Le jeu funeste de la Turquie


Publié le 18 septembre 2016

        

         Acteur géopolitique toujours plus influent au proche et Moyen-Orient, forte de sa stratégie d’expansion régionale (le projet de grande Turquie), apparaissant comme un allié géostratégique indispensable et dont le modèle politique pourrait s’imposer dans le monde Arabe, la Turquie semble pourtant avoir nombre de garanties à fournir, notamment au vu de la somme des éléments qui pourraient l’associer aux attentats de Paris et Bruxelles. 

    

 

Afin de couper court à toute accusation -hâtive et stérile- de complotisme forcené ou autres délires, commençons par un bref mais nécessaire et salvateur rappel chronologique des faits. Peu après le début des printemps arabes (mars 2011), Juppé et Erdogan concluent un accord secret définissant les conditions de participation de la Turquie à l’intervention qui se trame sur le sol syrien, ainsi qu’a celle visant à destituer le Guide libyen, conditions que sont : la France s’engage d’une part à soutenir la candidature turque à l’Union européenne et d’autre part à « régler la question kurde » (ce qui revient de facto à soutenir une politique de purification ethnique) ainsi qu’a « préserver l’intégrité du territoire turc » (soit, du point de vue d’Erdogan, la débarrasser de ces éléments exogènes), donc à terme créer un Kurdistan au nord de la Syrie et en Irak (selon les plans dévoilés deux ans plus tard par Robin Wright dans le New York Times, document signé par Alain Juppé et son homologue turc Ahmet Davutoglu) et exclure le PKK de la Turquie.
Le 31 octobre 2014, se déroule à l’Elysée une rencontre tripartite entre Hollande, Erdogan et les kurdes de Syrie. A l’issue des négociations, Salih Muslim, président du YPG (branche armée du parti de l’union démocratique kurde syrien),trahissant par la même occasion Ocalan, le chef du PKK, accepte de devenir le président du Kurdistan syrien qui devait être crée après le renversement d’el-Assad.

 

Afin de mieux cerner les enjeux géostratégiques de cette alliance, nous nous efforcerons d’évoquer ici les éléments les plus troublants de la question syrienne.Intéressons nous ainsi à cette force armée décisive dans le conflit qui déchire la Syrie depuis 2011 qu’est l’armée syrienne libre. Fin 2011, elle est composé de 8000 à 15000 hommes -majoritairement des civils- selon les diverses estimations. Selon la version officielle, leurs armes seraient (du moins jusqu’à l’aide logistique étrangère reçue vraisemblablement depuis début 2012) achetées directement aux soldats de l’armée régulière, ou encore aux milices pro-régimes.

 

Fait étrange, Fahd Al-Masri (porte-parole de l’armée syrienne libre à Paris) déclare en juillet 2012 que l’ASL dispose seulement d’armes moyennes et légères, alors qu’au même moment les rebelles marchent sur Alep, avec un effectif -toujours d’après Al-Masri- de 100 000 hommes, face à une armée forte de 210 000 hommes et de 280 000 réservistes, possédant une division blindée de réserve à Alep, ainsi que trois brigades de missiles (équipées de missiles balistiques à courte portée Scud, SS-21 Scarab et Frog-7) dans la même localité!

 

Par ailleurs, force est de constater qu’on assiste à une véritable collusion d’intérêts entre Israël et la Turquie. Le ministre des affaires étrangères français, L.Fabius, déclarant alors que le « Front Al-Nostra fait du bon boulot en Syrie » (il se trouve, triste hasard, que le front Al-Nostra est la branche syrienne d’Al-Qaida). L.Fabius dont le soutien pour un autre état ayant lui aussi une stratégie d’expansion territoriale au proche-orient (soit le projet du Eretz Israël) est avéré, de sorte qu’on assiste en Syrie à une collusion des intérêts israéliens et turques (le Likoud bénéficiant de la chute de deux états souverains et influents au proche-orient contrecarrant son projet géopolitique, et la Turquie se voyant offrir une occasion de créer un territoire kurde), au détriment de la France, qui aurait mieux fait de renforcer ses liens privilégiés et historiques avec la Syrie…

 

Le problème étant que les occidentaux et les alliés stratégiques des rebelles syriens sont très surpris de la victoire kurde à Kobané le 26 janvier 2015, et que, face à la menace -sponsorisée- Daesh, les kurdes deviennent un allié militaire indispensable, les USA et la France ayant refusé à l’été 2014 le déploiement de leurs troupes sur le sol syrien,optant pour une aide logistique. D’autant plus que Bachar leur a accordé la nationalité syrienne au début du conflit, et les occidentaux tendent désormais à traiter avec le YPG (mais toujours pas avec le PKK).

 

Le 8 Février 2015, on assiste à un véritable retournement du jeu d’alliance français : François Hollande reçoit la co-présidente des kurdes de Syrie, elle fidèle au PKK turque, en l’absence de Salih Muslim, ce qui provoque l’ire d’Erdogan. Le 20 Juillet 2015, un attentat est perpétré à Suruc contre une manifestation pro-kurde. la Turquie déclare alors la guerre à Daesh et aux kurdes, actant ainsi la fin du cessez-le-feu datant de 2013, provoquant leur exode massif vers l’Europe.L’UE subventionne la poursuite de la guerre, et à titre d’aide humanitaire pour l’accueil des réfugiés, la Turquie reçoit trois milliards d’euros le 29 septembre 2015.

