Guerilla de Laurent Obertone : Chronique d’une mort annoncée


Publié le 13 décembre 2016

 

A l’heure ou pullulent les méditations désolées sur le déclin de la France, Obertone prend la tangente, en signant un roman qui fera date et s’est imposé -et cela quasiment sans aucun relais médiatique- comme l’événement de la rentrée littéraire. « Guerilla » nous narre ainsi la chute de la France en temps réel en trois jours,  » l’histoire d’un pays malade qui est soudain confronté au réel pur  » d’après la brève description qu’en fait son auteur pour son éditeur désormais bien connu, RING.

Zemmour -bien qu’on trouve à juste titre sa volonté de voir celle-ci se produire presque suspecte- et les autres chantres de la guerre civile avaient vu juste, leur acuité se confrontant à l’insipidité d’une intelligentisa néo-aristocratique exsangue. La douce France au visage racorni et souffreteux est tombée, en dépit des tristes augures que certains esprits avisés crurent bon de rendre public. La guerre civile a eu raison de la civilisation, de nos institutions, de la morale, de ce siècle contraire aux lois les plus élémentaires de l’anthropologie humaine.
En ce jour, le réel a tué la morale, Le très-très-bien-vivre-ensemble, la tolérance, l’amour de l’autre, l’ouverture sur le monde ont ployé sous le poids -conséquent, si vous voulez vous en convaincre lisez donc attentivement un des pastiches de discours de notre chère gôche écrit avec esprit et brio par Obertone- de leur ineptie. Reste le clan, et la primauté de sa survie, appartenance au clan qui dans « Guérilla » est fonction de notre appartenance ethnico-raciale. Obertone, féru d’anthropologie -je vous renvoie à ses écrits antérieurs-, comprend que l’avènement de la guerre civile empêche toute nuance : à l’empathie se substituent l’instinct de survie et le cerveau reptilien. « Guérilla » narre donc la mort -programmée et à certains égards voulue- d’un pays « si avide de disparaître que le vaincre en était presque insultant « . Percutant, le roman d’Obertone ne saurait s’embarrasser de vaines et frileuses considérations sociologiques et c’est précisément son propos : la « pensée magique » des tenants de la morale dominante, qui a longtemps criminalisé les inquiétudes des rebuts claudicants de la sociale-démocratie, est inefficace face aux balles. Même constat froid et mécanique que dressait le personnage Brevik de l’« Utoya » d’Obertone. Il se trouve que c’est la galerie de portraits que croque avec justesse Obertone qui lui tient lieu d’argumentaire : du colonel retraité, parangon des valeurs traditionnelles et nostalgique de la gloire perdue de la grande muette, de la jeune bloggeuse gauchiste inconséquente, du délinquant de la Courneuve dont le surmoi semble vacillant ou encore en passant par Vincent Gite, prototype du mâle Alpha épousant avec froideur et réalisme la mystique de l’homme seul contre tous. Moins réfléchi -et un peu moins abouti- qu’« Utoya », Guérilla se veut être un livre rédigé dans l’urgence, dans la peur immédiate d’un imminent désastre, un Patrick Calvar (patron de la DGSI) déclarant à propos lors de son audition à huis clos du 24 mai par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 13 novembre « nous sommes au bord de la guerre civile ».

Dans un monde en tout point similaire au notre, se bornant à nier « l’éternel retour du concret » qu’annonçait Lénine, une descente de police dans une ZUP -appelée dans le roman « Cité Taubira » -le premier livre d’Obertone « La France orange mécanique  » parlait fort à propos du laxisme judiciaire et de l’ensauvagement d’une nation- de la Courneuve vire au carnage. Reste que les forces médiatiques du pays y verront l’ultime expression de « la violence policière » et de « l’état fasciste », lançant une campagne de dénigrement sans précèdent vis-à-vis des corps constitués alors même que des émeutes éclatent dans tout le pays, annonçant une nouvelle ère, celle de la violence irraisonnée. Soit la rencontre entre un monde domestiqué et affadi (c’était le propos de « la France Big Brother ») et un monde resté authentiquement viril, donc sauvage et conquérant : « ce que les barbares appelaient sa fragilité. Depuis qu’il était né, on avait transformé ses angoisses en docilité ».

