Top 5 des films sur la dictature

Top 5 des films sur la dictature

Parce qu’une dictature ce n’est pas seulement quand les gens sont communistes ou qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair, et parce que les élections viennent de s’achever, le pôle ciné a concocté un petit classement des meilleurs films mettant en scène une dictature. À gauche comme à droite, des régimes se sont levés partout dans le monde en dirigeant leur pays d’une main de fer avec des méthodes plus ou moins éthiques. Certains cinéastes se sont emparés de ce thème et y ont vu un terreau fertile pour faire naître des œuvres d’une profonde sensibilité et d’une pertinence historique avérée. N’hésitez pas à mettre vos suggestions en commentaires. Nos suggestions : Fahrenheit 451, Z, Brazil, La jeune fille et la Mort, Le Dictateur, La Vague, La Chute, Bunker Palace Hotel, Hitler : La naissance du mal, I comme Icare, Orange Mécanique, etc.

(suite…)

Le cinéma numérique : ça tourne !

Le cinéma numérique : ça tourne !

Le cinéma hollywoodien pour pouvoir sans cesse rentabiliser ses films au budget croissant a voulu mettre en avant sa recherche et ses avancées technologiques. Depuis une dizaine d’années la 3D a voulu percer dans le milieu avec en tête d’affiche Avatar de James Cameron. L’avancée technologique du cinéma rend beaucoup d’amateurs nostalgiques de la vieille époque où l’ordinateur n’intervenait pas dans le cinéma. En effet, Depuis cinq ans, le cinéma est passé à l’ère numérique, toutes les étapes de la production d’un film sont affectées. A l’inverse le fait de tourner de façon traditionnelle, en argentique, commence à devenir un argument commercial comme avec les 8 Salopards de Quentin Tarantino. Ainsi aujourd’hui nous allons parler de la révolution invisible du 7ème art, celle du passage de l’argentique au numérique.

Techniquement, comment on fait un film et quelle est la différence entre l’argentique et le numérique ?

D’abord il convient de rappeler qu’un film est une séquence d’images projetées à 24 images par seconde  La différence entre les deux méthodes est soit durant la prise de vue, soit lors de la projection.
Pour commencer une caméra traditionnelle utilisant la technologie argentique dispose d’une pellicule qui défile à la verticale, au passage derrière l’objectif, ses composés chimiques (halogénure d’argent) réagissent à la lumière, pour obtenir ensuite une image traitable, il faut le plonger dans du révélateur, c’est le développement.
Ensuite les images sont montées puis traitées. Ensuite il faut tirer le film, c’est-à-dire à partir du film monté original faire des copies envoyées dans les cinémas. Le projecteur lui s’occupe de faire défiler le film mécaniquement devant une lampe. Il s’agit du fonctionnement théorique, en réalité, à l’heure des effets spéciaux et des techniques de montages sur PC, uniquement la prise de vue se fait avec un film qui est par la suite numérisé, monté sur ordinateur, les copies sont aujourd’hui aussi en numérique sur des disques durs.
 Il existe beaucoup de type de pellicule, la plus courante et encore aujourd’hui beaucoup utilisée est la pellicule 35mm inventé par Edisson à la fin du XIXème siècle, elle offre une grande qualité et un cout bas (75€ la minute de tournage). Néanmoins, d’autres pellicules sont utilisées, la deuxième la plus utilisées est la pellicule iMax.
Schéma du film 35mm appelé le « format académique »
 
A l’inverse, une caméra numérique remplace la pellicule par un capteur photosensible muni de millions de photosites, les photosites sont par groupe de 4 pour former le pixel (1 photosite pour le rouge, un pour le bleu et deux pour le vert). Les pixels, eux vont former ensemble une image. La caméra prend alors 24 « photos numériques» par seconde.
Les fichiers sont alors enregistrés généralement directement sur des disques durs reliés à la caméra ou sur des cartes internes. Elles sont ensuite transférées sur ordinateur pour le montage. Le film, une fois fini, est distribué sous forme de disque durs (dits « DCP »). Comme pour le nombre de type de pellicule disponible, il y a plusieurs tailles de capteur (Attention, un capteur plus grand ne veut pas dire qu’il y a plus de pixels) le plus courant est le capteur Super35 de la même taille que l’image du film 35mm. Il existe aussi plusieurs définitions que peuvent enregistrer les caméras, elles vont du 2K (2048 x 1080 pixels) au 8k, la norme la plus courante au cinéma maintenant étant le 4K (4096 x 2160 pixels). La projection dans les cinémas ne se fait qu’en 2K généralement, le 4K est en cours d’installation.
ARRI, autrefois producteur de caméra argentique s’est mise sur la vague pour ne pas se faire distancer par les marques comme RED.
 
