Fabriquer l’ennemi: historique des attentats et opérations sous faux drapeau (1/2)


Publié le 27 septembre 2016

Rappel historique et ampleur du phénomène

« Le terrorisme est d’abord un fait étatique, c’est d’abord le fait de services de renseignement qui utilisent des illuminés, des fanatiques pour mener à bien leurs opérations* » Aymeric Chauprade, Géopoliticien français ayant enseigné à l’Ecole de Guerre.

La quintessence de la civilisation européenne et son principal apport au monde fut la naissance de l’esprit scientifique, sa capacité à produire du doute sur son environnement. A-t-on définitivement rompu avec cette philosophie en produisant une liberté d’expression à géométrie variable, une lutte mortelle contre les productions dissidentes les plus élaborées ?
Nous décidons de vous offrir un pan particulièrement méconnu de l’histoire des relations internationales, pourtant hautement déterminant. En somme, nous estimons notre lectorat – de par ses déterminismes sociologiques – relativement acquis à la lutte contre le « complotisme », nous faisons remarquer à celui-ci, qu’un certain nombre de complots* sont à l’origine de violations de la souveraineté d’Etats, de renversements de gouvernements légitimes, de guerres civiles ou de guerres internationales. Il s’agit donc d’illustrer l’importance d’actions clandestines sous faux drapeau dans les relations internationales, parfois susceptibles de structurer celles-ci.
Cet article, à visée didactique, engage les lecteurs à adopter une lecture critique, intelligente et mesurée vis à vis du climat belliqueux qui règne dans la géopolitique actuelle.

Il ne s’agit pas de prétendre que l’ensemble des organisations et actions terroristes sont téléguidées par des services de renseignement, loin s’en faut. Néanmoins, la fabrication de l’ennemi n’est pas une chimère, comme l’a brillamment montré Pierre Conesa (Ancien haut responsable de la Direction des Affaires Stratégiques du Ministère de la Défense).

En somme, la disparition de l’URSS a imposé aux puissances occidentales en général et à la puissance étasunienne en particulier un défi hors pair : la désignation d’un nouvel ennemi. Arbatov, le conseiller diplomatique de Gorbatchev avait anticipé ce défi : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ». La justification de la puissance est une invariable nécessité géopolitique, la disparition de l’URSS discrédite la puissance du camp qui lui était opposé.

Un nouvel ennemi doit être trouvé, il consistera dans l’extrémisme religieux, le terrorisme islamiste, qui imposerait à son tour des défis, des dangers et des risques mondiaux qui vont justifier le recours à une nouvelle mobilisation occidentale à son encontre. La désignation de cet ennemi est une nécessité, pour des raisons internes – sentiments nationaux, détournement d’attention – et pour des raisons externes – projection  de puissance, intérêts géostratégiques.
Certaines de ces opérations sont littéralement incroyables, nous vous le concédons, notamment Gladio et Northwoods.

Opération Himmler : (Allemagne, recherche d’un prétexte pour envahir la Pologne) : Le 31 août 1939, une opération organisée par les Nazis vise à faire croire à une attaque polonaise sur le territoire allemand afin que l’Allemagne puisse déclarer la guerre à la Pologne. Ce fut le prétexte utilisé par l’Allemagne pour envahir la Pologne, le 1er Septembre 1939, entraînant l’Europe vers la seconde guerre mondiale*.

Opération Embarras : Entre 1947 et 1948, les services secrets britanniques organisent 5 attentats à la bombe contre des navires devant transporter des juifs survivants de la Shoah pour immigrer en Palestine. Ces opérations sont réalisées au nom d’un faux groupe appelé : « Les Défenseurs de la Palestine Arabe »*

Opération Gladio (Etats-Unis, guerre idéologique contre le communisme) : Dans les années 1950, les américains tentent de limiter l’influence du communisme dans les Etats européens. De nombreux attentats vont se dérouler dans plusieurs états-européens (Italie, France*, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni etc). Des attentats à la bombe sont attribuées aux communistes*. Il s’avère que ces attentats sont organisés par le Pentagone, la CIA et l’OTAN*. Le but est d’accuser les communistes d’actions terroristes pour souder les populations derrière les gouvernements européens qui combattent le communisme*. Ces faits sont rapportés par un ancien haut responsable du renseignement italien*. Ces faits sont publiquement révélés par le premier ministre italien Giulio Andreotti en 1990* *The Lavon Affair (Israël, guerre aux islamistes) : en 1954, des agents du mossad mènent une campagne d’attentats à la bombe contre plusieurs institutions diplomatiques occidentales en laissant des indices qui accréditent la piste islamiste. Le but est de discréditer les mouvements politiques islamistes* *.

