Crise ukrainienne : un conflit aux multiples enjeux


Publié le 5 février 2022

Crise ukrainienne : Que se passe-t-il ?  

Au début du mois de janvier 2022, le président américain Joe Biden affirmait qu’il n‘y aurait pas de progrès avec “un pistolet sur la tempe de l’Ukraine”. Cette phrase illustre bien la menace qui plane au-dessus des Ukrainiens ces derniers mois. En effet, depuis novembre 2021, les tensions entre la Russie, les Etats-Unis et l’Europe sont à leur paroxysme. La Russie est accusée d’avoir amassé près de 100 000 soldats près des frontières ukrainiennes, en vue d’une possible invasion russe sur le territoire ukrainien. L’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et les Etats-Unis particulièrement ont rapidement réagi, même si l’Ukraine n’est pas membre de cette organisation. De fait, les Etats-Unis ont placé environ 8 500 soldats américains en état d’alerte élevée dans le but de dissuader un potentiel passage à l’acte du président russe Vladimir Poutine. 

De nombreuses rencontres diplomatiques ont lieu au mois de janvier pour discuter notamment de la sécurité de l’Europe et pour entamer une désescalade des tensions : le 9 et 10 janvier à Genève entre les Etats-Unis et la Russie ; le 12 janvier entre la Russie et l’OTAN ; le 13 janvier dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Cependant, ces discussions n’ont pas atténué les tensions, en particulier entre la Russie et les Etats-Unis. Le 26 janvier dernier, Washington a rejeté l’une des principales demandes de Moscou, qui était d’empêcher une potentielle adhésion de Kiev à l’OTAN. L’heure n’est donc pas encore à l’apaisement… Les Etats-Unis ont même annoncé, au début du mois de février, le déploiement de 3 000 soldats supplémentaires en soutien de l’OTAN en Europe de l’Est. De quoi rassurer les alliés…mais de quoi accroître également les tensions avec la Russie. Joe Biden espère ainsi pouvoir dissuader Vladimir Poutine de passer à l’action sur le territoire ukrainien en multipliant les menaces et les sanctions à l’encontre de Moscou. Biden a rappelé qu’« aucune option n’était exclue » pour répondre à une éventuelle attaque russe en Ukraine. 

Si Moscou insiste sur le fait qu’il n’a pas l’intention d’envahir l’Ukraine, il affirme que ce déploiement militaire s’explique par la présence croissante et menaçante de l’OTAN dans ce qu’il considère comme sa zone d’influence et qui menace, selon Poutine, la sécurité en Europe de l’Est. De fait, la Russie s’inquiète d’une possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN car elle s’est rapprochée de ce dernier mais aussi de l‘Union européenne ces dernières années. Le but de Poutine est, en effet, de garder un pouvoir d’influence conséquent à l’Est de l’Europe et cela passe nécessairement, selon lui, par une démonstration du rapport de force qu’il peut exercer dans cette zone. Vladimir Poutine remet purement et simplement en cause le droit à l’autodétermination de l’Ukraine, en essayant de l’empêcher de choisir ses alliés et son système de défense. Il est important de savoir que ces sujets de crispation ne datent pas d’hier. 

Les origines du conflit russo-ukrainien  

« La Russie n’a jamais perdu la guerre froide…parce que la guerre froide n’est pas finie ». Les mots de Vladimir Poutine semble complètement d’actualité avec ce qu’il se passe en Europe de l’Est. En effet, la Russie se voit comme une grande puissance, héritière de l’Union soviétique dissoute en 1991, suite à la démission de Mikhaïl Gorbatchev le 25 décembre 1991 du poste de président de l’URSS. Moscou considère les anciennes républiques soviétiques comme sa zone d’influence. Parmi les pays de l’ancien bloc de l’Est, l’Ukraine a une place particulière dans le cœur des Russes d’un point de vue historique mais aussi car elle est le pilier même de la “zone tampon” protégeant la région.  