 

Pourquoi être passé au cinéma numérique ? 

 
Le travail numérique au cinéma remonte aux années 1970, il avait pour but d’utiliser l’outil informatique afin de créer des effets spéciaux. La première fois qu’il est exploité avec Mondwest de Michael Crichton en 1973 avec 10 secondes, le rendu pour cet effet qui parait simple aujourd’hui a pris 8h par seconde !
A 1’09 le premier effet généré par un ordinateur.
A partir de ce film, utiliser des ordinateurs et des logiciels devient possible. On retiendra surtout Star Wars IV : un nouvel espoir de George Lucas, les effets numériques sont beaucoup plus nombreux et utilisé (Bien sur les effets spéciaux classiques restent présents), Tron en 1982 continue sur cette lancée. Au fur et à mesure des années, les techniques s’améliorent, les ordinateurs deviennent plus puissants et s’intègrent de plus en plus dans la production cinématographique et peut même devenir l’outil principal comme avec Toy Story, le premier long métrage d’animation. Mais à cette époque la prise de vue (hors animation) et la projection étaient toujours en format classique argentique.
C’est encore George Lucas qui va beaucoup agir pour le basculement du cinéma au numérique « puisque le cinéma numérique est inévitable, autant y passer le plus vite possible » Et c’est chose faite en 1999 avec la première projection en numérique depuis un disque dur et non un film avec Star Wars I : La menace fantôme, l’homme va ensuite faire pression sur le milieu pour convertir le cinéma que ça soit au niveau de la prise de vue ou au niveau de la projection, les technologies s’améliorant au fil du temps. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que les cinémas remplacent un à un les projecteurs.
Les avantages du cinéma numérique sont nombreux, d’une part les caméras sont plus légères, n’utilisent pas de consommables (la pellicule) et les rushs produits sont visibles sur ordinateurs (avant il fallait les trier et les marquer des petites salles de projections) le travail de production est donc facilité (que ça soit le montage ou les effets spéciaux). Ainsi le numérique a vraiment donné beaucoup de possibilité supplémentaires tout en permettant de réduire les couts de productions au point que toutes les productions à faible et à moyen budget se font avec des prises de vue uniquement numériques. Même les grosses productions ont pour la plupart abandonné l’argentique.
Tournage de The revenant, une grosse production filmée grâce à la RED
 
La distribution du film est beaucoup moins couteuse, un long métrage tiré en film comporte environ 3 bobines de 1000€ chacune alors qu’une copie numérique coûte 200 €, mais aussi beaucoup plus rapide et facile, il est aisé de donner des disques durs à tout le monde (les cinémas se font même maintenant transférer le film directement depuis l’Internet) alors que les copies argentiques se passait d’un cinéma à un autre, sont compliquées à manipuler et s’usent rapidement à l’usage. En revanche les projecteurs numériques sont beaucoup plus chers environ 80 000€ par projecteur (multipliez cela par le nombre de salle !) et sont peu réparable contrairement aux projecteurs classiques coutant 15000€ pour les dernières versions et se réparant facilement vu qu’il s’agit de pièces mécaniques et non de circuits imprimés.
Le numérique n’a pas encore réussi à dépasser les prises de vue traditionnelle au niveau de la qualité. On ne peut pas parler de pixels pour un film (vu que ce sont les molécules d’argent qui réagissent). Néanmoins on peut parler d’équivalence, la pellicule 35mm est à peu près équivalente à du 6k, (ce qui correspond à la moyenne de prise de vue aujourd’hui, la diffusion n’étant qu’en 4k maximum) et la pellicule IMAX (J’y viens après) et équivalente au 12k, ce que aucun format numérique ne peut prendre en charge. La durée de conservation des films est par contre plus à l’avantage de l’argentique : 100 ans dans de bonnes conditions alors qu’on ne sait pas au bout de quelles durées les données numériques se dégradent.