Opération Ajax (Etats-Unis, Royaume-Uni, Préservation des intérêts occidentaux en Iran)* * * * : Opération menée conjointement par les services spéciaux des Etats-Unis et du Royaume-Uni afin de renverser le premier ministre Iranien, en 1953. Cette opération vise à préserver les intérêts pétroliers occidentaux en Iran. Cela comprend l’organisation d’attentats et d’une guérilla pour empêcher le parti communiste de prendre le pouvoir.
Opération Northwoods (Etats-Unis, invasion de Cuba, guerre contre le communisme)* *: En 1962, le comité des Chefs d’Etat-major Interarmées des Etats-Unis établit un plan visant à organiser des attentats contre les Etats-Unis en les faisant passer pour des actions cubaines. Ce plan (disponible en français) comprend la possibilité de faire exploser des avions, des bateaux américains. Il comprend aussi la possibilité d’organiser des attentats sur le territoire américain. L’objectif est d’envahir Cuba et de faire tomber Fidel Castro*.
Extraits terrifiants choisis : 
« Des tentatives de détournement d’avions et navires civils devraient apparaître comme la poursuite de mesures de harcèlement cautionnées par le gouvernement cubain »« Il est possible de créer un incident qui démontrerait de façon convaincante qu’un avion cubain a attaqué et abattu un avion commercial civil (…) »
« Un avion de la base aérienne d’Eglin serait peint et numéroté pour en faire une réplique exacte d’un avion civil immatriculé appartenant à une société dont la CIA est propriétaire, dans la région de Miami. Au moment voulu, la réplique serait substituée au véritable appareil et les passagers choisis, tous listés sous de fausses identités soigneusement préparées embarqueraient. L’avion réel enregistré serait transformé en drone. » Les heures de décollage du drone et du vol véritables seront programmées pour permettre un rendez-vous (…) Le drone poursuivra pendant ce temps son plan de vol déposé (…) le drone transmettra un message SOS en déclarant être attaqué par un avion cubain. La transmission sera interrompue par la destruction de l’appareil, qui sera déclenchée par signal radio*

« Nous pourrions mener une campagne de terreur communiste cubaine dans la région de Miami, dans d’autres villes de Floride, et même à Washington. » 
« Quelques explosions de bombes au plastic dans des lieux soigneusement choisis, l’arrestation d’agents cubains et la publication de faux documents démontrant l’implication cubaine, aideraient également à la propagation de l’idée d’un gouvernement irresponsable. »*

Ce plan n’a pas été mis en oeuvre dans la mesure où il a été refusé par le président Kennedy
Attaque du Golf de Tonkin (Etats-Unis, justification de la guerre du Vietnam) :
Le 4 août 1964, deux destroyers américains (USS Maddox et USS Turner Joy) patrouillent le long de la côte nord-vietnamienne. Ils sont attaqués, ils dénoncent une attaque vietnamienne. Ces incidents permettent à l’administration Johnson de prendre la Résolution du Golf de Tonkin, le 10 octobre 1964*. Cette Résolution donne le pouvoir au président Johnson de déclarer la guerre sans consultation préalable du Congrès, comme l’impose la Constitution américaine. Le 1er décembre 2005, la NSA déclassifie plus de 140 documents top secrets qui révèlent l’impensable : ces incidents sont montés de toutes pièces par l’armée US pour étendre une guerre aérienne au Vietnam. La résolution du 10/10/1964 a été écrite plusieurs mois avant la date des incidents. Ces faits sont établies également par des documents déclassifiés du Pentagone*
Affaire du Raimbow Warrior – Opération Satanique :En 1985, le navire de Greenpeace est coulé par un commando de la DGSE. Les agents français sont très vites arrêtés par la police néo-zélandaise. Le gouvernement français, dans un premier temps, ne reconnaîtra pas sa responsabilité, avant d’avouer être le commanditaire par le biais de son ministre de la Défense. Greenpeace s’opposait aux essais nucléaires français.