En novembre 2004, des manifestations pro-démocratiques ont secoué l’Ukraine en réaction à la fraude électorale qui a conduit à la défaite du candidat pro-européen Viktor Iouchtchenko au profit du candidat de l’opposition pro-russe Viktor Ianoukovitch lors de l’élection présidentielle. Ces protestations pro-occidentales ont amené par la suite la Cour suprême a annulé le scrutin et le candidat pro-européen Iouchtchenko a finalement fini par être élu président de l’Ukraine en décembre 2004 lors d’une nouvelle élection. Qualifiée de “Révolution orange”, ce soulèvement populaire a fortement déplu à la Russie accusant les Occidentaux d’ingérence dans ses affaires internes. Pour protester contre le pouvoir ukrainien en place, Poutine décide d’interrompre l’approvisionnement de gaz russe à l’Ukraine en 2006 au prétexte de factures impayés. De fait, cela montre que le pouvoir d’influence de la Russie ne date pas d’hier. Poutine a toujours fait en sorte d’avoir une mainmise sur ce pays qui lui est cher et dont il revendique une identité russe car, pour lui, les Ukrainiens et les Russes sont « un seul et même peuple ». 

Le grand tournant de la politique étrangère russe intervient en 2014. En février 2014, le gouvernement pro-russe de Ianoukovitch (élu en 2010) est destitué à la suite d’un soulèvement populaire pro-européen nommé “Euromaïdan”. Voyant que l’Ukraine se rapproche de l’Union européenne, Vladimir Poutine annexe la Crimée en mars 2014, une région au sud de l’Ukraine et proche de la Russie. Il envoie ensuite des soldats russes dans le Donbass, une autre région à l’Est de l’Ukraine, à majorité russophone, dans le but de soutenir les mouvements séparatistes pro-russes contre l‘armée ukrainienne. Malgré les accords de Minsk, imposant un cessez-le-feu, conclus en 2015 entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, le conflit armé continue et a fait à ce jour près de 14 000 morts. Aujourd’hui le président ukrainien Volodymyr Zelensky entend reprendre le contrôle de ses frontières. 

La politique étrangère et offensive russe est instrumentalisée à des fins de politique intérieure. Le but est de faire oublier les revers de la politique intérieure russe. En effet, la popularité de Poutine a chuté ces derniers mois suite notamment aux allégations de fraude lors des élections législatives russes de septembre 2021, remportées par le parti de Poutine “Russie Unie” tandis que les opposants n’ont pas été autorisé à se présenter. De plus, la Russie est un pays où les inégalités économiques et sociales persistent et sont considérables. De fait, Poutine est apparu comme un chef autoritaire en perte d’autorité. Sa capacité d’influence à l’étranger lui permet de regagner en légitimité, ce qui explique son acharnement à défendre coûte que coûte ses intérêts stratégiques dans les pays de l’ancien bloc soviétique. En avril 2006, dans un discours à la nation, le président russe Poutine, qui dirige le pays depuis 2000, déclarait que la chute de l’URSS fut “la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle”. Phrase qui résonne de façon évidente pour Poutine et qui témoigne de l’humiliation subit par le pays : En 20 ans, 14 pays de l’ancien bloc soviétique ont adhéré à l’OTAN. L’annexion de la Crimée est un parfait exemple de la politique offensive russe, puisque cela a permis à Poutine de renforcer considérablement sa popularité et de faire oublier le traumatisme subit à la fin des années 1990.   

Toutefois, l’annexion de la Crimée a été fortement décriée par les Occidentaux, qui ont imposé des sanctions économiques à la Russie. L’annexion russe a provoqué l‘une des pires crises diplomatiques avec les Occidentaux. C’est également la raison pour laquelle la Russie est exclue du G8 depuis 2014. Par ailleurs, le fait de raviver les tensions aujourd’hui n’est pas sans risque pour la Russie car l’Europe reste un partenaire commercial majeur.  

  

Quel rôle ont les Etats-Unis dans cette crise ?  

La Russie ne supporte pas d’être rétrogradée au rang de puissance régionale et elle le fait bien savoir. En choisissant de parler de l’Europe quasiment exclusivement avec les Etats-Unis, elle souhaite affirmer sa puissance sur la scène internationale tout en évinçant les Européens de la table des négociations.  