L’argentique a t’il encore de l’avenir ?

Comme dit précédemment, l’argentique est un véritable gage de qualité d’image, même si aujourd’hui la pellicule est numérisée et le travail est fait sur ordinateur. La prise de vue traditionnelle est encore beaucoup appréciée également pour ses couleurs, son grain (l’image numérique est définie comme trop propre et parfois et non sans mauvaise foi un peu impersonnelle). Ainsi des réalisateurs aiment bien revenir dessus, comme Quentin Tarantino qui est fan de ce cinéma et a même utilisé la pellicule 70mm Panavision, inutilisée depuis les années 60 pour produire Les huit salopards. Cette utilisation est même devenue, comme le IMAX, un argument commercial de choix : un western tourné comme autrefois ! Et même si le film a peu été distribué sur bande Panavision (seuls 6 cinémas en France en ont profité) et que presque tout le monde l’a vu en projection numérique, l’argument a fait mouche.
Tournage des huit Salopards avec une caméra Panavision
 
 
L’argentique a aussi réussi à s’adapter à la venue du numérique en utilisant de plus en plus  la pellicule dite IMAX (pour Image Maximum), il s’agit d’une pellicule 70mm mais qui défile à l’horizontale au lieu de la verticale pour avoir l’image la plus grande possible. Bien que cette technologie datant des années 1970 soit restée un moment confidentielle, elle est revenue en grande pompe dans les années 2000 et 2010 ayant été notamment utilisée pour les films Harry Potter, Transformers ou encore James Bond Spectre. Elle reste néanmoins extrêmement couteuse (4000€ par minute d’utilisation et des caméras extrêmement cher à acheter) et peu de cinémas disposent de salles dotés de projecteurs IMAX (très cher et compliqué à mettre en place) : 4 en France seulement, ainsi seulement les productions à très gros budget peuvent se permettre ce luxe. Ainsi la plupart du temps la pellicule est convertie en image numérique pour la distribution mais la diffusion numérique ne permet pas encore de restituer la qualité apportée par la pellicule.
Différence entre le format académique et le format IMAX

Conclusion

Bien qu’ayant pris beaucoup de temps à s’implanter, le numérique a parfaitement intégré le cinéma dans toutes les étapes de production, du tournage à la projection. Au tel point que la technologie argentique ne peut plus survivre que sur la prise de vue. Les caméras traditionnelles, qui perdent du terrain, essayent de mettre en avant leur côté authentique et de meilleure qualité et même de s’améliorer grâce à la technologie IMAX mais indéniablement, l’amélioration des formats vidéo ainsi que de la puissance des ordinateurs auront raison des technologies traditionnelles au grand dam de nombreux cinéphiles.
 
Malgré tout, la qualité d’un film n’est pas dépendante du moyen de tournage, aujourd’hui, tourner en argentique revient à faire un choix artistique qui doit servir le long-métrage et ne doit pas devenir un simple argument commercial, ce que n’a pas réussi à faire la 3D.
Pour en savoir plus

Damien Dezeque
 
 
Critique interactive n°4: the place beyond the pines

Critique interactive n°4: the place beyond the pines

« Un Drive à moto ou un vrai film d’auteur ? »

Retour en 2013. Sur le papier The place beyond the pines avait tout d’une pépite avec son casting de rêve : Ryan Gosling, Eva Mendes, Bradley Cooper, Dane DeHaan pour ne citer qu’eux et son réalisateur et co-scénariste :  Derek Cianfrance dont le talent avait été souligné par la critique à la sortie de Blue Valentine (2010). Pourtant il est loin d’avoir fait l’unanimité. Beaucoup lui reprochent une pirouette scénaristique osée que nous évoquerons par la suite et certaines « longueurs ». Pour ma part ce film m’a plu comme vous allez très vite le comprendre.  J’ai apprécié l’incroyable finesse du scénario, et la manière dont le réalisateur parvient à toucher nos  cordes sensibles en évoquant deux grands thèmes : le déterminisme et le rapport père/fils tout au long de ce drame, en lenteur. Place à présent à une analyse qui me permettra d’évoquer les ressorts émotionnels du film et ses coups de génie. 
Je précise que pour ce film, il était difficile de faire une critique sans spoilers donc si vous ne voulez rien savoir de l’intrigue avant d’avoir vu le film, je vous conseille de passer directement à mon 3.  
 
