L’amour d’un père dictateur : affaire publique ou privée ?


Publié le 19 mars 2021

Cela n’aura échappé à personne, nous vivons dans un monde souvent dénué de morale ou de sens logique. Les réseaux sociaux en sont d’ailleurs les premiers indicateurs : ici commence la réflexion dont je vais vous faire part.

Je me baladais innocemment sur Instagram, lorsque je suis tombée sur le profil de l’enfant d’un dictateur décédé. (Je préserverai son anonymat afin de ne pas lui donner une visibilité non méritée, ni lui attirer les foudres des fidèles lect.rice.eur.s RDVC). J’ai donc regardé le contenu de cette personne jusqu’à apercevoir des photos de son père, tantôt en famille et d’autres fois lors d’un discours politique. Intriguée, je me suis penchée sur les descriptions de ces photos : « J’aimerais oublier ton absence pour un instant, j’aimerais chanter pour toi, lire pour toi, te câliner et te parler « , « Je t’aime », l’amour d’un.e enfant envers un parent, jusque-là tout peut sembler à peu près normal. J’ai ensuite lu « Joyeux anniversaire à toi, homme bon ». « Homme bon « . Voici les mots qui ont mis le feu aux poudres.

Aimer son papa n’a en soi rien de choquant.

Cette personne dont j’ai vu le profil souffre du deuil d’un parent, et exprime sa douleur au travers de photos souvenirs et de mots d’amour. Il s’agit d’un être humain, qui est aveuglé par sa subjectivité et son affection pour un proche.

Mais voilà, le premier problème est que les photos ne sont pas uniquement des photos familiales. Non. Cette personne a ressenti le besoin de poster également une photo politique, accompagnée d’une description édulcorée. Certes, l’homme politique et le père de famille devaient être deux hommes très différents. Mais confondre les deux en glorifiant le père sous la photo du dictateur est nettement discutable. Les deux facettes de sa personnalité ont fait de lui l’homme qu’il était ; ne montrer que la face arrangeante de ce monstre politique est alors très dérangeant.

Peut-on afficher publiquement son amour pour son père, lorsque ce dernier est un dictateur ?

L’enfant dont je vous parle a aujourd’hui une vingtaine d’années, et a suivi des cours dans une école parisienne prestigieuse. Inutile de préciser que les frais de scolarité ont été payés grâce aux détournements de richesses et aux trafics de son père, alors même que la population de son pays d’origine meurt de famine et d’oppression politique.

Je disais précédemment que notre cher despote était différent dans la sphère publique et dans la sphère privée : les deux milieux sont donc à nuancer n’est-ce pas ? Alors pourquoi diable son enfant rend public uniquement l’aspect privé de la vie de son père ?

Ne parler que du père de famille aimant et attentionné dans des descriptions publiques, parfois sous des photos politiques, sans jamais nuancer ni préciser les crimes contre l’humanité et les pratiques illégales de cet homme politique abject, revient à nier la gravité de ses actes. Pourtant, ils ont plongé un pays entier dans la crise et la violence. Ce dictateur ne se cachait pas de ses actes : « patrie, socialisme ou mort » était son slogan de campagne. Effacer publiquement l’homme politique pour ne montrer que le père aimant aux yeux du monde se rapproche d’un négationnisme immoral, et revient à écraser tout le peuple victime de ce tyran, désormais idéalisé sur la toile.

« Mais c’est l’enfant de ce dictateur, qui est en admiration de son père ! L’amour rend irrationnel, et parfois incapable de voir la part d’ombre dans nos êtres chers ! »

NON. Cet argument n’est pas recevable. S’il s’agissait d’un.e descendant.e d’Hitler ou de Mao Zedong, le monde entier serait outré. Pourquoi devrait-ce être différent pour ce dictateur américain ?

Son enfant a eu accès à des études supérieures prestigieuses, ainsi qu’à toutes les informations cachées par son Gouvernement d’origine, depuis la France. De plus, toute personne sensée sait distinguer le public du privé, la politique du familial.

Vous n’êtes pas d’accord ?
Prenons l’exemple de Juan Pablo Escobar Henao, fils du narcotrafiquant Pablo Escobar.
Si ce dernier explique avoir été bien éduqué, aimé et protégé par son géniteur, il n’en reste pas moins lucide sur les activités immorales et criminelles de ce dernier. Cet enfant de meurtrier aime son père, mais a toujours dénoncé publiquement les actes de celui qui a tué et vendu des drogues dangereuses à des milliers de personnes.

Si cet homme qui a perdu son père à 16 ans sait se tenir publiquement, pourquoi l’enfant du dictateur (qui a perdu son père à la même période de sa vie) ne peut faire de même ?
Nous ne parlons pas ici d’un parent ayant commis un simple délit, ni même un crime unique, mais bien d’un dictateur ayant commis des crimes contre toute sa Nation.

Vous pensez peut-être encore qu’il s’agit de sa liberté d’expression, que de glorifier son père en négligeant son inhumanité politique est son droit.
Mais « La liberté ne se reconnaît qu’à ses limites » – Louis Latzarus. Or les limites de la morale ont été outrepassées dans ces posts, qui cautionnent un politique peu soucieux des Droits de l’Homme.

Par respect pour les victimes de ce «  »Président » » peu scrupuleux, son enfant devrait rendre ses comptes privés, ou bien choisir de mieux nuancer ces propos à minima.

« La liberté des uns finit où commence celle des autres » – John Stuart Mill.

Par Iris DEVILLIERE

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.