Voyage au cœur du cerveau des consommateurs et rouages du marketing


Publié le 22 octobre 2021

Lorsque nous décidons d’acheter un bien, la logique veut que cette décision soit précédée de l’identification d’un besoin en vue de combler un manque. S’il s’agit d’un achat représentant un investissement conséquent comme une voiture par exemple, nous allons naturellement prendre le temps de comparer plusieurs modèles, mesurer les avantages et inconvénients de chacun d’entre eux. Pour ce faire, nous allons nous fonder sur des critères préalablement établis comme la consommation, le confort au sein de l’habitacle ou encore différentes fonctionnalités telles que la connexion Bluetooth, l’écran tactile présent sur le tableau de bord, une caméra de recul ou encore des fonctions de navigation sophistiquées.  Ce processus se répète pour chaque achat émanant d’un besoin clairement identifié par nous, consommateurs. Pourtant, bon nombre de nos décisions d’achat ne suivent pas ce schéma.

 

Dans cet article, nous parlerons de la part que prend notre inconscient lorsque nous choisissons de nous procurer un bien. Nous aborderons ensuite les techniques marketing utilisées par les entreprises pour attirer notre attention et provoquer chez nous des « stimuli subliminaux ». Enfin, nous nous intéresserons aux limites de ces pratiques marketing, essentiellement dues à des raisons éthiques.

 

La part d’inconscient et de conscient dans nos prises de décision  

Si dans certains cas, comme nous l’avons vu précédemment, notre démarche d’achat est mûrement réfléchie, dans de nombreuses autres situations, nous n’agissons pas de manière aussi rationnelle que nous pensons le faire. C’est précisément dans ce cas qu’intervient notre part d’inconscient. En effet, lorsque nous prenons connaissance d’un nouveau produit ou service, nos émotions parlent souvent pour nous. Sans en être conscients, nous allons naturellement être attirés par les effets que nous procurent certains des aspects du bien ou du service en question. Il peut aussi bien s’agir de la couleur du produit, de l’odeur, du son ou encore d’autres caractéristiques qui font appel à nos 5 sens.

Nous ignorons comment, mais notre cerveau associe ces aspects du produit ou service à des sensations de plaisir et de bien-être. La couleur peut inconsciemment nous renvoyer à quelque chose de positif et l’odeur nous rappeler des souvenirs de vacances ou autres moments agréables de notre vie sans que nous sachions exactement et consciemment ce que cela nous évoque. La voix d’une personne qui parle, que ce soit pour vendre le produit ou qu’elle fasse partie intégrante des fonctionnalités de celui-ci, peut inconsciemment faire référence à celle d’un proche, d’un être aimé qui est là pour nous guider, nous rassurer.  Le produit peut aussi être l’objet d’un fantasme, d’une promesse de rêve réalisé. Toutes ces émotions suscitées par les aspects du produit peuvent nous inciter à nous le procurer alors même que celui-ci ne répond à aucun besoin particulier, qui ne comblera pas spécialement un manque. Le point d’appui n’est plus le besoin mais le désir.

Il est important pour les entreprises de comprendre à quel point la prise de décisions des consommateurs est complexe car elle fait appel à plusieurs systèmes cognitifs. En effet, notre cerveau fonctionne à l’aide de deux systèmes, système inconscient et système conscient ou « système 1 » et « système 2 » comme le décrit Daniel Kahneman, spécialiste en psychologie cognitive et en économie comportementale, dans son livre Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée.  

Le système inconscient a un impact beaucoup plus influent et beaucoup plus important que le système conscient dans notre démarche de prise de décisions. Le système inconscient est la partie de nous-mêmes qui pense de manière intuitive et instantanée. Il est en opposition avec le système conscient qui au contraire, concerne la partie de nous-mêmes qui réfléchit sur le long-terme de manière structurée.

