Les crises endogènes aux systèmes politiques


Publié le 24 novembre 2020

Ecrit par Alexis Vallon le 10 Octobre 2020

La théorie de la « fin de l’Histoire » que Francis Fukuyama avait théorisée après la chute du mur de Berlin est aujourd’hui largement dépassée. Notre système continue à connaître de nombreuses crises et l’Histoire continue alors de s’écrire chaque jour.

Pourtant il serait intéressant de rapidement se repencher sur sa thèse. Tout d’abord, il reprend la définition qu’Hegel donne de « la fin de l’Histoire », c’est-à-dire le moment où un consensus universel (certainement sur la démocratie) s’établirait, et serait respecté par tous les peuples. Ce qui, en théorie, mettrait fin aux conflits idéologiques dans le monde, et donc aux crises. La fin de la Guerre Froide fut pour Fukuyama ce moment de rupture qui allait conduire l’Histoire à sa fin et que sa génération allait pouvoir nous léguer un monde qui serait à l’image d’un long fleuve tranquille pour les siècles à venir.

Evidemment vous connaissez la suite : d’abord le 11 Septembre 2001 qui marque l’engagement mondial contre le terrorisme islamiste, les crises économiques de 2008 et aujourd’hui de 2020 ont entre autres accentué les inégalités et la pauvreté dans le monde, le nombre de manifestations et d’émeutes qui ont explosé (on estime que cette dernière décennie celles-ci auraient augmenté de 282% selon l’édition 2020 du Global Peace Index), etc.

Bref on peut croire que les crises mondiales sont toujours présentes.

Alors nous pourrions d’abord penser que toutes ces crises sont exogènes, c’est-à-dire totalement indépendantes du système politique et économique mondial. Après tout, personne n’aurait pu prévoir les crises économiques modernes et encore moins la pandémie actuelle. Elles sont les conséquences de l’appât du gain de certains banquiers et de quelques aventures culinaires… Rien qui n’aurait pu être prévu. Le terrorisme islamiste n’est lui aussi peut-être que la conséquence logique de l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan. Et enfin, le nombre toujours plus important de manifestations ne serviraient que des demandes particulières de certaines classes sociales, au détriment de l’intérêt collectif.

Cette première thèse est évidemment recevable et domine largement une partie de la pensée (plutôt libérale) aujourd’hui. Il est cependant intéressant de remarquer que la responsabilité est ici toujours imputée à la responsabilité individuelle, au libre arbitre.

Evidemment à gauche c’est tout le contraire, on accuse principalement le caractère endogène des crises et l’on fustige le système capitaliste. Ou aujourd’hui plutôt le libéralisme, car les thèses et termes marxistes tendent tout doucement à s’effacer du débat public. Ce serait donc lui qui serait responsable de tous nos maux. Le terrorisme serait surtout une conséquence sociale, laisser des jeunes de banlieues sans aucune promesse de carrières les auraient forcés à rejoindre Daesh. Ce qui vient se rajouter au fait que les mouvements terroristes seraient aussi nés dans les milieux précaires (mais restant influencés par des pouvoirs plus puissants). La crise économique de 2008 aurait pu être évitée sans l’ultra-libéralisation de l’économie mondiale. Et enfin les nombreuses manifestations sont la conséquence de la montée des inégalités et de l’injustice sociale. Ici également les arguments sont largement recevables.

Pourtant dans ces deux cas nous pouvons avoir l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Dans le premier cas bien sûr il y a des problèmes, mais notre système aurait été incapable de les prévoir, alors il est inutile de faire évoluer le système mais simplement de s’adapter à ces crises.
Et dans le second on nous fait croire qu’un changement de société permettrait de résoudre tous les problèmes sans que les actions individuelles n’aient besoin de changer.

Finalement on observe que ces deux façons de penser présentent individuellement des imperfections et que souvent, in medio stat vertus, la vérité se trouve au juste milieu. Que la société comme l’action individuelle ont leur responsabilité. Or comme la vérité n’existe pas en soi dans notre monde mais existe toujours par rapport à un objet, une situation donnée. Car en effet la solution « une intervention accrue de l’Etat » n’est pas une vérité en soi mais elle peut être vraie selon une situation précise. Alors en suivant la dialectique d’Hegel, en oscillant selon les situations, la bipolarisation de la vie politique pourrait être une solution. On oscille alors entre d’un côté davantage d’Etat avec un objectif assumé de rendre les hommes plus égaux et de l’autre des actions pour favoriser la liberté de conscience et d’action du citoyen. Tout le monde aura évidemment reconnu la création théorique ici de la Gauche et de la Droite (ou du moins la Gauche et la Droite française) hérité de l’affrontement idéologique de la Guerre Froide.

On peut constater alors que les crises endogènes à notre système ne seraient dénoncées que par la Gauche. Une Gauche qui se focaliserait sur les problèmes d’inégalité que le système capitaliste créerait. Pourtant il me semble que tout analyser d’un point de vue économique est une erreur et qu’il existe un autre facteur déterminant qui permettrait d’expliquer nos crises endogènes modernes.

Car aujourd’hui en France et notamment lors des dernières élections présidentielles, le système archaïque Gauche-Droite s’est effondré. Et deux nouvelles forces d’opposition sont apparues : le progressisme contre le nationalisme. Pourtant ce nouvel affrontement idéologique était prévisible.

