L’échec de la COP 26 : la coopération internationale en panne ?


Publié le 19 novembre 2021

Il est « minuit moins une sur l’horloge de l’apocalypse » s’alarmait l’hôte de la COP 26 et Premier ministre britannique Boris Johnson dès le premier jour de ce sommet concernant l’urgence climatique et repoussé d’un an en raison de la pandémie de Covid-19. La COP 26, qui s’est déroulée du 1er au 12 novembre 2021 à Glasgow, en Écosse, était censée mener à des engagements historiques pour arriver à zéro émission de carbone en 2050 et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Certains parlaient même de ce rendez-vous comme celui « de la dernière chance », mais il est considéré comme un véritable échec.

Des engagements moins ambitieux que prévu et souvent flous, la Russie, la Chine et le Brésil qui manquent à l’appel, le patron d’Amazon Jeff Bezos qui débarque en jet privé pour venir discuter de l’avenir de la planète, des manifestants appelant les dirigeants à cesser le « bla-bla-bla » et à agir avec des actions concrètes, un ministre prononçant un discours pour la COP les pieds dans l’eau ou encore le président britannique de la COP 26, Alok Sharma, qui, les larmes aux yeux, s’est dit « profondément désolé » du bilan de ces deux dernières semaines….voilà comment pourrait se résumer la COP 26…

Ce rendez-vous devait constituer un tournant majeur depuis l’accord de Paris signé en 2015 lors de la COP 21. De fait, samedi 13 novembre, les 196 pays participants ont adopté un accord pour accélérer la lutte contre le changement climatique : il s’agit du « Pacte de Glasgow ». Si pour les chefs d’État, ce texte a le mérite de s’être attaqué pour la première fois à la question des énergies fossiles, responsables de 90% des émissions de gaz à effet de serre, en y mentionnant le début d’une sortie progressive du charbon, l’objectif de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement climatique par rapport à l’ère préindustrielle, voire de rester à 1,5°C, n’est pas encore atteint.

 

En quoi consiste le « Pacte de Glasgow » ?

Le texte rappelle l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui avait déjà été acté par l’accord de Paris lors de la COP 21 en 2015 entre plus de 150 pays. Ainsi, ces pays se sont engagés à réduire encore plus leurs émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois plusieurs éléments posent problème dans le « Pacte de Glasgow ». L’un d’entre eux repose sur le fait que certains pays pourront aménager leurs engagements en cas de « circonstances nationales particulières ». Autrement dit, il serait, par exemple dans le cas de l’Australie, possible de tolérer des émissions de gaz à effet de serre plus élevées que par rapport à ses engagements et sans que l’Australie soit sanctionnée, pour la simple raison que son économie dépend encore beaucoup de la production de charbon. Par ailleurs, concernant le charbon, de nombreux pays, notamment ceux de l’Union européenne, souhaitaient que le monde s’engage pour la disparition du charbon. Or, le « Pacte de Glasgow » a finalement été moins ambitieux et parle plutôt d’une réduction progressive de cette énergie fossile. Ce changement de dernière minute dans la déclaration finale s’explique par la pression exercée par l’Inde et la Chine, pays très dépendants du charbon, montrant alors que la mise en place d’une coopération internationale pour faire face à des problèmes planétaires n’est pas si simple.

 

Les problèmes dans la mise en place d’une coopération internationale :

Les rapports de force des grandes puissances ont un impact non négligeable dans la mise en œuvre de cette coopération : multilatéralisme (=système qui privilégie les négociations, les engagements réciproques, les coopérations) et unilatéralisme (=politique conduite par un État qui ne prend en considération que ses seuls intérêts) s’affrontent sans cesse, ce qui peut empêcher une coopération internationale véritablement efficace. En effet, depuis les années 2000, l’unilatéralisme s’impose de plus en plus, notamment à cause du climatoscepticisme et des intérêts économiques, ce qui a donc limité les atteintes des objectifs.

De plus, chaque pays a des enjeux différents : Pour les pays riches, il s’agit de changer de mode de production et de consommation. Cependant, pour les puissances émergentes comme la Chine et l’Inde, il existe un vrai dilemme : non seulement leurs émissions de gaz à effet de serre augmentent de façon exponentielle du fait de leur croissance économique, mais aussi ces puissances sont souvent concernées directement par les conséquences du réchauffement climatique, réchauffement auquel elles contribuent. Les pays les plus touchés sont ceux qui sont souvent très pauvres comme les pays les moins avancés (PMA) car ils sont situés dans des zones à risques et payent donc très souvent le prix fort des conséquences du réchauffement climatique alors qu’ils n’en sont historiquement pas responsables.

