Le second degré a-t-il disparu de notre société ?


Publié le 28 janvier 2023

L’humour ne serait-il pas en train de disparaître de notre société ? Ou en tout cas, cet humour qui pourrait être mal interprété par certaines personnes ? Sommes-nous, avec notre société soi-disant bien-pensante, inclusive et non-discriminante, en train de tuer l’humour et le droit de rire de tout ?

 

Nous connaissons tous l’adage « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », adage sans doute vrai mais qui, plutôt que d’être un conseil pourrait finalement s’avérer comme une constatation de la tristesse de nos discussions et de la peur qui règne aujourd’hui dans notre société occidentale. Je me suis personnellement reposé la question il y a peu, lorsque TF1 diffusait en novembre dernier la soirée « Tous Inconnus » où des célébrités reprenaient certains sketchs iconiques du trio Les Inconnus qui faisait carton plein dans les années 90. Cependant, s’il y a trente ans, leurs sketchs, sans aucun tabou, faisaient rire la France entière au point que je pense assez difficile de trouver un de nos parents ne connaissant pas une de leurs répliques sur le bout des doigts, la rediffusion de ces sketchs en 2022 a sans doute été un casse-tête important pour TF1. En effet, impossible aujourd’hui de diffuser en prime time un sketch comportant une moquerie sur un accent étranger, un cliché sur une quelconque minorité ou encore une blague sexiste trop prononcée. Autant de blagues qui étaient pourtant celles qui ont fait des Inconnus des étoiles de l’humour français. A l’époque, ils étaient les seuls humoristes à taper sur tout ce qui leur tombait sous la main. Toutes les émissions de télé ue moment y étaient passées, toutes les religions, tous les clichés sur les différents pays et leurs habitants, un bon nombre de célébrités, de politiques, les hommes et les femmes. Ils étaient intouchables car ils tapaient sur tout le monde sans exception. Ainsi, avant même de prendre une remarque sur leur sketch « Les pétasses » se moquant de la superficialité et de la bêtise féminine, ils sortaient le sketch « Les branleurs » se moquant de la superficialité et de la flemmardise masculine. Mais alors, pourquoi nous, de nos jours, ne pouvons-nous plus taper sur tout comme eux ?

 

Il est clair que les temps ont changé. En effet, aujourd’hui, ce qui est acceptable, ce n’est pas de taper sur tout le monde en les discriminant tous, mais c’est finalement de brosser tout le monde dans le sens du poil. L’avantage, c’est que plus personne ne se plaint ; le problème, c’est que plus personne ne rigole en public. Qu’on le veuille ou non, c’est l’humour hors de la bienséance qui fait rire souvent. Pourquoi ? Car nous avons besoin, humainement de relativiser et de se moquer de ce qui nous enferme un peu plus chaque jour. Toute la journée, au travail, à l’école, en public, les codes de la société moderne nous interdisent de rire ou de nous moquer de tout au risque d’être offensant vis-à-vis de quelqu’un qui manque de finesse d’esprit ou de recul quant à l’humour proposé ou de paraître raciste, sexiste ou discriminateur d’une quelconque minorité. Or, notre société est de plus en plus inclusive. Les marginaux de la société d’il y a trente ans sont la normalité actuelle et, comme dans toutes les périodes de transition et de changement de paradigme, il est nécessaire de surprotéger les anciennes minorités discriminées et c’est là que l’humour ne passe plus. La société actuelle est finalement plus égoïste qu’auparavant d’un certain point de vue : de deux traits d’humour visant deux personnes différentes, on ne retient plus que les deux sont passés à la casserole de l’humour, mais simplement qu’une des deux a été moquée. Les personnes de nos jours vivent dans la peur d’être mal comprises, mal perçues par leurs congénères. Aujourd’hui, une phrase un peu limite provoque tout de suite dans nos cerveaux une suspicion « peut-être est-il raciste, homophobe, sexiste » et cela avant même de décrypter et de se poser la question : « à quel degré est-il ? ». Les peurs sont alimentées par les gens qui les craignent. Nous craignons tellement les remarques qui pourraient marginaliser certaines personnes que cette crainte ne fait qu’augmenter exponentiellement, devenant omniprésentes et ainsi, il est devenu interdit de les prononcer en public, je dis bien en public.

 

C’est à ce moment-là que notre société s’effondre… Certains propos, qualifiés d’imprononçables en société sont les premières blagues qui nous font rire dans le privé. Sommes-nous dans une période de transition entre deux types d’humour ou simplement, encore une fois, dans l’hypocrisie chronique qui dépeint notre époque ? Sommes-nous en train de transformer notre humour vers un humour clean de toute discrimination et de toute moquerie ou sommes-nous en train de condamner l’humour en public à la peine capitale ? Ne serions-nous pas, avec notre fausse moralité, en train de condamner tous les humoristes et artistes de la langue et de l’humour qui ne peuvent parfois même plus se moquer d’une minorité à laquelle ils appartiennent car ils risqueraient de renvoyer une mauvaise image de celle-ci ? Je parle bien de fausse moralité ici car, oui, il faut l’admettre, nous vivons dans une société où ce sont souvent les mêmes personnes qui, sur les réseaux, postent des photos retouchées d’elles qui vont complexer des milliers de jeunes les poussant parfois dans des maladies graves telles que l’anorexie ou la dépression et qui vont par la suite faire de l’argent sur une vidéo react : « OMG il fait une blague sexiste à la TV ! C’est inacceptable #balancetonhumoriste » …. Bref, la peste ou le choléra diront certains… Personnellement, je trouve quand même assez terrible que dans un monde qui prône de se montrer tel que l’on est, même si cela dérange, on soit obligé de se censurer autant soi-même par peur d’assumer ce qui nous fait rire dans le cadre privé. J’ai quand même hâte d’entendre les blagues que nos enfants nous rapporteront de l’école, sans doute quelque chose dans le genre : « C’est l’histoire d’un blanc, d’un noir, d’un arabe, d’un métisse, d’un asiatique, d’un américain, d’un hétéro, d’un homo, d’un bi-sexuel, d’un asexuel, d’un trans, d’une femme, d’un homme, d’un non genré, d’un communiste, d’un mec de gauche, d’un mec du centre, d’un mec de droite, d’un mec d’extrême droite, qui sont dans une avion… ah non… ça pollue » (ironie quand tu nous tiens).

 

Le monde se perd dans un premier degré permanant, ne distinguant plus l’humour de la réalité, alors que le monde actuel est une vaste blague.

 

Grégoire Kaeppelin

1 Commentaire

  1. adrien javoy

    Pas mal du tout, je n’y avais pas pensé de cette façon !

    Je garde la blague et la conclusion 🙂

    Réponse

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