2007, c’est avant 2016 ou après ? Réponses de 4 économistes français à une question de niveau CE1


Publié le 30 mars 2016
           Posez la question « 2007 vient-il avant ou après 2016 ? » à un CE1 puis à un économiste et vous obtiendrez probablement deux réponses différentes. Le môme débutant, qui répondra correctement, prendra le meilleur sur l’adulte expert, qui se plantera lamentablement. Oui mais voilà, comme l’a dit Philippe Néricault en 1732, « la critique est aisée, mais l’art est difficile ». Tentons alors de voir en quoi l’économiste pourrait ne pas avoir (complétement) tort, en répondant autre chose que le brillant élève de primaire. Pour ce faire, il s’agira d’examiner quatre points de vue, tous d’économistes français -dont celui d’une femme, concernant la politique monétaire menée ces derniers temps et les liens entre 2007 et la période actuelle. Résolument critiques et extrêmement pessimistes, ces positions font néanmoins relativement l’unanimité en France et en Europe. Beaucoup d’éléments de réponses se rejoignent, d’autres se complètent. C’est sûrement signe que la question de niveau CE1 n’était pas si compliquée que cela… Plus précisément, si Jean-Marc Daniel, en tant que professeur associé à l’ESCP, a trouvé la bonne réponse, d’autres, comme Philippe Dessertine ou Nathalie Janson, ont échoué. Enfin, Patrick Artus a quant à lui préféré répondre à une question qui ne lui était pas posée. Tour d’horizon, entre critiques acerbes et solutions radicales, énoncées dans les médias ou lors de conférences.

 2007, c’est avant 2016. Ou pourquoi des politiques efficaces en 2007 ne peuvent plus l’être en 2016 (Jean-Marc Daniel : l’ubérisation de l’économie comme prémisse de la fin des banques centrales)

Les économistes ne savent plus où ils (en) sont : le chaos s’installe dans les esprits des experts parce qu’ils sont incapables de comprendre le nouveau monde. Ce nouveau monde ? En un mot -et pour faire plaisir à Emmanuel Macron : ubérisé. La concurrence renforcée et la hausse de la part de l’emploi indépendant depuis 2008 rendent les pays développés tendanciellement déflationnistes. La génération « zéro inflation » a vu le jour. Mais elle est arrivée au monde un peu trop tôt, à en croire le manque de réactivité de la BCE. En effet, elle continue d’injecter des liquidités pour espérer tirer l’inflation vers le haut (et si possible vers 2%, objectif dans la zone euro). Résultat : une inflation toujours plus modérée, passée parfois en territoire négatif ces derniers temps.
Comme beaucoup de ses collègues, Daniel considère la société des années 60/70 comme celle d’un « capitalisme monopoliste d’Etat ». Epoque où la société connaissait l’inflation qui a vu naître les banques centrales indépendantes, pour limiter la hausse des prix. Mais la société ultra concurrentielle d’aujourd’hui ne rentre pas dans ce cadre théorique : la baisse du salariat rend le lien inflation-salaires obsolète, et avec lui toutes les politiques monétaires traditionnelles.
Reconnaissant l’action légitime et efficace des banques centrales en 2007 et 2008 lors de la crise de liquidités des subprimes, Daniel endosse paradoxalement une posture radicale quand il s’agit d’examiner les solutions à la crise actuelle. En effet, il n’évoque jamais la suppression du mandat de la BCE lié à l’inflation. Il lui préfère cette position, très critiquée : la suppression des banques centrales, vu comme d’uniques coffres forts et jugés inutiles pour les raisons évoquées plus haut.

 2007, c’est pendant 2016. Ou pourquoi la prochaine crise est celle que nous connaissons actuellement (Philippe Dessertine : changement de monde, crise permanente)