Pourtant lors de la COP de Copenhague en 2009, les pays du Nord avaient promis qu’ils verseraient 100 milliards de dollars chaque année dès 2020 à ces pays en difficulté. Mais finalement, l’échéance a été décalée à 2023 alors que l’urgence climatique, elle, ne se fait pas attendre… Pour prouver l’urgence d’agir, Simon Kofe, ministre des Affaires étrangères de l’archipel des Tuvalu, a décidé d’enregistrer un discours pour la COP 26 les pieds dans l’eau. Si cette image a pu en faire rire certains, c’est en fait une vidéo qui est très forte et très symbolique : en se filmant ainsi, il a voulu montrer concrètement au reste du monde que le petit État archipel polynésien est menacé par la montée des eaux et pourrait disparaître d’ici une dizaine d’années comme d’autres États insulaires.

L’enjeu (et la difficulté) est donc de réussir à mener une action commune, concertée à l’échelle globale. Aujourd’hui une des limites majeures de la gouvernance climatique mondiale est que le défi climatique repose en grande partie sur les décisions des grandes puissances économiques, mais encore faut-il que ces dernières maximisent l’intérêt commun. Or, en appliquant la « théorie des jeux » à l’aide du « dilemme du prisonnier » dans le cas de la gouvernance climatique mondiale, il est dans l’intérêt de tous les pays d’empêcher le réchauffement climatique. Toutefois, chaque pays préfèrera que ce soit les autres qui subissent les coûts, en particulier si le rapport coûts-bénéfices individuel ne lui est pas favorable. En effet, dans le « dilemme du prisonnier », les joueurs rationnels, ici les pays, auront tendance à opter pour une solution non-coopérative qui maximise leur gain individuel, au détriment de la maximisation du gain collectif, c’est ce qu’on appelle l’équilibre de Nash.

Jusqu’à présent, il semble que cette vision prédomine. Néanmoins, aujourd’hui nous avons atteint un moment charnière : chacun est concerné par la menace que représente le réchauffement climatique et il est donc nécessaire que les grandes puissances se tournent vers davantage de coopération que vers des rivalités et des tensions géopolitiques.

 

Le cas sino-américain :

« S’il y a une chose qui devrait transcender nos différences, c’est bien le réchauffement climatique » tels sont les mots de l’ancien président américain Barack Obama lors de la COP 26 au moment où il évoque la relation sino-américaine. Avec l’élection de Joe Biden, les rivalités entre ces deux puissances mondiales ne se sont pas atténuées : la Chine entend toujours étendre sa puissance, alors que les États-Unis essayent de la contenir. Cependant, dans le contexte actuel d’urgence climatique, sans une collaboration entre les deux plus grands émetteurs de gaz à effet de serre mondiaux, les efforts des autres ne suffiront pas à atteindre l’objectif de 1,5°C ou même 2°C. Le changement climatique représente une opportunité unique pour les deux pays de coopérer. D’ailleurs, le 10 novembre dernier lors de la COP 26, ils ont fait une annonce surprise d’un plan de collaboration, un plan porteur d’espoir, pour lutter contre le réchauffement climatique en promettant de « prendre des mesures renforcées pour relever les ambitions pendant les années 2020 » sans pour autant donner de détails précis. De fait, une coopération climatique sino-américaine pourrait peut-être permettre d’atténuer certaines tensions qui sont liées à la guerre commerciale et technologique ou encore au sort de Taïwan.

 

Et maintenant ?

L’Histoire a montré que certains défis pouvaient amener certains pays à se rapprocher parfois pour vaincre un ennemi commun. Aujourd’hui l’ennemi commun, c’est le changement climatique.  Les États-Unis et la Chine ne pourraient-ils pas collaborer pour y faire face ?  Peut-être, mais seulement s’il y a une pression publique pour les pousser dans cette direction. L’exemple européen a montré que la mobilisation des citoyens pouvait avoir un impact sur les défis environnementaux. Néanmoins, en Chine, il est difficile de prévoir comment le Parti Communiste chinois réagirait à ce genre de mobilisations. Par une répression ? Sans doute. Mais, en fin de compte, le président chinois Xi Jinping a besoin d’un soutien public pour maintenir son emprise sur le Parti communiste chinois. Il sait que sa légitimité à l’échelle nationale comme internationale peut dépendre de sa capacité à répondre efficacement aux préoccupations croissantes concernant l’environnement.

Si la COP 26 n’a pas pris le tournant qu’elle aurait dû prendre, des efforts notables ont tout de même été pris. Reste à voir désormais si les États seront capables de coopérer davantage et de mettre leurs différends de côté afin de réaliser des mesures concrètes pour parvenir aux objectifs fixés lors de la COP. Rendez-vous en 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte, pour une nouvelle COP de la dernière chance…

 

Par Jessica LOPES BENTO

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