 

Néanmoins, l’intervention russe en Syrie fin septembre bouleverse la donne et l’équilibre des forces dans la région, d’autant plus que dans le même temps, S.Muslim lance une opération de kurdisation forcée du nord de la Syrie, provoquant ainsi de vives tensions avec la population syrienne. L’administration Erdogan -exaspérée de l’attentisme et des revirements français et furieux des conséquences de l’intervention russe- aurait donc pu aisément orchestrer ou encourager les séries d’attaques terroristes sur le continent européen (dont les attentats de Paris le 13 Novembre 2015) par le biais de ses services spéciaux, qu’on sait très liés voire maîtres des agissements de l’EI. La France, terrorisée et contrainte par la force, adopte la résolution 2249 le 20 novembre, avec l’appui du conseil de sécurité, afin de justifier la conquête du nord de la Syrie pour y créer le Kurdistan voulu par Erdogan.

 

Toutefois -nous rappelant étrangement la théorie du condominium et son application concrète lors de la crise de Suez en 56,- les USA et la Russie pressent de modifier la résolution, et la France et le RU ne pourront intervenir en Syrie sans y être invité par Bachar.

 

La résolution 2249

 

 Afin de mieux saisir la nature cruciale de cette résolution, intéressons nous à son contenu objectif ainsi qu’a son historique. La résolution fut votée le vendredi 20 novembre 2015, et est restée sous embargo jusqu’au lundi 23. Elle résulte originellement d’un premier projet de résolution russe présenté le 30 septembre, proposant une coopération internationale afin de lutter au sol contre les forces armées de l’EI. Le projet fut refusé par le Royaume-Uni, refus appuyé par la France et les USA. La France propose alors un nouveau projet de résolution, et la Russie, dans un absolu de conciliation et de multilatéralisme, vote le projet (ce qui se révélera être une erreur lourde de conséquences).

 

Bien qu’elle ne se réfère pas directement au chapitre 7 de la charte de l’Onu, la résolution 2249 mentionne une menace mondiale à la paix et à la sécurité internationale-ce qui est très précisément le sujet du chapitre 7 de la charte de l’ONU- et incite à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour « éradiquer les sanctuaires de l’EIIL ». En dépit de la violation de la souveraineté de la Syrie, car les opérations militaires sous l’égide américaine menées depuis 15 mois en Syrie l’ont été sans l’accord de Bachar -elle est donc illégale-, et n’en déplaise aux ayatollah du choc des civilisations le droit d’ingérence n’est pas un recours légal du point de vue du droit international- elle n’opère aucune distinction entre l’intervention russe (à la demande de la Syrie) et l’intervention états-unienne.

 

Mais, plus grave encore, la résolution 2249 suspend la souveraineté de l’Irak et de la Syrie, puisqu’elle ne mentionne pas leur gouvernement respectif ni la nécessité de les associer à ce que l’on entreprendra sur leurs territoires nationaux ! L’état islamique en Irak et au Levant devient donc un acteur reconnu aux yeux de la communauté internationale, et cela de l’aveu de l’ONU elle-même !

 

Alors que la Russie voulait tout d’abord faire la guerre à la Turquie du fait de la recrudescence des tensions, (l’attentat contre le vol Metrojet 9268 dans le Sinaï, les accusations de Poutine au sommet du G20 à Antalya, les sanctions russes, la publication de photographies aériennes montrant le pétrole de Daesh transitant par la Turquie dans des camions-citernes..), elle va finalement soutenir le PKK contre le gouvernement turque. S.Lavrov (le ministre des affaires étrangères russe) négocie même avec les USA un éventuel renversement d’Erdogan, et le 14 Mars, Poutine annonce le retrait des bombardiers russes en Syrie. Toutefois, Russie et États-Unis commencent à livrer des armes au PKK, contrecarrant ainsi les plans turques.

 

De plus, la majorité des membres de l’UE sont exaspérés par la stérilité de la politique étrangère français, et la Belgique reçoit même des dignitaires du PKK. Durant le sommet UE-Turquie le 18 mars, Erdogan prononce un discours télévisé en mémoire des victimes de l’attentat à Ankara quelques jours plus tôt, ou il se montre ouvertement menaçant envers les états de l’UE qui ne s’alignerait pas sur la politique turque au proche-orient. Le 22 mars, Bruxelles connait à son tour des attentats faisant 34 morts et plus de 250 blessés… Malheureuse coïncidence…

 

Voici la retranscription de l’intervention télévisée d’Erdogan:

 

« Il n’y a aucune raison que la bombe qui a explosé à Ankara, n’explose pas à Bruxelles ou dans une autre ville européenne (…) Là, je lance un appel aux États qui leur ouvrent les bras qui, directement ou indirectement, soutiennent les organisations terroristes. Vous nourrissez un serpent dans votre lit. Et ce serpent que vous nourrissez peut à tout moment vous mordre. Peut-être que regarder des bombes qui explosent en Turquie sur vos écrans de télévision ne signifie rien pour vous ; mais quand les bombes commenceront à exploser dans vos villes, vous comprendrez certainement ce que nous ressentons. Mais alors, il sera trop tard »

 

 

Think Tank Averroès

 

 

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