans la rue
Au milieu de la foule.

Oui, vous êtes Charlie,
Et je le suis aussi
Quoiqu’à contrecœur ;
Mais je vous vois fantasmer
Devant les saints droits de l’homme
Et vous figurer qu’il n’existe plus qu’une seule lutte en ce monde,
Celle qui oppose des fous à des hommes libres —
En n’admettant pas
Que ces fous ne sont pas sortis du ventre du diable.

Car la France ne combat pas simplement les barbares
Ceux qu’on exclue si facilement de l’humanité
Et notre démocratie ne défend pas simplement son hochet favori
Qu’elle aime à agiter devant les tyrannies
Non, c’est tout con en fait
L’Histoire de notre République se répète
Un peu différemment cependant
Et c’est là tout le problème
L’Islam n’est pas tout à fait le catholicisme
Et le monde d’hier pas tout à fait celui d’aujourd’hui

Ah ! J’espère que Hegel a raison
Et Huntington a tort
Mais ça fait longtemps que je n’ai pas fait de philo
Et quelque chose me dit que de toute façon
Dans deux mois on sera repu
Et le grand chant
Ne reviendra plus.

Et voici deux dessins proposés par deux artistes TBSiens!
Sébastien Magne
Critique interactive n°2: Gone Girl

Critique interactive n°2: Gone Girl

De retour pour une critique ciné interactive avec ma deuxième grosse claque cinématographique depuis mon arrivée à Toulouse: Gone Girl! Avant d’expliquer en quoi ce film m’a surpris et captivé, voici le pitch:

      Amy et Nick Dunne semblent former un couple parfait et vivent parmi le gratin de Manhattan. Mais très vite à cause de problèmes professionnels puis familiaux, ils sont contraints de quitter New York et de retourner dans le Missouri où vit la famille de Nick. Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, Amy disparaît mystérieusement et Nick retrouvant sa maison dans un sale état craint le pire pour sa femme. Il appelle la police immédiatement mais certains indices  et son caractère apathique face à la gravité de la situation vont très vite faire de lui le suspect principal et l’ennemi public numéro un des médias.

De grandes attentes!

Je l’attendais avec impatience! En effet je fais partie de la génération qui a été marquée  par le cinéma de Fincher. J’ai grandi d’abord avec  Seven sorti en 1995 qui a notamment lancé la carrière de Brad Pitt puis avec le chef d’œuvre: Fight Club, sorti en 1999 qui est classé aujourd’hui 5ème meilleur film de tous les temps par IMDB, rien que ça! Ce que j’aime dans la réalisation  de Fincher comme dans celle  de Nolan d’ailleurs, c’est le ton toujours décalé, la richesse de l’intrigue et la pâte atypique que ces réalisateurs mettent dans leurs films. Ces réalisateurs mondialement connus créent ainsi ce que l’on pourrait appeler selon moi,  des « blockbusters complexes » ou qui donnent matière à réflexion. Aussi attendais-je de voir quels résultats allaient donner la  nouvelle collaboration de David Fincher avec les compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross après le succès de the Social Network (2010). J’ai adoré Gone Girl, même si je conçois que ce film puisse surprendre au départ, on est vite transporté par la mise en scène millimétrée du réalisateur américain.

(attention le paragraphe suivant comporte des spoilers!)

un Hitchcock moderne?