Car l’affrontement en sciences politiques ne s’effectuent pas autour de deux pôles comme la Guerre Froide avait pu le laisser paraître. Mais bien trois pôles qui se sont affrontés il y a maintenant 80 ans lors de la Seconde Guerre mondiale.

Trois grands blocs. Le premier était le bloc américain, prônant une liberté de penser, d’entreprendre, de commercer, de réussir, etc. Nous résumerons alors l’idéologie américaine à un mot : liberté. Face à lui, le bloc soviétique, construit sur les textes marxistes de luttes des classes, de destruction de la propriété privée, etc. L’idéologie au moins en théorie de ce bloc fut : l’égalité. Enfin l’Allemagne et le régime nazi qui construit son idéologie sur la notion de races, de nations, sur la question « Qu’est-ce qu’un allemand ». Une idéologie qui a été poussé à son paroxysme et a engendré les plus terribles horreurs que l’Homme dans son histoire fut capable. Néanmoins toute l’idéologie de ce bloc fut basée sur une notion : l’identité du peuple.

Or l’Histoire n’est écrite que par les vainqueurs. Et les gagnants que furent les Etats-Unis et l’URSS décidèrent de diaboliser le régime nazi pour que ses horreurs ne réapparaissent plus jamais. Ils tentèrent alors de détruire tout résidu que pouvait représenter cette idéologie. Evidemment face aux horreurs des camps de concentration personne ne critiqua cette décision qui était parfaitement louable. Pourtant on ne peut tuer une idéologie, on ne peut tuer une idée, surtout si celle-ci est inscrite dans l’ADN même de l’Homme, dans l’ADN même d’un système politique. Car un bon système politique repose sur ces trois piliers : la liberté, l’égalité et l’identité.

Si ces mots vous rappellent la devise française c’est justement parce que la France à choisi de former son identité dans la fraternité. Cela nous rappelle encore une fois la sagesse de nos précurseurs.

Aristote affirmait, encore avant, qu’une cité pouvait s’écrouler de deux manières, si elle perdait son identité ou si l’inégalité était trop importante en son sein. La situation d’Athènes était à l’époque comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui dans nos sociétés occidentales : des démocraties
ouvertes aux commerces qui souffrent d’inégalité de traitement (entre citoyens, femmes et esclaves). En soi des systèmes qui sont basés sur la liberté et qui doivent veiller à être aussi bons dans les deux autres domaines. Sachant qu’évidemment toutes sociétés sans ces trois principes seraient forcément vouées à disparaître.

Car l’essence même de ces sociétés auraient tendance à s’auto-entretenir. Je m’explique, dans une société libérale il y a tellement de contre-pouvoirs qu’il y a très rarement des problèmes de libertés : souvent les citoyens les dénoncent et les problèmes disparaissent. On ne souffre pas particulièrement de manque de liberté dans nos démocraties occidentales modernes. De même dans un régime fasciste on sait parfaitement qui on est, qui nous servons, qui sont les ennemis, etc. Nous ne souffrons pas franchement de crise identitaire. Et dans un système communiste, théoriquement, l’égalité ne pose pas vraiment problème. Évidemment on pensera forcément aux « apparatchiks » qui sont bien plus riches que le reste de la population mais l’inégalité dans ces régimes restent, in fine, bien moins élevée que dans nos sociétés occidentales.

Alors un système qui choisit une base pour se construire (liberté, égalité ou identité) va devoir veiller particulièrement à ce que les deux autres principes puissent continuer à exister. Ainsi les crises endogènes à notre système aujourd’hui sont bien une crise identitaire et une crise égalitaire, car nous partons avec une base libertaire.

Alors, ce que la gauche et plus largement, notre système politique n’a pas pris en compte, c’est que les crises endogènes peuvent aussi être des crises identitaires et pas seulement égalitaires. Que le terrorisme par exemple n’est qu’une réaction contraire au système capitaliste et à ses valeurs car celui-ci néglige l’identité, l’Histoire des peuples au profit d’un multiculturalisme mondial. Il en va de même pour les idéologies réactionnaires qui ont émergé en Europe par exemple, l’hostilité face aux migrants, etc. Toutes ces réactions sont apparues car depuis des années personne dans le monde politique n’a pris en compte la notion d’identité indispensable à la survie d’un peuple.

Ainsi pour répondre au mieux au besoin de nos démocraties il convient de changer notre regard sur notre spectre politique. Ne plus l’observer comme une ligne où les hommes politiques seraient placés plus à droite ou plus à gauche, mais comme un triangle qui aurait en ses côtés les notions de liberté, d’égalité et d’identité. C’est à cette condition que l’offre politique pourrait s’éclaircir et devenir satisfaisante pour les citoyens, qui ne se retrouvent plus dans leur politique depuis des années.

Enfin je conseillerais l’émergence d’un parti qui serait au centre de ce triangle, un parti qui arriverait à concilier ces trois notions fondamentales au sein de son système politique. Ainsi nos sociétés pourraient progresser sereinement sans craindre l’instabilité politique. Néanmoins j’ai conscience que notre monde n’est qu’instabilité et les chocs exogènes conduiront les démocraties à toujours s’éloigner de ce centre. Mais justement, la stabilité passerait par l’instabilité et si un grave problème identitaire devait apparaître, il serait normal que les votes se déplacent vers ce pôle identitaire. Pourtant à terme, ceux-ci tendront toujours vers le centre de ce triangle, vers l’équilibre idéologique.

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