L’appui de Kadhafi au terrorisme :   En 1984, le MOSSAD installe un émetteur dans une infrastructure gouvernementale libyenne. Cet émetteur diffuse de fausses transmissions terroristes enregistrées par le Mossad. Ces transmissions seront interceptées par les services occidentaux et les Etats-Unis bombarderont la Libye pour la dédommager en 2008.*

Comment déstabiliser des régimes en Amérique du Sud ?   (Etats-Unis, Doctrine Monroe) En 1994, le document « Special Forces Foreign Defense Tactics Techniques and procedures for Special Forces »* émanant de l’armée des Etats-Unis, recommande fortement le recours à des opérations sous faux drapeau pour déstabiliser des régimes opposés à l’hégémonie des Etats-Unis.

Explosions d’immeubles en Russie : En 1999, les services de renseignement russes organisent des attentats à la bombe en Russie pour faire accuser les terroristes tchétchènes. Cette stratégie vise à envahir la Tchétchénie.*

Force est de constater que ce type d’opérations sont légion et aucune puissance de premier plan ne peut se targuer de ne jamais les utiliser. Il existe nécessairement une corrélation entre puissance et capacité à organiser ce type d’action. Au regard du nombre de ces opérations dans l’histoire contemporaine et du développement des capacités à les organiser (technologie, médias acquis systématiquement à la « théorie officielle ») nous avons de bonnes raisons de penser qu’elles continuent à être mises en œuvre régulièrement. Le contexte géopolitique n’a peut être jamais été aussi favorable à celles-ci (jeux d’alliances indéchiffrables, ampleur des enjeux, multiplicité des acteurs).

Un travail rigoureux doit alors être mené pour éviter les deux écueils les plus fréquents quant à cette question : la défense aveugle et systématique de la théorie officielle parfois très fragile et la vision paranoïaque qui convoque une sorte de main invisible omnipotente sur le terrorisme. La guerre contre le terrorisme islamiste constitue notre prochain sujet d’étude, en ce qu’elle a été fomentée par les néo-conservateurs américains pour garantir la stabilité de l’empire étasunien, constitué autour d’organisations qui lui sont inféodées et qui garantissent sa domination sur la scène des relations internationales. La récupération politique systématique des crimes de masse est dialectique. C’est l’affaire de Daesh par publicité mensongère, « Nous sommes partout et nous vous vaincrons « . Et c’est l’affaire des Gouvernements, « nous assassinons vos libertés pour les défendre, nous menons des guerres de conquête pour vous défendre ». Le résultat logique consiste à fabriquer un consentement  autour de la guerre des civilisations. Nous nous inscrivons en faux face à cette stratégie de tension.
L’essence de l’attentat sous faux drapeau est simple : c’est le vice, le mal, la méchanceté et l’obscurantisme fabriqué matériellement de l’Autre et de l’Ailleurs contre soi.
Même s’il est établi que les stratèges étasuniens n’ont pas attendu le 11 septembre pour penser un remodelage du Moyen-Orient, nous n’étudierons pas ces évènements pour en déterminer les causes et les parties prenantes. Nous partirons très simplement du fait que ces événements ont été l’élément déclencheur de la projection de puissance étasunienne. Un prochain article sera néanmoins entièrement consacré aux événements du 11 septembre.
Le problème que pose la désignation d’un ennemi unique systématique répond à la même logique de la fabrication de l’ennemi. La terreur est un élément fabriqué matériellement et idéologiquement – violations de souveraineté, productions académiques, médiatiques – pour rendre illisible une stratégie géopolitique impérialiste. Le piège géopolitique consiste à dire préférer l’impérialisme américain au terrorisme islamiste. C’est une aporie qui implique la guerre contre le terrorisme comme moyen de puissance et de domination d’un monde conforme aux intérêts étasuniens. La suite du présent article traitera donc des origines et des conséquences de la fabrication du terrorisme comme adversaire proclamé de la civilisation occidentale.

Point sémantique:
Complot : Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l’intention de nuire à l’autorité d’un personnage public ou d’une institution, éventuellement d’attenter à sa vie ou à sa sûreté, projet quelconque concerté secrètement entre deux ou plusieurs personnes
Conspiration : Entente secrète entre plusieurs personnes ou choses personnifiées, contre quelqu’un ou quelque chose.
Opération sous faux drapeau: actions menées avec utilisation des marques de reconnaissance de l’ennemi.
Point Méthodologie : Les opérations répertoriées dans le présent article sont celles qui ont été reconnues par leurs organisateurs ou qui sont établies de source certaine (note gouvernementale, rapport d’enquête parlementaire). Il n’existe par conséquent aucune dimension accusatoire ou fantaisiste dans nos écrits.
 
Mehdi Brochet 

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