Pas vraiment! Ce film annoncé comme un thriller surprend comme je l’ai dit. On est loin des thrillers à l’atmosphère glaciale, au suspense intense. On est bien loin par exemple du morbide Seven. Le génie de ce thriller ne réside pas tant dans le suspense comme dans le cinéma d’Hitchcock mais plutôt dans cette atmosphère pesante, entre le tragicomique et le vrai thriller. Certaines situations peuvent sembler absurdes dans le cadre d’un tel drame.  Par exemple, Amy a disparu, mais Nick reste apathique. Les réponses qu’il apporte aux enquêteurs font presque sourire, on rit même du manque de  finesse ou de discrétion de celui qu’on croit au départ être le meurtrier de sa femme. C’est donc la qualité des dialogues qui nous fait sourire. Les échanges  , entre la police et Nick, puis  entre les parents d’Amy et Nick , animent cette première partie du film (la première heure disons) que l’on aurait pu renommer « Looking for the amazing Amy ».  La recherche d’Amy et l’enquête qui  auraient pu être racontées de manière tragique nous font sourire, voir nous choquent pendant la première heure.      Je m’explique: les parents d’Amy vont lancer de grandes investigations sur tout le territoire national en mobilisant les fans de la saga à succès écrite par leur fille: « the Amazing Amy » mais  ils adoptent  une attitude déconcertante, en effet ils surjouent et veulent donner l’image d’un couple uni bouleversé par la disparation de leur fille et proche de leur gendre Nick. Tous les personnages semblent plus attachés à leur apparence qu’à la recherche de la disparue dans cette affaire qui va être saisie par les médias. Une scène qui illustre bien cette idée est celle du cocktail organisé par les parents d’Amy où Nick est contrait de prendre une photo avec « une groupie » qui l’avait vu passer à la télévision.  Le sur-emballement médiatique autour de cette affaire donne un aspect de plus en plus théâtral à l’enquête. On a l’impression que ce qui compte le plus pour les médias c’est « d’abattre Nick en place publique », en dévoilant sa vie privée, les erreurs qu’il a pu commettre, et en  l’accusant, bafouant du même coup la présomption d’innocence chère à la justice américaine.

Un drôle de thriller :

Pourtant malgré le caractère presque comique des dialogues ou des situations, on retrouve des codes de mise en scène propres aux thrillers. Par exemple pour créer une ambiance oppressante Fincher recourt au procédé dit du « cadre bouché ».

Exemple:

Ici l’utilisation du procédé est bien visible. Il n’y aucun point de fuite dans le décor en arrière plan du personnage. Nick est encerclé par l’image de sa femme disparue en bas à gauche,  ses beaux-parents en bas à droite le plafond en arrière plan.
La musique renforce cette atmosphère de thriller atypique. Selon moi, elle s’apparente dans les mélodies  à un mix étonnant entre une musique proche de celle de Desperate Housewives et  une plus proche de celle de  Seven

Un scénario à la fois prévisible et désarçonnant (spoiler énorme):

On comprend très vite que Nick n’a pas tué sa femme et qu’Amy a tout mis en scène pour le faire accuser bien que cela ne soit explicité qu’après un long moment. Mais ce qui devient intéressant, c’est de voir alors  à l’œuvre l’intelligence machiavélique d’Amy dans sa mise en scène puis sa réaction face à la tournure imprévisible que va prendre cette affaire. Notamment lorsque Nick qui a réussi plus ou moins à prouver son innocence et à  gagner un statut de repenti médiatique va lui demander en direct devant des millions de téléspectateurs de rentrer dans leur « nid d’amour ». Amy est prête à tout pour défendre son image de petite fille modèle malgré les atrocités qu’elle a pu commettre et pour cela elle commet des crimes encore plus grands. On a donc un crescendo d’intensité du début de la deuxième heure  à la fin du film. L’acmée  est atteinte lors de la scène du meurtre commis par Amy qui rivalise en intensité avec les plus belles scènes de Basic Instinct.

« Je ne suis pas un anarchiste, je vis entre les murs du royaume. Mais j’aime être dérangé par un film »