Elle y voit évidemment un intérêt stratégique : Poutine sait que s’engager dans ce conflit militaire serait coûteux. D’autant plus que l’armée ukrainienne s’est considérablement renforcée depuis 2014. La Turquie, pourtant alliée de la Russie mais paradoxalement membre de l’OTAN, a d’ailleurs vendu des drones à l’Ukraine ces dernières années, renforçant la militarisation de l’armée de Kiev. De plus, les Etats-Unis affirment ne pas avoir l’intention d’intervenir militairement dans un nouveau conflit, d’autant plus après le retrait des troupes américaines d’Afghanistan en août 2021 mettant fin à la plus longue guerre de l’histoire américaine. Et la Russie le sait. La priorité des Etats-Unis n’est pas en Europe mais bien en Asie : une aubaine pour la Russie qui peut avancer ses pions sur l’échiquier politique européen. En effet, l’attention des Etats-Unis est tournée vers la Chine. De fait, se lancer dans ce conflit armé avec Moscou profiterait à Pékin, ce qui n’est donc pas dans l’intérêt des Américains. Si les Etats-Unis restent tout de même présents en Europe, c’est en grande partie pour rassurer ses alliés européens, et que ces derniers ne les abandonnent pas pour autant et s’engagent à mettre en place de lourdes sanctions économiques en cas d’invasion russe.   

 

Qu’en est-il de l’Europe ?  

Néanmoins, ces sanctions économiques ne sont pas sans conséquences pour l’Europe, victime collatérale des rapports de forces russo-américains. En effet, s’il est moins dangereux pour les Etats-Unis de mettre en place des sanctions fortes, ce n’est pas le cas de l’Union européenne, du fait de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Washington a notamment affirmé que le gazoduc Nord Stream 2, dont la construction est achevée mais n’a toujours pas été mis en service, transportant du gaz entre la Russie et l‘Allemagne, serait bloqué en cas d’invasion. Cependant, l’Allemagne reste réticente, en particulier dans un contexte de flambée des prix de l’énergie. La crédibilité de la première puissance européenne est en jeu.  

L’enjeu de la crise ukrainienne est de taille pour les Européens : elle doit leur permettre de montrer sa capacité à devenir une puissance politique en parlant d’une seule et même voix. Cependant, si des pays comme la France et l’Allemagne réclament plus d’autonomie pour la sécurité de l’Europe, les pays de l’Europe de l’Est, voyant la menace russe toquée à leur porte, ne veulent pas que l’Europe envoie un signe d’indépendance aux Américains dont ils dépendent.  

Poutine veut effacer l’humiliation de la chute de l’URSS et la perte historique de sa place en tant que puissance mondiale. Selon lui, l’Empire russe doit renaître et se faire connaître. Cette aspiration engage d’emblée l’Europe, car la Russie n’a jamais été une puissance mondiale sans devenir au préalable une force hégémonique en Europe. Poutine a déstabilisé les Occidentaux : il existe un problème de coordination entre les pays occidentaux pour faire face à un même danger. Aujourd’hui, l’indépendance de l’Ukraine est menacée. Demain, ce seront les autres pays de l’ancien bloc soviétique.  

 

Quelles sont les conséquences à venir ?  

La crise ukrainienne est révélatrice de ce qui se jouera dans les années à venir. Céder aux revendications de Poutine transformerait les rapports de force dans les prochaines années. L’avenir de l’Ukraine est donc décisif. Hasard de l’histoire ou non, les Jeux Olympiques ont souvent été l’opportunité pour Moscou de mener des opérations militaires à l’étranger : en août 2008, lors des Jeux Olympiques d’été de Pékin, une invasion russe a eu lieu en Géorgie, ancien pays de l’URSS ; en février 2014, lors des JO de Sotchi, en Russie, la Crimée a été annexée par Moscou ; et aujourd’hui la menace d’une invasion russe en Ukraine plane au moment même où les JO d’hiver de Pékin se tiennent. D’ailleurs, Poutine en est même l’invité d’honneur. Dans un contexte de boycott diplomatique envers la Chine, Xi Jinping et Poutine affirment symboliquement leur entente. Toutefois, la Chine a intérêt à rester sur ses gardes car une guerre en Europe n’est pas dans ses intérêts, étant donné que l’Europe est un partenaire commercial majeur pour elle aussi. De plus, la Russie n’a pas vraiment intérêt à envahir l’Ukraine car en cas d’invasion, retrouver une paix durable dans le pays ne serait pas évident et Moscou risquerait de subir de lourdes pertes comme ce fut le cas lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS de 1979 à 1989.  

Reste à savoir si les menaces et sanctions des Occidentaux sont réellement efficaces… Difficile à dire : les sanctions imposées dès 2014, n’ont pas semblé freiner le président russe. Espérer que Poutine entame une désescalade, comme il l’a fait savoir le 28 janvier à Emmanuel Macron, ne semble pas à l’ordre du jour, compte tenu des accusations américaines affirmant une invasion russe “imminente” en février…  

 

Par Jessica LOPES BENTO

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