             Si Dessertine est également très critique vis-à-vis de l’action menée par la BCE, il s’attache plus que les autres à démontrer que la tâche n’est pas aisée. Parlant d’ « événements historiques extraordinaires » d’un point de vue économique (taux négatifs, interrogations sur la courbe de Phillips avec une inflation très faible pendant que la croissance repart, flux commerciaux au niveau mondial qui diminuent), il insiste sur le fait que le paradigme a changé. L’émergence d’une nouvelle économie, la création de richesses qui ne se fait plus seulement dans les pays développés, la moyennisation de la société chinoise et une potentielle guerre des monnaies à venir sont autant d’éléments qui participent à l’élaboration nécessaire d’un nouveau cadre de réflexion, selon lui.
             D’après Dessertine, l’économie mondiale, en perpétuelle reconfiguration, n’en reste pas moins figée dans un état de crise permanente. Du fait d’un système artificiel qui repose sur des liquidités ne profitant nullement à l’économie réelle injectées par la BCE, « on est et on sera toujours en crise ». Selon l’économiste, les grandes fluctuations sur le marché financier sont des relents de la crise de 2007/2008. Citant Michel Aglietta, Dessertine expose ainsi « la fin d’un certain régime d’accumulation » et le début d’un autre, qui ne touche pas l’économie mais seulement les banques. L’injection de liquidités est donc un vecteur utilisé avec les banques, créant de la suractivité financière. Tandis que l’économie réelle n’a pas accès à ces liquidités, des fusions-acquisitions s’effectuent, ne créant aucune valeur ajoutée réelle. Les bulles, elles, se créent plus rapidement que les emplois.
 2016, c’est pendant 2007. Ou pourquoi il faut se rappeler de 2007 pour espérer terminer 2016 (Nathalie Janson : pervesrité de la politique monétaire, effets Cantillon et Bretton Woods)
            En plus d’être inefficace, la politique monétaire peut être perverse : elle a un effet sur le  marché obligataire et provoque une distorsion des prix. Ce phénomène se rapproche des « effets Cantillon ». Ces effets montrent que les rachats d’actifs profitent aux agents économiques étant les plus proches de l’agent ayant injecté les liquidités. En effet, ce sont bel et bien les investisseurs qui bénéficient de la hausse du prix des actifs (ici, les obligations souveraines massivement achetées par la banque centrale). Le but recherché qu’est la baisse du taux d’intérêt s’effectue lui automatiquement. Or, ce taux est essentiel dans le calcul de la rentabilité des projets d’investissement. La baisse du taux d’intérêt fait bien sûr augmenter leur rentabilité. La politique monétaire permet donc à des projets d’être entrepris. L’action de la banque centrale a donc pour effet d’allonger la structure de production alors même que l’épargne nécessaire pour soutenir cet allongement de la structure de production n’existe pas. Se pose donc un problème de soutenabilité de financement de ces projets.
N. Janson s’interroge aussi sur la durée des politiques monétaires non conventionnelles et de leurs conditions de sortie. Si Bretton Woods (et le système de l’étalon-or qui l’accompagnait) permettait de conserver une sécurité, aujourd’hui, les banques centrales peuvent injecter autant de liquidités qu’elles le souhaitent. Dans ce cas, à quand la fin des liquidités à tout-va ? Nul ne le sait. Pire, les banques centrales sont tellement dans l’incertitude du fait du caractère inédit de ce qui se produit actuellement qu’elles ont tout intérêt à ne pas stopper ce type de politiques.
              En guise de solutions proposées, N. Janson préfère revenir sur un aspect clé de la crise de 2007/2008, et appelle à garder en mémoire ce point lors de la prochaine crise : il était temps de mettre les banques face à leurs responsabilités. Actuellement, avec le système du too big to fail, les banques sont incitées à devenir de plus en plus grosses. Il faudrait rompre le système et ainsi remettre la responsabilité au cœur des activités bancaires. L’effet pervers d’une banque centrale étant qu’elle détermine les actions des banques (et aussi celles de second rang qui font toutes la même chose ensuite), l’irresponsabilité semble avoir pris le dessus.
 2016, c’est autre chose qu’après 2007. Ou pourquoi la crise de 2007 n’était qu’un détail de l’Histoire (Patrick Artus : la politique monétaire expansionniste et ses conséquences en termes de bulles)
            Se fondant sur les derniers chiffres concernant l’inflation (très modérée, voire négative dans la zone euro ces dernières années), P. Artus critique le cadre théorique des politiques monétaires, afin de montrer qu’elles ne parviennent pas à atteindre leur objectif. Au lieu de financer l’économie réelle, les politiques conduisent à des bulles financières, elles-mêmes rendant inévitable une nouvelle crise mondiale, qu’il projette comme bien plus importante que celles de 1929 ou 2007.
             Il explique son raisonnement en s’appuyant sur une réalité financière actuelle. Un des grands objectifs d’une politique monétaire expansionniste est le suivant : la détention d’actifs risqués par les banques (et plus globalement l’ensemble des investisseurs). Cette opération doit en théorie conduire à un meilleur financement des entreprises, et ce notamment dans une période de faible croissance. Oui mais voilà, l’effet escompté n’a jamais eu lieu : la création monétaire supplémentaire a uniquement créé une volatilité importante au niveau des marchés financiers (plus les flux de capitaux sont importants, plus les actifs sont volatils). La volatilité des actifs décourageant certains investisseurs, ces derniers se dirigent au final vers des produits financiers sans risque : de fait, les entreprises qui devaient être aidées par la politique monétaire expansionniste ne le sont nullement, et les entreprises en capacité de financement le deviennent encore davantage, agrandissant le fossé entre sociétés dynamiques et entreprises dans le dur.

 

             Les banques centrales créent donc uniquement de la volatilité, ce qui provoque le développement d’une bulle obligataire (le prix des obligations devient trop élevé et déconnecté des fondamentaux). Plus la bulle est grosse, plus elle fait de dégâts lorsqu’elle éclate : toutes les liquidités injectées par les banques centrales font craindre le pire à P. Artus.

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