NB : pour faire référence aux personnages du film j’utiliserai le nom des acteurs. Si je dis « le fils de Ryan Gosling » comprenez donc  » le fils du personnage qu’il incarne dans le film » 🙂 

1) Un choix étonnant :

Le réalisateur adopte une approche pour le moins surprenante qui a l’inconvénient, ou le mérite, question de perspective,  de désarçonner  « les puristes ». En effet, il n’y a pas vraiment de personnage principal dans cette œuvre : Ryan Gosling au centre du récit les 50 premières minutes disparaît brutalement, tandis que Bradley Cooper prend le relais immédiatement sans qu’il nous ait été présenté au préalable, avant que le fils de Ryan Gosling ne monopolise la présence à l’écran jusqu’à la fin du film. Ce procédé scénaristique que l’on peut nommer « dilution de la fonction sujet» a notamment été employé dans le film Cloud Atlas (2013) où plusieurs personnages principaux se succèdent dans différents récits sans liens apparents entre eux ou encore dans Psychose (1960). Avec un tel choix on fait forcément des déçus parmi les membres du fan club de l’acteur de Drive qui voient leur coqueluche disparaître « trop vite »mais aussi on risque de perdre   les spectateurs habitués aux schémas traditionnels d’un récit unique, linéaire avec des héros bien définis. On peut être étonné de la facilité avec laquelle le réalisateur élimine un personnage clef de son récit (même si George R.R Martin nous a tous habitué à ce genre de  disparitions prématurées dans Game of Thrones). Pourtant il faut comprendre ici  la volonté du réalisateur : il  ne souhaite pas seulement  raconter un fait divers (un policier tuant un criminel lors d’une course poursuite), mais il souhaite surtout  nous placer en situation d’observateurs d’existences qui peuvent s’apparenter de près ou de loin aux nôtres. Dans une telle posture, le réalisateur nous invite à analyser les comportements des protagonistes et à questionner nos propres comportements. En nous empêchant de nous attacher à un personnage unique, il nous permet de mobiliser pleinement notre attention sur ce qui compte pour lui : la psychologie des personnages et l’émotion. 
2) Nos pères, nous pères :
Les personnages exposés semblent, à première vue, diamétralement opposés, on a : le criminel multi-récidiviste, le policier-justicier se lançant en politique, le fils du policier qui a grandi dans l’opulence et le fils du criminel qui a grandi dans une famille modeste recomposée. Pourtant le jeu de la mise en scène et la construction du récit nous font percevoir des similitudes dans leurs attitudes et ressorts psychologiques. Très vite on se départ de nos schèmes moraux (gentil vs méchant) : le criminel n’est pas si condamnable que cela, le policier-héros n’est pas si irréprochable  finalement. Mais surtout on prend conscience d’une « notion clef » ici : il semble qu’une forme de déterminisme commune régisse les vies des protagonistes. Chaque individu sur lequel le réalisateur s’attarde semble avoir une existence profondément influencée par son père. Explications :
– Il est sous-entendu que Ryan Gosling n’a pas eu de père pour s’occuper de lui. Ce déficit affectif l’a conduit à devenir instable psychologiquement (il est violent, et bien avant qu’il commette des braquages dans le film, on sent qu’il a déjà un lourd passif judiciaire).   Surtout, quand il apprend par Eva Mendes (son ex-copine), qu’elle  a eu un enfant de lui, il développe une véritable obsession pour son fils qu’il veut gâter par tous les moyens. C’est à ce moment-là qu’il se lance dans le banditisme et que va débuter la tragédie.
– Bradley Cooper quant à lui a grandi dans un milieu aisé et entretient une relation très proche avec son père : avocat renommé. Implicitement on sent qu’il admire son père et qu’il agit  pour le rendre fier. Son père va grandement influencer sa vie à deux reprises : la première fois lorsqu’il conseille à Bradley de parler des problèmes de corruption de la police au « procureur » et la deuxième fois lorsqu’il l’encourage vivement à s’engager en politique.