C’est ainsi que s’est lui même décrit David Fincher dans le GQ du mois d’Octobre dernier. Avec Gone Girl on peut dire qu’il a réussi à faire un film « qui dérange », pour sa tonalité mais aussi pour son contenu. Il est impressionnant en effet de voir la variété des thématiques traitées dans ce film.
Il y a  d’abord une critique  de la vie de couple et des liens du mariage dans nos sociétés modernes.
Ce film donne l’image d’une relation qui se détériore progressivement, une fois que « les masques sont tombés », que chaque amant découvre les défauts qui avaient été habilement cachés par l’autre.
Tout est une question de mise en scène finalement: la mise en scène du réalisateur, la mise en scène d’Amy pour faire accuser son mari, la mise en scène des parents pour donner l’image d’une famille soudée, la mise en scène de Nick pour cacher son adultère et enfin la mise en scène concoctée par l’avocat de Nick pour le tirer d’affaire. Tout le monde joue avec les apparences, pour occulter « le fond ».
Et là il est intéressant de voir que David Fincher utilise une mise en abyme qui offre un regard sur son propre travail. En effet dans sa carrière de réalisateur on lui a trop souvent reproché de privilégier la forme plutôt que le fonds…
Enfin Fincher donne l’image d’un monde où seul les apparences comptent: il faut faire « bonne figure » dans sa vie de couple, dans la tourmente, sur la scène médiatique, sur les réseaux sociaux et dans les tribunaux. Ce monde peut sembler caricatural et relever de la pure dystopie , pourtant en y réfléchissant bien il s’agirait plutôt d’une description naturaliste de notre monde actuel. Le voyeurisme des médias, leurs pratiques intrusives dans ce film ne sont pas tellement différentes de celles utilisées par certaines chaines de télévision de nos jours.
Aussi, déjà Sartre dénonçait cette société des apparences et « l’enfer des autres ». Selon lui, nous sommes en perpétuelle représentation, et la conscience que nous avons de nous même n’est que la synthèse des jugements qu’autrui a porté sur nous. En d’autres mots, nous ne nous connaissons qu’au travers du regard des autres, ce qui nous asservit en quelque sorte car pour que nous ayons une bonne image de nous même, il faut que nous soignons notre image auprès des autres avant tout.

Critique interactive n°1  : Interstellar (attention spoiler!)

Critique interactive n°1 : Interstellar (attention spoiler!)

   C’est tout en écoutant la BO magnifique de ce film que je m’adonne pour la première fois, non sans émotion, à une critique ciné. Comme je l’explique dans ma petite bio sur ce blog, je souhaite créer cette année une série d’articles dits : « critiques interactives ». Le concept est simple : j’expose dans un premier temps mon ressenti, mes interprétations et j’évoque des pistes de réflexions possibles autour desquelles ensuite nous pourrons débattre, je l’espère,  en commentaires. Le but étant de donner l’occasion aux plus cinéphiles d’entre vous de partager vos connaissances et d’enrichir, voir de bouleverser le regard que nous avons d’un film (et peut être même du cinéma qui sait !).

Une œuvre de génie :

La coutume veut que l’on rappelle toujours le pitch dans un premier temps, alors allons y :
La fin du monde approche et c’est dans d’étranges circonstances que Cooper (Matthew McConaughey) rejoint un groupe d’explorateurs spatiaux formé par la NASA pour explorer une nouvelle galaxie à la recherche de planètes habitables. Cooper, père de famille abandonne donc son ranch,son beau père, sa fille (Murphy)  et son fils. Mais la théorie de la relativité oblige, le temps passe plus vite sur Terre que dans l’autre galaxie et Cooper voit ses enfants vieillir plus vite que lui au fil de leurs messages vidéos depuis la Terre reçus de manière épisodique.  Leurs relations, au départ très complices, se détériorent tandis que nos explorateurs poursuivent leur périple spatiale afin de sauver les habitants de la Terre.
NB :  Ce scénario est cosigné par l’astrophysicien Kip Thorne, un des premiers scientifiques à avoir travaillé sur les vortex traversables et les machines à remonter le temps.
Là en théorie commencent les spoilers, donc seuls ceux qui ont vu le film peuvent continuer la lecture !

On tourne en rond ?

«  un pitch simple mais un voyage épique »

 Une nouvelle fois le pitch est simple mais le déroulement ô combien captivant. Interstellar c’est un voyage spatio-temporel pas seulement pour les personnages mais pour nous aussi. Tout tourne : le vaisseau, la Terre, la musique semblable par moment à   un rouleau compresseur, l’aiguille de la montre donnée par Cooper à Murphy, nous entrainent inlassablement dans cet espace.  On sort du cinéma comme ivres. C’est peut-être cela la force du film :il nous enivre. Tous les aspects du scénario qui nous sembleraient absurdes, scabreux, à première vue (comme le changement de galaxie rendu possible par le dépôt d’un « portail » près de Saturne par on ne sait qui) on les accepte. Plus on s’éloigne de la Terre, plus la tension monte, plus la musique s’emballe et plus le scénario se complexifie. Ainsi c’est dans une atmosphère totalement onirique, psychédélique que s’achève le voyage de Cooper qui après avoir plongé dans le trou noir Gargantua se retrouve dans… la bibliothèque de sa fille, enfin, le meuble entends-je. Il comprend alors que la gravité, et surtout l’amour ont transcendé l’espace et le temps. Il est  le fantôme dont sa fille parlait au début du film. La chambre  de cette dernière où se trouve la bibliothèque est comme un portail qui lui permet de traverser les époques. Et c’est ainsi qu’il communique à Murphy (devenue une grande scientifique à l’âge adulte) les éléments manquants à  l’équation qui lui permettra de sauver la Terre.

