Juppé : à droite toute !


Publié le 13 octobre 2016
Paradoxalement, jeudi dernier, les yeux des téléspectateurs n’étaient pas rivés sur Alain Juppé ; c’est bien plus l’autre casting de l’Emission Politique, à savoir ses interlocuteurs, qui a fait le buzz. Quelle mouche avait donc piqué les journalistes de France 2 ? Entre l’ancien trader « repris de justice » Jérôme Kerviel, le youtubeur Jhon Rachid et le très controversé maire de Bézier et proche du Front National Robert Ménard… Voici notre recap. 
 
Récap
Politiquement, Alain Juppé a égrené son refrain favori : face au candidat qui clive, il se pose en « candidat du rassemblement ». Des termes qui ne sont pas sans rappeler ceux d’un certain François Hollande en 2012. Sa référence politique ? « Le général de Gaulle »… Comme une obligation à la primaire des Républicains.
En matière d’immigration, il se targue d’être l’homme du parler vrai et non celui de la démagogie : il faut accueillir les migrants, mais de manière contrôlée, encadrée. Schengen et le contrôle des frontières doivent être renégociés ; il s’agit d’un défi considérable. Quant à l’immigration illégale, Alain Juppé, face à Nicolas Sarkozy qui appelle à un référendum le jour du deuxième tour des législatives, souhaite durcir les conditions du regroupement familial.
Interrogé à plusieurs reprises au sujet de son âge vieillissant, par le youtubeur Jhon Rachid ainsi que par l’humoriste Charline Vanhoenacker, arrivée avec un skateboard sur le plateau, l’ancien locataire de Matignon s’est défendu : à ceux qui l’accusent de manquer d’énergie, il rétorque que le plus important est de savoir bien s’entourer, mettant en exergue sa politique bordelaise.
En termes de politique pénale, il prône la suppression des réductions automatiques de peines, le rétablissement des peines plancher ainsi que la construction de 10 000 places de prison et la création d’une police pénitentiaire dont la mission serait de faire du renseignement à l’intérieur des prisons. Aujourd’hui, souligne-t-il, la justice concentre 2% du budget de l’Etat : c’est insuffisant.
Sur le plan économique, Alain Juppé s’est posé en ultra-libéral : flexibilisation des entreprises, mais aussi développement de l’apprentissage et de la formation en alternance, dès la classe de 5ème.
Son objectif, « c’est le plein emploi ». Pour lutter contre le chômage, M. Juppé propose une dégressivité des allocations chômage (plancher à 870 euros puis dégressivité au bout d’un an, puis au bout de 18 mois) qu’il conditionne à la reprise de l’activité économique. Toujours dans une optique très libérale, le meneur de la réforme des régimes spéciaux de 1995 annonce la couleur avant l’élection : 39 heures et retraite à 65 ans. Sans compter l’augmentation de la TVA qui compenserait la baisse des charges des entreprises !
Quant à la politique industrielle, Juppé se pose en contradicteur de Montebourg, deux semaines plus tôt : « L’Etat est un mauvais actionnaire », il faut accepter de se retirer du capital d’entreprises jugées faibles. Il faut enfin baisser les charges afin de favoriser la production sur le territoire français, tout en s’abstenant de s’enfermer derrière des barrières protectionnistes.
Sur le plan européen, Alain Juppé souhaite redonner une voix à la France afin qu’elle soit de nouveau écoutée au sein de l’Union Européenne.
Sur le plan international, il appelle les Russes à réfléchir : Daech est l’ennemi numéro 1 mais cela ne doit pas occulter les responsabilités de Bachar El Assad.
Notre parti pris
Deux heures face aux Français durant lesquelles Alain Juppé ne s’est pas laissé mettre en boîte par Léa Salamé, intervieweuse choc de l’émission, qui a eu du mal à lui imposer son style, un brin arrogant, un brin insolent. C’est sans trop de difficultés que l’ancien locataire de Matignon repartira – en skate ou non – à Bordeaux après cette émission.
Tout comme François Hollande en 2012, Alain Juppé se pose avant tout en rassembleur des Français et de son propre camp. Il opte pour des figures traditionnelles de la droite (De Gaulle), ne se prononce pas ou prou au sujet de la Syrie, de l’Union Européenne, de la Syrie, de l’immigration, annonce une demi-mesure sur le regroupement familial… si ce n’est économiquement et pénalement, peu de positions très tranchées susceptibles de cliver, mais des positions pour le moins floues qui, par certains aspects, rappellent le loup de Martine Aubry : Alain Juppé se préserve. On semble face à des recettes traditionnelles dans une primaire de droite sans aucun effort particulier d’imagination.
Mais ce que l’on retient avant tout de ce Grand Oral, c’est la surenchère libérale et pénale : à droite toute !
Entre 39 heures et retraite à 65 ans, on assiste à ce que la droite fait de pire : un pseudo-libéralisme traditionnel, presque conformiste (c’est un comble !). Au lieu de penser le travail différemment et proposer des réformes de profondeur (un autre système des retraites, une réflexion et une réinvention des contrats de travail comme le sous-entend Jean Tirole avec le contrat de travail unique…), les Républicains semblent revenir à leurs poncifs : travailler plus pour gagner plus. Sur un plan moral, pourquoi pas.
Mais entre vieillissement de la population et automatisation, le « plein emploi » si cher à Alain Juppé ne sera bientôt plus une option ; et il sera trop tard pour mettre en place des réformes nouvelles, une philosophie du travail novatrice (revenu universel de base, idée, rappelons-le, issue de la pensée de Thomas Paine, lui-même grand penseur libéral, et pourtant peu envisagée par les Républicains) sans sacrifier une génération entière. Par ailleurs, on comprend mal comment la hausse de la TVA, donc la baisse de la consommation, pourrait conduire à une meilleure santé économique des entreprises françaises (dans une France traditionnellement plus importatrice qu’exportatrice).
Sur le plan pénal, toujours plus de prisons et moins de « laxisme ». Le candidat à la primaire de droite semble s’aligner sur l’électorat militant des Républicains, en dépit du bon sens : la radicalisation s’opère en prison, alors à quoi bon y envoyer M. Chat ou un petit délinquant ? Pourquoi ne pas repenser des peines plus efficaces ? Si le crime coûte financièrement beaucoup plus cher à commettre que son coût de revient, la logique voudrait qu’on tende à un amoindrissement de la petite délinquance, comme le souligne Gaspard Koenig (peu soupçonnable de gauchisation de la société).
Otage de l’électorat de gauche, sans lequel Alain Juppé ne remportera jamais la primaire, ce dernier a cependant cédé à la course aux voix de droite ; mais ce faisant, son positionnement, trop flou à bien des égards, trop marqu, risque de mettre en péril sa réussite.
En tout cas, quel que soit le regard que l’on porte sur ses propos, dans la primaire des Républicains, le favori à l’investiture peut déjà se targuer d’une victoire médiatique : avoir réuni 60 000 spectateurs de plus que son principal rival Nicolas Sarkozy, invité trois semaines plus tôt de l’Emission Politique.

Marine

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