– On passe maintenant à la deuxième génération. Le fils de Bradley n’est pas aussi fringuant que son père et scolairement il semble à la traîne. Il est l’archétype de l’ado   « fils de » qui sombre dans la drogue, s’exprime le plus mal possible comme pour mieux se « détacher » de son milieu familial. Pourquoi s’est-il retrouvé dans cette situation ? Il souffre certainement de la comparaison avec son père : « le héros que tout le monde admire ». Dans certaines scènes brillamment exposées, on constate qu’il se passe quelque chose quand il regarde son père dans les yeux. Le fils est animé d’une envie de se rebeller contre son père mais aussi d’une certaine forme de rancœur bien visible. D’où vient ce sentiment et comment est-il visible? Voici mon interprétation : après avoir tué Ryan, Bradley qui s’en voulait terriblement ne parvenait plus à regarder son nourrisson dans les yeux car il savait qu’il venait de rendre un enfant orphelin de son père dans une autre famille. Une quinzaine d’années plus tard, on assiste sous nos yeux de spectateurs à ce premier échange de regard des deux protagonistes (du moins dans le film) dans une scène au bord d’une piscine, la tension est alors palpable dans les yeux du jeunes homme. On ne peut savoir comment Bradley a élevé son fils du berceau jusqu’à l’adolescence mais on peut penser qu’il n’a jamais vraiment réussi à s’occuper de lui entre son sentiment de culpabilité et le début de sa carrière politique. Encore une fois, le réalisateur nous montre que c’est le « père » qui a durablement impacté l’existence de son fils.
– Enfin, on passe au fils de Ryan. Il va de soi qu’il est perturbé puisqu’il a perdu très tôt son père biologique dont il n’a aucun souvenir (sauf que sans le savoir son père lui a laissé, à jamais le goût de la crème glacée). Sa mère lui a décrit son père comme une personne nuisible, indigne d’intérêt morte dans des conditions que cette dernière a inventé de toute pièce (ne souhaitant pas faire remonter le traumatisme à la surface). Il sombre aussi dans la drogue. Même si son beau-père ne cesse de lui répéter qu’il est son véritable père car c’est lui qui l’a élevé, son père biologique a laissé une empreinte indélébile dans l’esprit du jeune homme.  Toute sa jeune existence consiste à retrouver sa trace. « Qui était-il ? »  « Qu’aimait-il ? » Le film s’achève d’ailleurs sur une scène très émouvante, où il achète une moto ayant appris que son père était motard.
Le message à visée sociologique de Derek Cianfrance est là : nous sommes tous très fortement influencés par les actes de nos pères. En ce sens nous ne sommes pas pleinement les maîtres de nos destins et une certaine forme de déterminisme s’opère. Que nos pères soient présents ou absents on agit par rapport à eux : dans un rapport d’opposition, de mimétisme ou sous une autre forme. Qu’on soit d’accord ou non avec cette thèse, elle a au moins le mérite de nous faire réfléchir, on se pose naturellement les questions d’ordre métaphysique : qui sommes-nous (par rapport à nos pères), où allons-nous (sommes-nous soumis à une forme de déterminisme) ? On s’interroge aussi sur le rôle déterminant que l’on a en tant que père, même en pensant faire le bien de nos enfants comme Ryan, on peut parfois commettre de lourdes erreurs. Et c’est là que le film peut susciter l’émotion car si on adhère  en partie à la thèse de Cianfrance, on est instantanément saisi de sympathie pour les personnes (au sens grec de syn : avec, et pathos= souffrir), on souffre avec eux, on les comprend car ils sont comme nous.
Quid du rôle des mères ? Elles semblent plus en retrait dans le film. On remarque dans les choix de casting et de mise en scène que les femmes sont moins présentes à l’écran. Cianfrance a décidé de se focaliser sur le rapport père-fils. C’est d’abord un choix par défaut : on ne peut pas traiter tous les sujets à la fois dans un long-métrage. Mais selon moi,  il nous donne  tout de même un petit peu sa vision du rôle des mères. Dans le film, tous les pères pratiquement, commettent des erreurs et influencent leurs fils  par leurs actes tandis que les mères (Eva Mendes et Rose Byrne) élèvent véritablement les enfants, incarnant la raison et la stabilité du foyer dans plusieurs scènes. (Bien entendu, loin de moi l’idée que selon Cianfrance toutes les femmes sont des femmes au foyer qui réparent les pots cassés des pères, mais dans le film c’est pourtant le rôle qu’occupent les deux femmes au cœur de l’intrigue).