Qui dit voyage spatial, dit Kubrick : des similitudes et de grandes différences avec l’Odyssée de l’espace :

–         Une vision plus optimiste des nouvelles technologies :
Pour Nolan les robots ne sont là que pour nous servir puisqu’ils ont été conçus pour cela, Cooper pourra ainsi compter jusqu’au bout sur son robot.
Kubrick quant à lui, donne dans son film une image inquiétante des nouvelles technologies avec l’ordinateur de bord du vaisseau:  Carl,  qui tente de se débarrasser de l’équipage à bord quand il apprend qu’on veut  le débrancher.
–          L’acmé finale est selon moi, semblable entre 2001 et Interstellar. On retrouve la figure de l’homme héroïque qui achève son voyage interstellaire en solitaire à la recherche de réponses aux questions métaphysiques de l’humanité. Le pilote plonge au bout du voyage, dans un vortex de couleurs en contraste avec l’obscurité spatiale. Il s’agit là de l’achèvement d’un voyage initiatique, au bout du compte, le vaisseau se désagrège et  l’homme se retrouve alors dans un milieu onirique, psychédélique. Et tandis qu’on le croit vouer à la mort, il survit ou plutôt il renaît. Mais dans les deux films, la personne qui sort de ce voyage initiatique n’est plus la même, elle devient un surhomme incarné par la figure du fœtus astral chez Kubrick et du Cooper devenu maître du temps chez Nolan.

Qui dit voyage spatial, dit aussi  Gravity…

Gravity avait reçu de nombreuses louanges pour son réalisme. Notamment la critique scientifique avait apprécié que « pour une fois » un film parvienne à nous « faire entendre » si l’on peut dire le « silence spatial ». Aussi l’immersion était totale grâce à la 3D et à la manière de filmer les spationautes. Dans Interstellar, l’espace est plus imprégné de l’Esthétique chère au réalisateur, que d’un réalisme à la hauteur de Gravity. On retrouve dans cet espace glacial obscur, les couleurs qu’affectionnent Christopher Nolan, le bleu métallisé, le gris, le blanc glacial.  On peut aussi retrouver des motifs et des symboles semblables à ceux d’Inception, ou plus récemment de Man of Steel : la glace et l’eau sont très présentes, on retrouve le motif du temps qui passe et qui tourne. Dans Inception c’est la toupie qui tourne, ici tout tourne : le vaisseau, les rampes de lancements qui envoient le vaisseau aux confins de l’univers, les aiguilles de la montre de Cooper.

Merci Hans Zimmer !

Le duo de choc du box office a été une nouvelle fois recomposé ! Pour ce film Hans Zimmer semble avoir renouvelé un peu petit peu sa partition. On retrouve certes les basses écrasantes, une musique électronique discordante qui se mêle à des chœurs et des instruments plus classiques mais le compositeur à succès a introduit pour Interstellar un nouvel instrument : l’orgue.
D’après vous pourquoi ce choix ?
–          Peut être est-ce le reflet d’une certaine spiritualité (l’orgue est l’instrument des cérémonies chrétiennes…). Jamais évoquée par Nolan, elle est pourtant omniprésente du début jusqu’à la fin. Qui sont ces fantômes, ces anges gardiens qui ont guidé Cooper ?  Nous y revenons par la suite…
–          Quand Matthew se retrouve en fin de film dans la bibliothèque, j’ai d’abord cru justement qu’il était à l’intérieur d’une sorte d’orgue, d’ailleurs il enfonce les livres comme on enfoncerait les touches d’un piano ou d’une orgue pour communiquer avec sa fille.
–          Cette symbolique de l’orgue est peut-être là pour nous montrer que l’homme du futur pourrait disposer  du temps comme d’un instrument.
Le dénouement amène aussi à se poser des questions sur notre cheminement spirituel (comme si le progrès nous amenait peu à peu à prendre conscience que nous sommes nos propres anges gardiens et que Dieu finalement c’est l’homme du futur).

