L’or : métal de référence ou indicateur contesté ?


Publié le 15 janvier 2021

Connu de tout le monde au point de représenter la plus symbolique expression de la richesse, l’or est sans aucun doute possible, de manière antinomique, l’un des métaux nobles les moins présents dans notre vie quotidienne. Devant l’argent, le cuivre, le fer ou le zinc que nous trouvons tellement plus souvent dans chaque conception humaine, c’est bien lui pourtant qui est plébiscité. Il a fait vibrer des générations d’orpailleurs, d’entrepreneurs et de pionniers avides de faire fortune « au détour d’un chemin de la Cordillère des Andes » au mépris souvent de tous les périls et de tous les dangers, si l’on reprend l’accroche exacte rédigée par Jean Chalopin pour le générique de la série-télévisée d’animation à succès franco-nippo-luxembourgeoise des années 1980, les Mystérieuses Cités d’Or. Le proverbe classique attribue à l’argent le nerf de la guerre mais peut-être oublions-nous trop facilement que cette monnaie fiduciaire n’en reste pas moins une monnaie papier qui n’a de valeur autant que l’on prend conscience de ce qu’elle engage en valeur aurifère. Il serait donc de bon ton de modifier légèrement un proverbe qui maquille ce qui, de fait, dicte la conduite humaine depuis sa découverte au VIème millénaire avant J.-C. L’or est nulle part bien qu’il soit dans tous les esprits.

Un métal qui fait remuer ciel et terre

La rareté de l’or en fait l’exceptionnelle convoitise mais il est bon de rappeler que cette rareté n’est pas la seule difficulté que l’on rencontre dans la perspective de la production aurifère. La prospection de l’or a continuellement représenté une source d’espoir mais aussi de désespoir pour tous les aventureux en quête d’un filon de jaune doré. Car l’exploitation de l’or doit respecter des principes complexes et adouber un individu à la patience légendaire. En effet, à titre d’exemple, il est bon de savoir qu’une fois déterminée la présence d’or dans un sous-sol, le délai nécessaire à l’exploitation de la mine correspondante s’étale sur près de 15 à 20 ans et savoir aussi que traiter une tonne de minerai ne conduit généralement qu’à l’extraction d’un gramme d’or pur tout au plus (2,5 dans les années 1990). Notons aussi que l’imaginaire collectif nous décrit des ruées vers l’or comme celle de Californie dans les années 1850 comme des courses à l’extraction de gisements purs alors que déterrer de l’or, c’est déterrer un mélange rocheux qui ne contient pas que de l’or, loin de là. Des processus bien précis sont indispensables à l’extraction de ce métal dont le point d’ébullition atteint 2 808 degrés et le point de liquéfaction 1 064 degrés. A l’heure actuelle, 187 200 tonnes d’or en tout ont été extraites des entrailles de la Terre de sorte que l’on pourrait selon les estimations faire tenir la totalité dans un cube de 21 mètres d’arête de côté soit le quart d’un terrain de football.

Propriétés et définitions

Formé à 30 kilomètres de profondeur à un niveau de collision entre le magma et la croûte terrestre, l’or a entre 3,5 milliards et 600 millions d’années. Produit à hauteur de plus de 3 300 tonnes chaque année face aux 20 000 tonnes d’argent ou 124 000 tonnes de cobalt, l’or continue de prouver son extrême rareté par rapport à ses congénères surtout que sur ces 3 300 tonnes, 1 200 proviennent de l’or dit « recyclé », autrement dit de la fonte des composants aurifères de certains outils ou objets déjà utilisés et destinés au recyclage. Parmi eux, les bijoux, le matériel informatique et les couronnes dentaires trustent les premières places et participent à 25% de l’offre d’or mondiale. Originaire d’Asie pour plus de 50%, l’or est extrait par l’intermédiaire de plusieurs techniques au choix : la gravitation d’abord laquelle consiste en un enchaînement de mélange d’eau au bloc rocheux extrait puis processus de décantation, la cyanuration, ensuite – certainement la méthode la plus utilisée et la plus avantageuse –, consistant en une pulvérisation de cyanure de sodium sur le minerai extrait puis liquéfaction de l’or au contact de l’air et l’amalgamation au mercure dont le procédé repose sur le versement de mercure toujours sur le minerait extrait qui absorbe l’or présent en un liquide distillé par la suite.

L’irrésistible ascension de l’or

On peut dire que 2020 a été l’année de l’or. Avec un cours de l’once qui a explosé les compteurs (+12% depuis 3 ans et +3% depuis début 2018), l’or crève de nouveau le plafond, une première depuis 2011. En effet, le dernier record en date de l’élément chimique portant le numéro atomique 79 était celui d’une augmentation de plus de 644% sur la période 2001-2011. Valant 257 dollars en 2001, son niveau historiquement le plus bas, l’or avait finalement atteint l’équivalent de 1 912 dollars dix ans plus tard. Près d’une décennie après ces événements, l’or tient toujours la corde et vient de dépasser la barre symbolique des 2 000 dollars l’once (NDLR : 2 075,47 dollars précisément au 7 août) soit près de 1 700 euros l’once. Il n’a jamais été plus prolifique de miser sur l’or qu’aujourd’hui. L’argent, par exemple, malgré une projection de +47,5% n’a grimpé qu’à 26,27 dollars l’once. Depuis début juillet, l’once flirte avec les 1 800 dollars et le lingot d’or (NDLR : un kilogramme d’or fin) valait au 21 juillet 2020 pas moins de 51 000 euros.