3) Une mise en scène naturaliste au service de la thèse :

Dans sa mise en scène le réalisateur semble poursuivre une démarche réaliste. Les histoires racontées n’ont ni début véritable, ni dénouement. On se retrouve donc face à un schéma semblable à nos propres existences qui, vous en conviendrez, ne suivent pas de schéma narratif. C’est comme si, à première vue, le réalisateur nous donnait à voir un documentaire, il prend les faits comme ils viennent. On en vient aussi à oublier la caméra grâce à différents procédés (des plans séquences qui épousent la démarche des personnages, des courses poursuites à moto filmées façon go pro). On entre d’ailleurs dans le film brutalement par un plan séquence suivant Ryan. Cette volonté d’être le plus réaliste possible m’a rappelé la manière dont Zola a traité en son temps la question du déterminisme et de l’hérédité au travers du cycle de romans naturalistes : les Rougon Macquart. Ce dernier voulait étudier l’influence du milieu sur l’homme et les tares héréditaires d’une famille sous le second empire. Influencé par le courant positiviste scientifique porté  par Auguste Comte, Zola tentait de faire de ces personnages des « objets d’expériences ». Son ambition : nous donner l’illusion que  sa plume décrivait les comportements de personnages réels qu’on aurait placé volontairement dans un milieu d’expérience. Pour mieux décrire le réel, Zola menait de véritables explorations  durant de longs mois comme un ethnologue et consignait minutieusement ces observations dans de petits carnets. L’écrivain, par cette démarche, nous dépeignait le destin et le combat du « bas peuple » pour accéder à la dignité sous le second empire.  Pour moi, le réalisateur opère de manière similaire dans son approche réaliste et nous dit  ainsi quelque chose de la société occidentale actuelle. Il traite selon moi plusieurs aspects intéressants :  le nihilisme ambiant de la société consumériste (en décrivant des personnes « paumées » à la recherche de sens à leur existence : dans un rôle de père, une carrière politique ou la drogue), et dans une moindre mesure la corruption du système judiciaire. 
Veuillez noter toutefois que  comme dans l’œuvre de Zola, il ne s’agit pas d’une démarche purement réaliste comme celle que peut adopter un ethnologue mais de ce qu’on nommera plutôt une approche naturaliste. Des éléments de mise en scène dépassent la pure description du réel et nous donnent comme « des indices » sur la tournure que va prendre le récit ou sur l’humeur des personnages. Le romancier et l’écrivain transfigurent ainsi le réel pour lui donner une épaisseur et pour plonger le lecteur/spectateur dans une certaine atmosphère faisant passer d’autres messages plus implicites. Ici c’est surtout la lumière qui va jouer ce rôle (il y a notamment un très beau clair/obscur sur le visage de Ryan Gosling lors de la scène inaugurale qui montre l’ambivalence du personnage). 
Bref je vous conseille vivement de voir ou de revoir The place beyond the pines qui est un vrai « film d’auteur » qui m’a donné matière à réflexion et m’a ému (ce que je recherche dans une oeuvre).
Pour finir je vous propose une petite anecdote. Je me suis demandé pourquoi le film s’appelait « The place beyond the pines ». J’ai d’abord pensé  que c’était pour faire référence aux multiples scènes qui se passent à la lisière d’une forêt de pins : la rencontre entre Ryan et son complice de cambriolage, les deux scènes où Bradley échappe de peu à la mort, et la scène finale. Mais le titre fait en réalité référence au nom de la ville de l’Etat de New-York où a été tourné le film : « Schenectady » qui signifie « beyond the pines plains » en mohak (iroquois). 
Cette fois c’est vraiment la fin! J’espère que cette critique vous a plu, n’hésitez pas me donner vos impressions en commentaires. Je serais ravi de discuter/débattre de vos interprétations du film (même si elles n’ont rien à voir avec les miennes) et de ma manière de traiter le sujet.
La bise cinématographique.
Sébastien Magne