Les deux systèmes cognitifs travaillent généralement ensemble mais ils peuvent parfois entrer en opposition. Prenons un exemple auquel vous avez déjà été très certainement confronté. Lorsque vous devez lire à voix haute le nom d’une couleur écrit dans une autre couleur, par exemple le mot jaune écrit en vert, votre premier système cognitif, celui dit « inconscient » va instinctivement vous inciter à dire jaune, vous lisez le mot tel que vous le voyez sans vous poser de questions. À l’inverse, votre second système cognitif, celui dit « conscient » va déceler une incohérence et vous allez très certainement marquer un temps d’hésitation avant de lire le mot.

         Maintenant que nous avons évoqué la manière dont notre cerveau traite des données, revenons au marketing et la façon dont les consommateurs analysent les informations qu’ils ont à leur disposition.

 

Prenons là encore un exemple très concret dont nous avons déjà tous fait l’expérience, un produit vendu à 0,99 € pièce au lieu de 1 €. La première impression du consommateur va être de percevoir le produit comme étant très bon marché alors même que la différence de prix est minime, quasiment nulle. Une fois encore, notre inconscient va nous pousser à croire que le produit est beaucoup plus abordable à 0,99€ qu’à 1€. Lorsque nous faisons appel à notre système cognitif conscient, nous réalisons bien que la différence de prix est infime.

Après avoir pris le temps de parler de la part d’inconscient et de conscient dans nos prises de décision, intéressons-nous à présent aux pratiques marketing qui utilisent la connaissance du comportement humain et du fonctionnement du cerveau dans leur mise en place stratégique.

Constat des limites de certaines pratiques marketing et apparition de nouvelles approches

Si durant de longues décennies et même encore aujourd’hui, les sondages et études de marché ont été l’une des approches marketing les plus connues et les plus utilisées pour mieux saisir les besoins, attentes des consommateurs et la démarche qu’ils entreprennent dans l’achat d’un produit, d’autres pratiques ont émergé depuis et ces dernières se révèlent être beaucoup plus fiables.

En effet, les consommateurs ne répondent souvent pas de manière transparente aux questionnaires qui leur sont adressés. Plusieurs études ont été menées et la plupart des résultats montrent qu’il y a un réel décalage entre ce que déclarent les consommateurs et leur attitude réelle. Par souci de l’image qu’ils renvoient, pour être bien perçus, les personnes interrogées ont tendance à fournir des réponses qui vont dans le sens de la consommation éthique et responsable et cela ne reflète pas forcément la réalité, les choix qu’ils font réellement.

Selon une enquête qui a été menée par l’institut Lab42 dès 2014, « 84% des consommateurs américains se disaient prêts à payer davantage pour un service ou un bien délivré par une entreprise dite socialement responsable. » 

La même enquête a mis en lumière le fossé colossal entre les réponses fournies par les personnes sondées et leurs actes. Les consommateurs auraient en réalité une sorte de responsabilité morale. Ce phénomène s’accentue dans un contexte actuel de pression sociale et environnementale.  Les belles déclarations dans un souci de désirabilité sociale vis-à-vis d’autrui ne seraient en fait qu’un vernis qui cacherait un comportement tout autre, allant souvent à l’inverse de ce qui est affirmé.

Dans les sondages, c’est en fait le consommateur avec une démarche réfléchie et calculée qui s’exprime (système conscient) alors que dans les faits et la vie de tous les jours, ces derniers agissent souvent de manière intuitive et irrationnelle (système inconscient).

Les entreprises et professionnels du marketing saisissent de plus en plus le fossé entre les dires et les actes des consommateurs, 76% des produits commercialisés se heurtent à un échec durant la première année de leur mise sur le marché et ce malgré une excellente stratégie de lancement. C’est pourquoi de nouvelles approches et pratiques marketing sont apparues ces dernières années.

Parmi ces nouvelles pratiques, nous pouvons citer le neuromarketing qui est apparu dès le début des années 2000. Il s’appuie sur l’utilisation des sciences neuronales et cognitives afin de mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau des consommateurs, comment celui-ci répond à des stimuli subliminaux (marques, produits, odeurs, publicités, etc…). Le neuromarketing permet également d’optimiser les outils de persuasion. L’objectif in fine est de savoir quels sont les facteurs émotionnels et sensoriels qui influencent le consommateur et le poussent à acheter.