Mon précieux

Détenir de l’or, voilà certainement le rêve de beaucoup de personnes. En France, il a été certifié que près d’un Français sur 6 détenait de l’or soit près de 16% de la population nationale. Sur la base de ces mêmes statistiques, les experts ont estimé que 17% des propriétaires d’or sont des employés et 20% des cadres. Si désormais l’or est en grande partie détenu par les banques et l’Etat, il convient de préciser que deux siècles auparavant, chaque Français détenait une partie des 2 990 tonnes d’or fin mises en circulation sur le marché puisque près de 515 millions de francs Napoléon en pièces de 20 inondaient alors le marché. Aujourd’hui, un lingot vaut 4m2 d’immobilier parisien, le mètre carré ayant été coté à 34 750 euros au 6 avril 2018 et il faut réunir 40 téléphones portables pour espérer obtenir 1 gramme d’or. Sinon, de manière générale, l’or concerne essentiellement la joaillerie (52%), le secteur technologique (8%) et les banques centrales (9%), les 30% restants étant partagés par les investisseurs. Au rayon chiffres enfin, on considère « Welcome stranger » et ses 71 kilos comme la plus grande pépite d’or jamais découverte. C’était à Victoria en Australie en 1869.

Géopolitique de l’or

Annuellement, sur les 3 300 tonnes d’or produites et évoquées précédemment, 430 le sont par la Chine, élevant à 13% sa part de production aurifère dans la production mondiale. Face à cette quasi-hégémonie, il est intéressant de constater à l’inverse la dégringolade de la production sud-africaine dans la production mondiale laquelle est passée de 50% ces dernières années à 9% seulement. Néanmoins, l’Afrique du Sud reste le berceau de l’extraction d’or représentant 40% de l’or extrait depuis la nuit des temps. C’est d’ailleurs dans la mine de Mponeng, par 55 degrés de température rocheuse, que l’on trouve la profondeur la plus grande jamais observée pour une mine (3,9 kilomètres). Après la Chine donc, dont les ressources naturelles sont en revanche presque épuisées, on situe les plus grandes réserves naturelles encore inexploitées en Australie (10 000 tonnes) et en Russie (5 300). L’Afrique du Sud complète le podium (3 200) devant les Etats-Unis (3 000 tonnes en majorité dans le Nevada) et l’Indonésie (2 600) soit un peu plus de 24 100 tonnes cumulées à eux cinq sur les 48 700 tonnes mondiales ; c’est-à-dire la moitié des réserves naturelles mondiales. En réalité, 90 pays produisent de l’or minier (18 réalisant 80% de cette production mondiale) mais sur ces 90 pays, 52% d’entre eux ont un régime démocratique qui n’apporte pas aux travailleurs de garanties suffisantes tandis que 43% d’entre eux sont encore des pays en guerre. Si la tête du classement en matière de production ne change pas de celui des pays ayant les plus grandes réserves naturelles, certains pays d’Amérique latine (Pérou, Mexique) ou d’Afrique (Ghana) s’établissent à des rangs importants avec plus de 100 tonnes d’or extraites chaque année. En matière de possession d’or par contre, le bouleversement est total. Si les Etats-Unis, et ce depuis la fin de la Première Guerre mondiale, demeure à un niveau phénoménal (8 133,5 tonnes d’or possédées soit 414,81 milliards d’euros et donc 2,5 fois plus que le second), les pays européens, absents du précédent classement, comblent les places restantes. L’Allemagne, deuxième avec 3 363,6 tonnes d’or, mène la danse devant le FMI, l’Italie et la France dont les 2 436 tonnes, placées dans la Souterraine – une pièce située à 27 mètres sous terre –, équivalent à 124,24 milliards d’euros et correspondent à 65% des réserves de taux de change du pays. A noter cependant que la France a perdu quelques places en 2009 lorsque la présidence Sarkozy a revendu de l’or à des clients étrangers.

L’or : valeur refuge des périodes de tensions

L’or constitue incontestablement la valeur refuge par excellence des cycles de crise. A n’importe quel moment de dépression dans l’Histoire, l’or s’est révélé être une soupape de sûreté pour les gouvernements ou les particuliers. Aujourd’hui, les craintes de guerre commerciale entre Washington et Pékin, la montée des tensions géopolitiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, les conséquences inconnues de l’accord sur le nucléaire iranien ainsi que les incertitudes vis-à-vis de la Corée du Nord et le risque en Europe politique ont fait monter sensiblement le cours de l’or. D’ailleurs, si la Chine est le premier producteur aurifère du monde, sa demande en or dépasse néanmoins bien largement sa consommation nationale et ce sont 2 000 tonnes d’or par an qui sont demandées à la fois par l’Empire du milieu et par l’Inde afin de couvrir l’ensemble de leurs besoins en matières premières soit près de la moitié de la demande mondiale (4 058 tonnes d’or). Après elles, les banques centrales s’arrachent le reste de l’or mondial, achetant chaque année de 300 à 500 tonnes d’or et plus encore à un moment de crise sanitaire mondiale. Toutefois, il est important de souligner que la part d’or représente moins d’1% des portefeuilles financiers.

Vers un monde où l’or reste déterminant ?

Malgré le rôle prépondérant joué par l’or aujourd’hui, le déclin de la production aurifère est estimé à 25% d’ici 2025. Face à cette tendance déclinante de l’or, d’autres indicateurs sont en progression croissante et risquent à terme de supplanter l’or comme valeur référence de la richesse. A ce jeu-là, ce sont les crypto-monnaies qui semblent les gagnantes, extrêmement compétitives. Le bitcoin lui-même vient d’atteindre un seuil sensationnel de 35 000 dollars à tel point que le bitcoin vaut désormais 17,5 onces d’or. Il n’est donc plus insensé de penser que le bitcoin puisse dans un futur proche faire concurrence à l’or.

Par Raphaël Delagnes

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.