Quand le débat se retrouve au cœur du débat


Publié le 12 novembre 2021

La semaine dernière je suis tombée sur une phrase de l’avocat américain Dudley Field Malone qui disait « Je n’ai jamais rien appris d’une personne qui était d’accord avec moi ». Je me suis donc posée la question : est-ce que celui qui me contredit est celui qui m’instruit ?

 

Les situations de débat amènent l’individu à se confronter au regard et à l’avis des autres et, cela est pour lui un moyen de se sociabiliser (la parole crée du lien social) mais surtout de s’affirmer et de s’individualiser : je pense ça et on me reconnait à travers cet avis. La confrontation est donc un moyen de savoir qui nous sommes.

Pour Kant, l’idéal d’humanité et de civilité pour mener un débat vertueux est le sens commun qui se définit par ces trois maximes : « penser par soi-même » (ou pensée élargie), « penser en se mettant à la place d’autrui » (ou pensée éclairée) et « penser en accord avec soi-même » (ou pensée conséquente). Si tous ces ingrédients sont réunis alors le débat est vertueux et surtout essentiel en démocratie. En effet, il permet d’avoir différents points de vue sur une situation et de trouver ainsi la meilleure solution à un problème posé en société : on suit le schéma concertation, délibération puis décision.

Au Moyen-Âge, on pratiquait le débat à travers la disputatio, c’est-à-dire une discussion orale en général devant un auditoire. D’abord, le maître formulait une question à laquelle une des parties devait répondre et, enfin, la deuxième partie était chargée d’opposer des contre-arguments. A la fin de la discussion, le maître prononçait une solution argumentée qui donnait lieu à un rapport écrit. La disputatio jouait donc un rôle essentiel dans la recherche universitaire !

 

Cependant, aujourd’hui le débat a bien changé … Durant deux heures, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon ont étalé leurs désaccords sur la table de BFM-TV le jeudi 23 septembre. Ayant tous les deux des visions antagonistes de la société, ce débat aurait pu être source d’instruction pour les deux parties. Cependant, dès les premières minutes, les deux hommes politiques se sont retrouvés sur un ring de boxe intellectuel, chacun essayant de délégitimer les propos de l’autre à travers des attaques personnelles. Nous sommes donc bien loin des idées de KANT …

On pourrait aussi mentionner le débat entre Donald Trump et Joe Biden pendant les élections américaines l’année dernière avec les fameux « Will you shut up, man » de Biden et « There is nothing smart about you » de Trump. La question de la pertinence d’un tel débat se pose alors : Existe-il une limite d’avec qui il est possible de débattre ?

 

 

D’où vient alors cette tendance ?

 

Les débats politiques ne sont pas les seuls à être touchés par cette tendance puisque dès que la discussion sort du domaine du privé pour se dérouler dans l’arène publique, et surtout lorsque celle-ci a lieu sur les réseaux sociaux, alors elle est rarement sereine et constructive.

Il faut tout de même rappeler l’espoir suscité par ces espaces qui ont permis l’émancipation citoyenne par la parole. Il ne s’agit donc plus d’experts qui parlent en vertu d’une compétence qu’on leur reconnait mais plutôt de groupes qui se sentent concernés et qui réagissent sur la toile à travers des hashtags ou des arobases. Or, cela tend à répandre l’idée que toutes les causes se valent (nous n’en discuterons pas ici), mais pousse surtout à la guerre des idées.

Le développement de « l’art d’avoir toujours raison » joue aussi un rôle dans la perte de sens du débat puisque lorsque l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner le débat, il s’agit de quitter l’objet de la querelle pour attaquer l’adversaire dans ce qu’il est, c’est-à-dire sa personne, et de faire en sorte que la personne avec qui on n’est pas d’accord soit réduite au silence dans la sphère publique. On peut donc dire que nous vivons dans une société bavarde mais dans laquelle le dialogue n’existe plus.

Ainsi, les réseaux sociaux, parce que tout le monde peut y exprimer son avis, sont capables de propager les cris de haine et, la délibération sur ces plateformes est, soit sans fin, soit tellement virulente jusqu’à ce que mort s’ensuive. Débattre n’est plus synonyme de combattre mais d’abattre, comme le montre le meurtre du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020, qui 10 jours avant avait montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression.

 

Alors ouvrons grand nos oreilles et envisageons que l’autre puisse ne pas avoir tort sur tout !

 

 

 

Par Alise DURAND

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