Tous tatoués


Publié le 10 décembre 2014

Le 29 novembre sur Arte, le documentaire « Tous tatoués » a été diffusé. Il présente l’art du tatouage dans toute sa perplexité. Car oui, la pratique du tatouage est un art qui a mué, évolué au cours des siècles et même des millénaires. Pour preuve, il est actuellement l’objet d’une exposition au musée du quai Branly à Paris depuis le 6 mai et jusqu’au 18 octobre 2015. Par exemple, la discipline est étudiée en tant que telle aux États-Unis, au même titre que le folk art (les arts indigènes et paysans) ou les arts outsiders (l’art brut, inventé par Jean Dubuffet pour désigner les œuvres de personnes qui n’ont pas de culture artistique).

         Le tatouage est un art vieux de plusieurs milliers d’années : il est une pratique attestée en Eurasie depuis le néolithique. Le tatouage a toujours été un signe d’appartenance à un groupe : un groupe tribal, un groupe religieux, des pirates, des prisonniers, des marins, des légionnaires…  Depuis les années 60 et les années 70 avec le mouvement Hippie, sa signification a quelque peu changé : on se tatoue toujours pour montrer que l’on appartient à un groupe – les bikers, les rockers, les hippies, les punks, les « marginaux » – mais on le fait avant tout pour revendiquer son originalité, son unicité. Le tatouage est aussi depuis toujours une façon de se rebeller, de revendiquer quelque chose puisque l’on peut se tatouer TOUT ce que l’on veut, du message politique à la tête de mort jusqu’au portrait de ses enfants.
Les limites de sa démocratisation 
 
          Même si le tatouage s’est démocratisé dans nos sociétés occidentales – ce qui n’est pas le cas au Japon par exemple où cela est encore vu d’un mauvais œil, il n’en reste pas moins dérangeant notamment dans le monde du travail. Le corps tatoué divise le monde de l’entreprise encore très attaché à l’image renvoyée par l’apparence physique des employés. Au niveau législatif, le code du travail français est encore flou sur le sujet limitant les tatouages au cadre fort peu défini de “l’apparence physique” et il arrive que certaines entreprises discriminent lors des entretiens d’embauche pour cette raison.
          De plus, le tatouage a encore mauvaise réputation. Ayant été utilisé et encore utilisé par les prisonniers, les skinheads et les gangs pour prouver leur appartenance à des groupes, le tatouage fait peur. Dans ces cas-là, il représente la violence, l’illégalité et suscite la crainte au sein de la société. Certains tatouages ont une signification toute particulière. Par exemple, un tatouage avec les chiffres 14-88 signifie «la suprématie blanche» relatif aux détenus nazis. Le 14 représente les 14 mots d’une citation populaire du leader nazi David Lane: «Nous devons assurer l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs» et le 88 est raccourci pour la 8ème lettre de l’alphabet à deux reprises : HH qui représente Heil Hitler. On retrouve des tatouages bien spécifiques aussi pour ce qui est des gangs aux États-Unis comme en Amérique Latine.
Mareros, jeunes appartenant aux gangs appelés « maras » au Salvador. 
Ils se tatouent pour montrer leur appartenance à la Mara. Ici c’est la « mara salvatrucha ».
Pourquoi le tatouage est-il si populaire ?
 
          Le tatouage dans nos sociétés occidentales s’est démocratisé. Les personnalités du showbiz ont aidé à cette démocratisation : en effet, la majorité d’entre elles arborent un ou une multitude de tatouages de toute sorte. Aujourd’hui, se faire tatouer c’est revendiquer son unicité devant le monde entier, c’est être soi-même l’artiste qui sculpte son œuvre – ici son corps, mais c’est aussi et avant tout le vivre comme une liberté. C’est la liberté de modifier son enveloppe corporelle comme bon nous semble et d’ajouter de la valeur, une signification à cette enveloppe en la rendant unique. C’est la liberté de rejeter les normes sociales en rendant visible son tatouage, le faire de telle sorte qu’il soit symbole d’exclusion, de marginalité. C’est la liberté de le cacher, de lui ajouter un attrait mystérieux.
          Mais n’est-ce pas qu’un leurre ? N’est-ce pas un acte encadré plutôt qu’une réelle liberté ?On veut à tout prix que notre tatouage nous ressemble, il faut pour cela qu’il soit le plus original possible, qu’il colle au maximum à notre personnalité pour montrer justement que l’on en a, de la personnalité, que l’on est quelqu’un qui s’affirme et s’assume. Mais, n’est-ce pas au contraire un acte de conformité totale aujourd’hui ? Combien de jeunes filles ou de femmes ont une phrase « philosophique », phrase qui d’après elles donne du sens à leur vie, les guide ? Combien d’hommes ont un tatouage tribal alors qu’ils n’appartiennent ni de près ni de loin à ces communautés ou un tatouage en forme de toile d’araignée sur le coude croyant qu’il est le symbole des piliers de comptoir alors qu’en réalité il signifie que la personne le portant a été piégée, envoyée en prison comme une proie prise dans un filet ?

 

        Le tatouage de nos jours révèle d’une crise de l’existence, preuve de la lutte de l’homme contre sa condition d’être social. L’individualisme croissant de nos sociétés occidentales incite les personnes à chercher des repères, à s’assurer qu’ils sont des êtres à part entière, qu’ils existent et qu’ils sont capables de s’exprimer, notamment par le biais des tatouages. Loin d’être une démarche réellement personnelle, le tatouage n’est rien d’autre qu’une démarche sociale : pour certains c’est un besoin d’appartenance, pour d’autres c’est une volonté de marginalisation ou encore la peur d’être rejeté d’un cadre social si l’on ne suit pas les « règles » ou les « modes » en place.
Loren Bousquet

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