Le neuromarketing mesure trois éléments que sont la mémorisation, l’émotion et l’attention. Il s’appuie sur des technologies réservées d’ordinaire au domaine médical ainsi qu’à la recherche scientifique. Parmi les outils utilisés figurent, l’IRM (imagerie par rayonnement magnétique) qui permet d’avoir une visibilité sur la globalité du cerveau, l’EGG (électro-encéphalogramme) qui mesure des champs électriques à la surface du cerveau ou encore l’Eye Tracking, qui est une analyse effectuée avec des lunettes accompagnées de capteurs cérébraux, retraçant les mouvements oculaires du consommateur pour savoir quel(s) critère(s) ou aspect(s) attire(nt) précisément l’œil de l’intéressé.

Le neuromarketing constitue une approche extrêmement précise du comportement des consommateurs et de leurs aspirations. Cependant, celui-ci ne fait pas l’unanimité pour diverses raisons que nous allons voir dans la partie qui suit.

 

 

  • Quand l’éthique pose ses limites

          Si le neuromarketing est une pratique acceptée dans certains pays comme les Etats-Unis, il est très controversé et critiqué dans d’autres pour des raisons essentiellement éthiques.

Le principal reproche qui est fait au neuromarketing est celui de la manipulation. Toutefois, cette accusation est à nuancer. En effet, comme le souligne Didier Courbet, chercheur à l’université d’Aix-Marseille, il faut tout d’abord comprendre à quelles fins nous souhaitons avoir recours au neuromarketing.  S’il s’agit d’en apprendre davantage sur le comportement des consommateurs et son analyse, il n’y a aucune forme de manipulation. En revanche, certaines marques peuvent utiliser le neuromarketing pour faire acheter aux consommateurs un produit qu’ils ne désirent pas allant jusqu’à mentir sur les caractéristiques du bien. Dans ce cas précis, il s’agit bien de manipulation. Il est donc important de connaître dès le départ l’objectif d’utilisation du neuromarketing afin d’éviter toute accusation calomnieuse. Une fois l’objectif de cette utilisation clairement énoncé, il faut jouer la carte de la transparence vis-à-vis des clients. Certaines enseignes comme McDonald’s ont eu déjà eu recours au neuromarketing mais ces dernières l’ont nié. McDonald’s a déjà pratiqué le neuromarketing en faisant tester l’odeur de ses magasins à ses clients ainsi que les jouets qu’elle distribue, aux enfants. L’enseigne de fast-food refuse de déclarer qu’elle a recours à ce genre de pratiques.

Outre les accusations de manipulation, c’est l’utilisation de matériel médical financé par des fonds publics qui fait réagir. Certains se scandalisent du fait que des IRM ou autres technologies médicales puissent être utilisées à des fins commerciales alors même qu’il n’y en a parfois pas en quantité suffisante pour les patients ayant besoin de se faire contrôler.  De plus, par souci de déontologie, si dans le cadre d’une étude de neuromarketing sur le cerveau d’un consommateur, on identifie que celui-ci présente une anomalie (tumeur par exemple), l’entreprise aurait illégalement accès aux données de santé du consommateur qui sont strictement personnelles.

Pour se démocratiser et être davantage accepté par le grand public et l’ensemble des institutions, le neuromarketing devrait faire l’objet d’un débat public. Cela permettrait d’une part, aux consommateurs d’exprimer leurs craintes quant à ces pratiques et leurs potentiels impacts, et d’autre part, les entreprises pourraient fournir toutes les informations concernant leurs méthodes et approches marketing et ce serait l’occasion pour elles de rassurer les clients et le grand public en général.

Vous l’aurez compris, le neuromarketing doit faire ses preuves en s’insérant dans un référentiel éthique acceptable et nous avons encore beaucoup à apprendre sur le comportement des consommateurs et les raisons qui les poussent à faire leurs choix.

 

NOLWENN DALLAY

 

 

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