L’heure est aux interprétations les plus folles : lâchez vous !

–          Matt Damon joue le Dr Mann : selon moi ce nom n’a pas été choisi au hasard. Il représenterait peut être  l’humain qui n’a pas évolué et défend une conception darwinienne de l’homme mu par l’instinct de survie. Souvenez-vous, c’est lui qui a prétendu que sa planète était habitable (alors que ce n’est vraiment pas le cas…)  afin que l’on envoie un équipage sur sa planète. Il a mis en péril la mission et l’humanité dans le seul but de « sauver sa peau ».   Le combat entre Cooper et Mann sur la planète glaciale : c’est le combat entre deux  humanités. Qu’est ce qui doit guider l’action : l’instinct de survie ? L’amour ?  Mann a perdu la tête et tandis qu’il tente de se débarrasser de Cooper, il lui dit : « statistiquement il a été prouvé qu’avant de mourir, la dernière image que tu verras sera celle de tes enfants »…

–          Interprétation religieuse du film :

Bon là ça part un petit loin pour finir. Tachons d’être concis.
Et si Interstellar était un film profondément religieux malgré qu’il s’agisse d’un blockbuster et qui plus est d’une œuvre de science-fiction ?
Pendant tout le film, on se demande : qui tente de sauver l’humanité dont la terre natale se meurt ? Pour rappel, la NASA évoque à demi-mots « des individus qui semblent nous vouloir du bien » qui auraient placé un portail près de Saturne afin de  nous permettre de nous rendre dans une autre galaxie (pour la théorie « du trou de ver » rendez-vous à Paul Sabatier). Ces êtres venus d’en haut, et le fantôme de Murphy nous plongent tout le long du film dans un profond mysticisme.  Et finalement on se rend compte au bout du voyage, que c’est les terriens eux même ou plutôt des terriens du futur ayant réussi à se sauver grâce à la technologie (cela n’est qu’une interprétation), qui viennent nous sauver en traversant le temps devenu une dimension comme une autre pour eux.
 On replonge alors dans les textes de Feuerbach (l’immensité de Dieu, c’est peut-être la figuration de l’immensité des potentialités de notre raison), et l’on s’écrie à la manière d’Apollinaire : « Dieu c’est l’homme. »
Nolan semble jouer de cette vision, en faisant de Cooper un héro hors du commun, s’apparentant alors à un Dieu vivant. Sous bien des aspects, le personnage de Cooper est semblable à l’image traditionnel de Dieu :
–          C’est un homme. Il a la figure du père protecteur, voulant d’abord protéger sa famille, puis sauver l’humanité (en ce sens il est bienveillant comme un Dieu).
–          On remarque dès le début que Cooper est seul, sa femme est morte, cela peut rappeler les grands monothéismes où Dieu n’a pas de compagne.
–          Enfin la relation entre Cooper et sa fille peut figurer la relation que tout croyant a avec son Dieu :
Il y a d’abord beaucoup de promesses non tenues : Murphy en veut à son père car elle sait qu’il ne rentrera jamais. Elle éprouve dès le début une profonde rancœur envers lui. Elle se sent abandonnée.
Plus elle grandit, plus elle croit que jamais elle ne reverra son père, qu’il ne tiendra pas ses promesses et qu’il la laissera mourir sur Terre. Les rapports qui se détériorent entre le père et la fille, peuvent ainsi figurer les rapports que tout croyant peut entretenir avec la religion face aux difficultés de la vie.
–          Le film nous transmet peut être ainsi un message implicite : la scientifique (Murphy) pour trouver l’ultime solution  à son équation a eu besoin de croire en son père après des années de rancœur et de désillusions. La réconciliation entre Murphy et Cooper veut peut être symboliser une nécessaire réconciliation entre la science et « un Dieu » (au sens de réalité supérieure qui nous dépasse) pour le bienfait d’une humanité en perdition.
–          L’ambiguïté est présente jusqu’au bout. Pour rappel c’est au lit de mort de sa fille que Dieu (ou plutôt Cooper…), réapparaît à la fin du film…
Ainsi ce n’est peut-être pas par hasard que le journal La Croix a multiplié les éloges envers ce film.