Scénario que d’aucuns ne souhaiteraient voir se matérialiser, mais qui pourtant, à la lumière de la narration qu’en fait Obertone, apparaît comme crédible, là ou elle ne fut un temps que fantasme lointain d’alcooliques crasseux. Et c’est précisément toute la malice et le talent de l’auteur : même les plus optimistes de ses lecteurs sentent ce frisson glacé -celui de la guerre civile- leur parcourir l’échine, s’interrogeant de vive voix : « Et si ? ». Et si 40 ans de modernité et de libéralisme, qu’on pensait vecteurs de prospérité, consacraient en fait la mort -thématique récurrente dans l’histoire de la pensée européenne, on se souviendra à propos du « Déclin de l’Occident » de Spengler- de la civilisation occidentale ? La fluidité du roman, par ailleurs porté par un souffle post-apocalyptique qui sait éviter les écueils majeurs du genre, lui confère cette crédibilité qui confine au malaise, tant l’enchaînement implacable des événements (difficultés à s’approvisionner en eau, électricité, vivres puis émeutes généralisées, mort du président et enfin panne des réseaux de communications nationaux) est mécanique, bien sentie et implacable.

 

Dès lors, le parallèle avec Soumission s’impose : Dans le premier cas, une France agonisante (« Le Français ? Cliniquement mort. […] Il croit sa défaite glorieuse, son déshonneur digne ») accepte avec résignation sa salvation par une spiritualité forte, virile, accepte le retour à la transcendance, à une vision du monde verticale, ou toute vie humaine n’est possible que dans l’ombre bienveillante d’une divinité tutélaire : Postulat que tout honnête homme ne peut voir que d’un oeil positif, même si cela reste évidemment fonction de son appartenance ethnico-raciale (on conçoit que la perspective d’être remplacés n’est en rien exaltante pour quiconque apte à revendiquer une lignée européenne caucasienne). Soumission heureuse qui laisse présager des jours nouveaux, là ou la chute de la civilisation libérale-libertaire que prophétise Obertone mène au retour de la barbarie que des siècles de processus de socialisation s’étaient acharnés à combattre. Et c’est bien l’histoire de « Guérilla » : Une civilisation -celle des droits de l’Homme- qui se désagrège, laissant place au bruit et à la fureur. La ou la chute de la civilisation aurait pu laisser place à un ordre nouveau bénéfique -on connait l’attachement qu’Obertone expose dans ses trois ouvrages précédents à la hiérarchie naturelle de l’espèce-, soit le retour à l’enracinement, au clan et à la primauté de sa survie, elle sacre au contraire le retour de l’antique bestialité des mâles, que tout processus de sociabilisation -qui est en fait un processus de domestication- s’efforce de combattre : « ce sera la fin de la morale et la fin du verbe. Homo sapiens ne sera plus une espèce protégée ».

 

En fin émule d’Orwell, on retrouve de nombreuses références à 1984 dans Guerilla (en témoigne les citations d’Orwell qui introduisent chaque nouveau chapitre dans « La France Big Brother »), ou Obertone reprend dans ses pastiches de discours la structure langagière : « mal-vivre« , « mal-insertion », « mal amusement« , opposés au « très-très bien vivre-ensemble« , terminologies qui ridiculisent le manichéisme impérial caractéristique des médias dominants. Musellement de la pensée (« arrêt du crime » chez Orwell) qui passe donc par une véritable épuration syntaxique, ce qui est précisément le propre des totalitarismes. Plus de « compatriotes »-« ceux qui partagent la terre ancestrale- étymologiquement, trop clivant, mais des « citoyens », soit le triomphe de la société civile, veule et méprisable sur la juste et nécessaire hiérarchie entre les hommes. Euphémismes médiatiques ( » émotions populaires » plutôt qu’émeutes, « scepticisme sournois« , « putsch moral« ) qu’Obertone tourne habilement en dérision, ajoutant à leur consubstantielle incongruité.

 

Dystopie haletante, volontairement excessif et parfois sibyllin, « Guerilla » laisse songeur, pantois, mets des mots avec justesse sur le plus intime pressentiment que partage un nombre toujours grandissant de nos concitoyens : la France des lumières, autrefois phare de la civilisation, se délite en un ballet absurde de rage, de violence et d’incompréhension mutuelle. Pour ces raisons, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de Guérilla, s’inscrivant dans la continuité d’« Utoya », roman fulgurant auquel nous consacrerons bientôt une chronique.
« D’ordinaire, il louait le vivre-ensemble, mais maintenant qu’il l’avait sous le nez, il lui trouvait une drôle d’odeur. »
L.Obertone, « Guerilla »

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